LES AFFRES DE LA VIE LIQUIDE
Texte de Guillaume Clerc (Auguri Curating)
pour l’exposition ‘‘De l ’amusement à chevaucher les vagues ici’’, d’Edgar Flauw, Brest 2018.
Onze objets, une combinaison, des cyanotypes, des planches d’archives, et des rushs vidéo d’expériences aquatiques composent l’exposition d’Edgar Flauw à la Maison de la Fontaine.
Ensemble, toutes ces formes proposent une perspective sur le travail de l’artiste entamé il y a déjà plusieurs années autour du surf... Le mot est placé. Quatre lettres portant des centaines d’années d’une culture longtemps établie comme symbolique d’une vie alternative. Le surfer, celui en connexion avec l’élément naturel, se détacherait des contingences socio-économiques qui font de notre quotidien un zapping incessant d’images, de sons et de sms... C’est ce que le philosophe américain Zygmunt Bauman qualifie comme étant «la vie liquide» (Liquid Life, Ed.Blackwell Oxford, 2005), soit notre incapacité en tant qu’agissant à figer pour quelques temps nos habitudes et nos modes d’action ; étant plus en accord avec l’éthique du déchet, du jetable, de l’obsolescence programmée, que celle de la contemplation et de l’économie des gestes et des formes. La vie liquide est celle qui passe tellement vite d’une chose à l’autre qu’elle a tendance à nous oublier, petits sujets dans une masse informe d’objets, perdus dans la valse terrible de la surproduction et de la surconsommation contemporaine.
Le surf, ironiquement, n’a pas échappé à la vie liquide. Il s’est malgré tout fait rattraper par ses propres contingences. Et le marketing sauvage appliqué à cette culture devenue plus populaire qu’alternative, en transformant une éthique de vie en modèle du cool en est le meilleur/pire témoin. La pratique du surf se retrouve enchaînée au capitalisme de ses objets. Du prix de la planche, à la marque de la wax, en passant par l’épaisseur de la combi’, chaque élément endogène à la glisse formate toujours plus cette pratique paradoxalement émancipatoire.
Au regard de cette liberté aux allures TTC de la glisse, Edgar Flauw développe une pratique interstitielle, qui ne se veut pas contre, mais juste à côté de tout cet univers...
En rouvrant de vieux manuels de l’histoire du surf, en se plongeant dans les revues de bricolage, et particulièrement dans Terre des vagues de Hervé Manificat (Ed.Atlantica, 2016) il a retrouvé plusieurs modèles oubliés, parfois étranges, d’objets de glisse du début de siècle, tous libres de droit. Comme autant de pièces jamais produites de manière industrielle, et donc non retenues par les affres de cette vie liquide, ces notes de bas de page semblaient avoir un potentiel : celui d’une glisse différente, tractée ou non.
Ces pièces sont entrées alors dans une phase de production entre bricolage et design d’auteur lors de la résidence de la Maison de la Fontaine avec un objectif : l’eau. En effet, et l’exposition le montre, ces objets sont partis dans les vagues, sur la côte brestoise, ou bordelaise, pour mettre en lumière un potentiel, pas toujours évident pour leurs utilisateurs.
Ces drôles de fantômes de l’histoire du surf, sont chez Edgar Flauw les manifestes d’une communauté invisible qui, si elle connaît les risques de formatage de ce monde du surf, peut aussi changer ses habitudes de glisse en allant vers de nouvelles formes, et se réapproprier leur relation à la vague. Ces onze pièces présentes dans l’exposition portent un constat et un optimisme jeune : soit le paradoxe d’une difficulté imposée par l’ergonomie de ces formes bricolées pour une glisse libérée de la liquidité d’un quotidien sordide, et trop plein de dates d’expiration.
Edgar Flauw envisage la création de ses œuvres par le déploiement d’une autre méthodologie, éloignée de celle du scientifique. Les hypothèses ne se constituent qu’au regard de l’expérience dans l’eau et non pas dans un laboratoire technique ou un bureau d’étude. C’est les pieds dans le sable, l’œil attentif sur les gauches et les droites qui déroulent sur les côtes du Finistère, qu’il repense la possibilité de la glisse, et une autre manière de faire des mondes, en l’occurrence celui du surf.