LES BAROUDEURS DE KABYLIE-
     La Guerre franco-algérienne (1954-1962)

LES BAROUDEURS DE KABYLIE- La Guerre franco-algérienne (1954-1962)

Nouara est née en 1941 à Tanalt. Elle est la sœur de quatre Maquisards, Salah, Rezki, Abdellah et Allaoua.

L'un des frères, en l’occurrence Abdellah est né en février 1933, venait, à la veille du déclenchement de la révolution de novembre 1954, de terminer son service militaire en France. Démobilisé, il rejoint son village natal pour s’engager dans les rangs des militants et maquisards de la première heure.

Alors que la rébellion à cette époque était encore clandestine, Sa sœur Nouara s’interrogeait déjà sur ses absences et ses rentrées tardives à la maison. A l’époque, l’alerte pour se réveiller était un signal à chacun de leurs passages dans les parages au moyen de jets de pierres, ou de granulés contre les murs, ou les toits, un message qu’eux seuls comprenaient. Nouara, qui était âgée à peine de 13 ans, mais a l’esprit de curiosité très développé, entendait le bruit sourd des impacts, mais pensait, comme tous les autres adultes profanes en la matière, qu’il s’agissait de bandits qui testaient la vigilance des habitants tant le secret était jalousement gardé entre les membres de la rébellion. Ce qui n’empêcha pas du reste les services de propagande de l’administration coloniale qui tentaient de les discréditer aux yeux des civils, de s’ingénier à répandre la hantise au sein des populations de ceux qu’ils affublaient du qualificatif de Fellaghas. Ils leur donnaient même le doux nom d’égorgeurs.

 Mais très vite la population découvrira qu’il ne s’agissait au contraire que d’une organisation des Moudjahidines, décidée à en finir une fois pour toutes avec ces envahisseurs qui devenaient de plus en plus indésirables.

L’armée rappelait les réservistes autochtones pour ne pas dire la chair à canons que représentait ce réservoir d’indigènes. Les nouvelles recrues étaient cueillies dans les Djemââs, les souks et les cafés maures.

Abdellah quant à lui, eu égard à son passé militaire, sera activement recherché par la gendarmerie coloniale pour être réintégré à la compagnie de chasseurs alpins campée depuis 1956 à Agouni Adella. Convoqué à maintes reprises, mais au lieu de prendre le chemin de la caserne du Roumi, il lui a préféré la direction opposée : celle des maquis escarpés de l'ALN.

Et cet homme qui avait fait ses classes dans une armée moderne ne tardera pas à attirer l’attention des premiers responsables de la rébellion, en particulier de Amar Ait Cheikh, dont il deviendra un compagnon inséparable. Dès les premières années de l’insurrection il se fera remarquer par ses exploits aux cotés du légendaire baroudeur Da Amar dit Si Salah. Ils combattront ensemble et porteront des coups durs à l’ordre colonial au point ou leurs familles, en guise de représailles feront l’objet de harcèlements incessants, de torture, d’assassinats. Leurs biens et leurs demeures seront mises à sac ou carrément incendiés.

 Leur détermination à chasser l’occupant ne leur laissera aucune alternative que celle de combattre et de mourir pour la liberté. Ces deux icônes de la révolution tomberont, trop tôt pour la cause juste du peuple, cote à cote dans un combat acharné qu’ils livreront aux troupes des 1ere, 2eme et 3eme compagnies des chasseurs alpins réunis dans un vaste ratissage au cœur des maquis escarpes situés entre les villages Ait Antar et Ibelkissen. D’autres combattants tomberont également sous le feu nourri de fusils mitrailleurs durant ce vaste ratissage organisé sur instigation d’un collaborateur qui venait de rallier les forces ennemies. Il s’agit de Mohamed Ath Meddour, un kabyle et néanmoins rescapé de l’armée française de la campagne d’Indochine. Nous étions le 11 Aout 1956. Abdellah venait d’avoir ses 22 ans.

Les conditions exactes de la mort de ces deux piliers dans la révolution de la région de la Haute Kabylie sont détaillées dans l’ouvrage intitulé : « Les Maquisards de la première », paru aux éditions Media Index en 2017. Nous y reviendrons plus en détail sur les circonstances du ralliement de cet ancien enrôlé de l’armée française qui avait réussi à arracher le grade de sergent avant sa démobilisation et son retour au bercail.

Allaoua, quant à lui, n’avait que 17 ans lorsqu’il a été arrêté et incarcéré pendant quelques jours, le temps que dureront les séances de supplice infernal pour lui soutirer des renseignements sur les maquisards. Torturé à mort, il ne parlera pas. A l'issue de 8 jours de sévices subis à l’intérieur de la caserne militaire, sans donner signe de vie, il sera ramené au village où il sera soumis à l’épreuve de la noyade, au bassin de la fontaine du village. Devant la résistance d’Allaoua, les militaires français emploieront la pire technique digne des bandits du Farwest. Ils l'obligeaient à creuser sa propre tombe. Une fois terminée, les soldats changeaient d’endroit pour lui intimer l'ordre de recreuser une autre tombe. Ainsi de suite, le forfait avait dura presque toute la journée, et c'est au total, 5 tombes qui furent creusées par l’infortuné. A l’issue de cette démonstration macabre, Il sera assassiné d'une rafale de mitraillette et jeté dans le trou de la dernière tombe qu'il venait de creuser, devant les regards ahuris des femmes et des enfants du village de Mourès qui avaient été obligés à assister à ce crime odieux…Nous étions le 25 mai 1957.

Rezki est né le 4 Aout 1930. Il est arrêté le 17 septembre 1956 et incarcéré a la prison de Berrouaghia ou il séjournera pendant 8 mois, puis relâché le ………... Il rejoint le maquis immédiatement jusqu’au mois de mai 1958 ou il sera arrêté sur dénonciation d’un bleu. Il devait être libéré, âpres que son innocence eut été prouvée, mais il succomba aux sévices la veille de sa libération des geôles de monts Zen d’Akfadou.

Salah est né en 1916. Il occupait, a ses débuts, le poste de chef de front, puis rejoindra ses frères de combat au sein des troupes de l‘ALN. Il combattra jusqu’a début 1961 date a laquelle il sera capturé. Il fera partie de ces maquisards que l’armée coloniale française fera disparaitre a jamais. Pour ses parents et proches, Salah est considéré comme martyr, sans avoir fait leur deuil de cet homme affable et aime de tous.

Nouara elle, était considérée comme la pièce maîtresse de la base logistique de l'ALN pour ce qui est de l'ordinaire et du renseignement. Elle opérait dans le refuge avec abri de Tanalt avec en surcroît une garantie de taille, eu égard à la position qu'elle occupait au sein d'une famille entièrement acquise aux idéaux de la lutte de libération. Normal qu'elle soit donc devenue une plaque tournante de l’activisme révolutionnaire dans ce village qui a fini par acquérir la renommée de fief des Maquisards. En effet, c'est aussi dans ce petit village de Marabouts, Mourès, que les plus hauts chefs de la rébellion trouvaient refuge, nourriture et sécurité. Le colonel Nasser dit l’officier SS, Krim Belkacem, Amirouche y’avaient a maintes reprises séjourné ou fait une halte en toute sécurité.

Nouara finira par être donnée aux services de renseignements de l’armée française et recherchée activement. Arrêtée, elle sera enlevée et dirigée par les soldats de la 1eme compagnie du 6eme BCA, vers le camp d’Agouni Adella. Le groupe commando de l'ALN, dirigé par Marzouk Boukhoulaf, un déserteur de l’armée française de la première heure, parmi ses 4 autres compagnons de la 3eme compagnie du 6eme BCA de Ait Hichem, était dans les parages quand les deux sections en charge du ratissage dans la région, rejoignaient leur bivouac, accompagnées de leur otage, la jolie jeune femme âgée d’à peine 18 ans. Mais la surprise les attendait sur le chemin du retour et, quelques encablures les séparaient seulement de leur base quand le groupe commando surgit de nulle part, et les intercepta, déversant sur eux quelques salves de fusils garants, histoire de leur envoyer le signal d'avertissement que le combat pouvait devenir meurtrier s’ils ne renonçaient pas a leur initiative d’interner Nouara, leur otage.

" Couchez-vous! lança le lieutenant Bobyle a ses soldats, les fellaghas nous attaquent!"

La panique qui s'empara des soldats ne leur laissa pas le temps de comprendre ce qui se passait pour riposter efficacement, se contentant de chouffer alentour en se camouflant derrière des arbres nombreux a cet en droit. Ils observaient et écoutaient le moindre mouvement et crépitement de ces redoutables fusils garants ramenés de la 3eme compagnie du 6eme BCA par justement ces assaillants à l’occasion de leur désertion, la moindre source des projectiles. Pendant tout ce temps que durait le suspens, meublé par des tirs sporadiques et des silences assourdissants, la femme qui accompagnait le détachement militaire réussit à s’échapper.

A peine quelques minutes se sont écoulées que deux avions chasseurs bombardiers, des T6, se mettent de la partie. Ils commencèrent à raser le flanc du relief escarpé, sans repairer leurs cibles. Ils n'auraient sans doute pas reçu l'ordre de tirer car n'avait pas fixé leur objectif en raison de l'absence des fameux piper. La jolie femme quant a elle avait dans sa tête quelques ingrédients du langage code de la communication militaire. Elle brandit son foulard, d'une main qu'elle se mit à exhiber au dessus de sa tête, et de l'autre elle vidait le contenu de son ichioui, des oranges qu'un soldat lui avait auparavant ordonné de transporter sous sa robe contre sa poitrine.

Elle s’enfuit à travers les hautes végétations faites de ronces, et d’épineux, cinglant en direction d'un hameau qui lui apparaissait a travers les feuillages de frênes et d’ormeaux.

Se sentant loin du danger, dans une course effrénée, elle profita pour s’éloigner de la scène ou régnait le sauve qui peut. Les soldats français ne l'avaient pas oubliée même s'ils l'avaient totalement perdu de vue, puisque le lieutenant qui avait constaté son absence eut cette réflexion qui rappelle à bien des égards le sens de l'honneur de ces montagnards kabyles:

" J’aurais été moins frustré, humilié, si c’était un soldat que les fellaghas nous auraient tué, Mais je n'ai pas pu me faire à l’idée qu'ils nous aient arraché de nos mains cette femme!".

Marzouk Boukhoulaf était connu pour ses coups de mains contre les soldats français, opérés de jour comme de nuit. On se souvient de ce jour du mois de juillet 1959 au village Ait Ouatas quant cet intrépide combattant s’était mis à tirer sur les soldats français a partir du village Amnai, sous un soleil de plomb. la panique qu'il avait semé dans les rangs des soldats français, avaient permis aux villageois , femmes et enfants, rassemblés dans la cour de la mosquée de rejoindre leurs demeures, après une journée de privation de nourriture et d'eau, mais de la a arracher des mains de ses ravisseurs une jolie femme, de surcroît sœur de 4 maquisards, cela avait tout l'air d'un pied de nez adressés aux "icônes" de la lutte contre la rébellion...

Quelques dizaines de mètres plus loin, mais loin du lieu ou s’était déroulée l’embuscade, elle se trouva devant la maison d'une épouse d'origine française, Madeleine, qui lui ouvrit la porte, l'invitant à se cacher chez elle. Le groupe de Marzouk Boukhoulaf se retira, les soldats de l’armée française retrouvèrent le calme qui leur permit de continuer leur chemin vers leur bivouac. Nous étions le 13 novembre 1958, malgré la mort qui sévissait sur cette partie de la planète, un enfant venait de naitre comme pour immortaliser le témoignage de cet événement historique sur un registre des naissances du village de Tanalt.

Depuis, Nouara entrera dans la clandestinité, et ira d’abri en abri, de maquis en maquis...

Extrait du livre :

                               LES BAROUDEURS DE KABYLIE

                               La Guerre franco-algérienne (1954-1962)

Auteur : Si Hadj Mohand Abdenour

Remarque: Tous les récits, les lieux et les noms cités dans cette œuvre sont authentiques

         


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