Les afficheurs déportés : état des lieux

Les afficheurs déportés : état des lieux

On ne présente plus Linky ! le compteur communicant déployé par Enedis pour remplacer les 35 millions de compteurs électriques. Ce nouveau dispositif visait notamment à optimiser le suivi de consommation par les foyers utilisateurs : s’ils le souhaitent (prélèvement et utilisation des données strictement encadrés par le Code de l’Énergie), ceux-ci peuvent désormais accéder à leurs courbes de charge, leurs index quotidiens de consommation, leurs puissances maximale et ainsi bénéficier d’une facturation sur leur consommation réelle, d’un suivi quotidien de leur consommation pour mieux maîtriser leurs dépenses énergétiques, bénéficier d’offres plus adaptées à leur consommation…

Cependant, pour réellement permettre des économies, indispensables aux ménages en situation de précarité énergétique, il était nécessaire d’accéder à la consommation électrique en temps réel, de donner des informations pertinentes et faciles d’accès. Ce que ne permettait pas le compteur Linky, qui, « tout seul, ne fait pas faire des économies d’énergie » selon Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables à l’Ademe en 2010.

Pour répondre à cette exigence et ainsi venir en aide à ces foyers, la loi du 17 août 2015 concernant la transition énergétique prévoyait la mise en place au 1er janvier 2018 d’un dispositif d’affichage déporté sur les compteurs Linky. Celui-ci, connecté au compteur et installé à l'intérieur de l'habitation, donc consultable à tout moment, devait permettre d’accéder à ses données de consommation en temps réel et en euros, de réduire ainsi le budget d’électricité mais aussi de participer à la démarche de transition énergétique en réduisant sa consommation.

Selon Jean-Louis Bal, ce dispositif devait permettre au consommateur de réaliser 5 à 15% d'économies. Malheureusement, son installation a été reportée pour des raisons de financement : en 2018, le ministère de la Transition écologique et solidaire chiffrait le projet à 272 millions d’euros.

Etat des lieux ! Pour ce faire, nous avons choisi de solliciter un expert de la question en la personne de Laurent Gautier, Directeur de projet chez ITNV et fin connaisseur des problématiques agitant le monde de l’énergie !


« ITNV : Nous venons de le voir, le projet d’installation des afficheurs déportés au sein des foyers en situation de précarité énergétique, estimés à 5,8 millions, est coûteux, alors pourquoi vouloir un tel dispositif ?

Laurent : Actuellement, sans un dispositif spécifique installé chez le client, les fournisseurs ne disposent que des données publiées par les GRD et principalement ENEDIS qui couvrent 95 % de la distribution d’électricité en France.

Les données les plus fines publiées par ces GRD sont les points de puissance 30 minutes pour les clients particuliers et petits professionnels et des points de puissance 10 minutes pour les entreprises. Ces données sont publiées vers les fournisseurs en générale 1 à 2 jours après avoir été collectées par le GRD.

Avec un dispositif de type afficheur déporté, le fournisseur dispose de données de puissance et de consommation d’une finesse très précise. La réglementation impose d’afficher la puissance actualisée toutes les 5 secondes (ITNV : Ah quand même ! ). Oui ! de plus ces données sont collectées quasiment instantanément. Dans la réalité et pour des raisons techniques, les informations sont transmises par blocs à intervalles différents selon la solution choisie et peux varier entre 30 secondes et 30 minutes.


ITNV : Concrètement, comment ce dispositif fonctionne-t-il ?

Laurent : Eh bien il est proposé par les fournisseurs d’électricité (et de gaz naturel) aux clients bénéficiant du chèque énergie, raccordés au réseau continental interconnecté et équipés d’un dispositif de comptage communicant.

Il permet un accès aux données au moyen d’un équipement permettant d’assurer un affichage via :

– une application digitale, 

– une interface de programmation d’application 

– ou un service web. 

Pour l’électricité, l’offre comprend un émetteur radio à brancher sur le compteur du consommateur. L’accès aux données en temps réel s’effectue au domicile du consommateur et, détail important, l’affichage de ces données n’est pas conservé au-delà des périodes temporelles déterminées dans l’arrêté prévu à l’article D. 124-25.

La fourniture de ces services et de ces dispositifs est évidemment proposée aux usagers gratuitement.


ITNV : Plus précisément, à quelles informations l’afficheur déporté donne-t-il accès ?

Laurent : Pour l’électricité, les informations devant être disponibles, selon le décret, sont en synthèse les suivantes : 

  • Éléments de puissances

-Puissance instantanée actualisée toutes les 5 secondes

-Puissance max depuis le début du mois

-Puissance max depuis le début de l’année ou début du contrat si postérieur

-Courbe d’évolution de la puissance moyenne sur la dernière heure toute les minutes

-Courbe d’évolution de la puissance moyenne depuis le début de la journée (pas de temps adapté)

  • Éléments de consommations en kWh et en euros :

-De la dernière heure

-Depuis le début de la journée

-Du mois en cours

-Depuis le début de l’année ou du début de contrat si postérieure


ITNV : Beaucoup de données donc...Comment sont-elles collectées et traitées ?Laurent : Le dispositif est constitué de plusieurs éléments :

Une partie équipement et une partie infrastructure informatique pour la collecte et la transmission et une partie solution pour le traitement (calcul et affichage). Plus précisément :


L’équipement est constitué d’une prise ERL (Émetteur Radio Local) Wifi connecté au compteur, très majoritairement Linky, qui permet de collecter les informations et les transmettre localement ou à distance.

L’infrastructure informatique est composée d’un serveur applicatif et de services permettant de collecter les données des compteurs équipés d’ERL et de les transmettre vers des applications tierces.

La partie solution se compose d’un module de transformation des données pour agréger les consommations à la maille souhaitée et d’un module d’affichage de type portail web, brandé aux couleurs du fournisseur.


A noter que pour mettre à disposition cette offre, le fournisseur doit souvent faire appel à différents contractants : un pour la partie équipement, un pour la partie infrastructure et un pour la partie solution.


ITNV : Coûteux donc et relativement contraignant pour les fournisseurs…Cette solution a fait ses preuves ?

Laurent : L’afficheur déporté est assurément un moyen efficace pour maitriser sa consommation mais également sa facture. L’hypothèse est que la visualisation de sa puissance en temps réel et de son évolution permettra d’alerter le client qui pourra alors prendre les mesures nécessaires : soit agir sur son installation intérieure soit sur la part fixe de son tarif. Prenons un exemple : le client constate que sa puissance maximale depuis le début de l’année est de 5kVA alors qu’il dispose d’un abonnement de 12 kVA. Il peut demander à son fournisseur la baisse de son abonnement à 6 kVA, ce qui diminuera la part fixe de son abonnement.

Dans le même sens, la visualisation de l’évolution de sa consommation en kWh et en euros permet d’agir rapidement, de se fixer des objectifs et de les suivre ou bien d’adapter son tarif. A titre d’exemple, si le client constate que sa consommation est plus élevée le week-end qu’en semaine et plus faible dans la journée que le soir, il peut demander à son fournisseur un changement d’offre (Passage de Base à HP/HC ou bien heure week-end si le fournisseur le propose).

Au-delà des clients en précarité énergétique pour qui ce service est gratuit, les fournisseurs peuvent également proposer le dispositif aux clients qui souhaitent une meilleure maitrise de leurs consommations moyennant un prix d’abonnement.

La quasi-instantanéité de la mise à disposition des informations permet aux fournisseurs la mise en œuvre de nouveaux services et conseils : on peut par exemple imaginer une génération d’alertes si la puissance varie de manière « anormale » et informer rapidement le client sur une suspicion d’intrusion ou une installation qui aurait disjoncté en son absence.

La finesse des données permet également une meilleure analyse de la consommation.

Cette finesse d’information liée au profilage du client peut permettre de proposer des services d’analyse de classification des appareils consommateurs, de définition d’objectifs de consommation et d’autres services qui sont encore à imaginer… »


Si l’efficacité des afficheurs déportés comme moyen d’optimiser sa consommation est réelle, son installation, pourtant encadrée par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, tarde à venir… Initialement prévue en janvier 2018, puis retardé d’un an, le 7 janvier 2021, la CRE annonçait une nouvelle date, fixée au 1er juillet 2022 :

30/07/2022 : Date limite d’envoi des offres au ministère pour validation

01/10/2022 : Envoi de la proposition d’offre aux clients

6 semaines : Délai maximum pour la mise en service du dispositif

Tous les ans avant le 30 mars : Statistiques à transmettre au ministère chargé de l’énergie :

·      Nombre de clients éligibles

·      Nombre de sollicitations adressées

·      Nombre d’offres effectivement mises à disposition


Au vu des délais et du contexte économique au niveau de l’énergie, on peut se demander si tous les fournisseurs seront au rendez-vous !

Dans un premier temps, limité à des boitiers locaux communicants par ondes radios, le contexte règlementaire a permis d’ouvrir la solution à des solutions Web communicants par Wifi mais comment faire si le client ne dispose pas de réseau Wifi ? Le fournisseur devra-t-il disposer de 2 solutions ?

Si l’afficheur déporté comme moyen de maîtriser sa consommation parait efficace, le résultat dépendra essentiellement de son usage. Si l’on dispose d’un écran, d’un portail ou d’une application web qui affiche pleins d’informations mais que l’on ne s’en sert pas ou que l’on ne sait pas s’en servir, le résultat ne sera pas atteint.

Dans la continuité de cette réflexion on peut également s’interroger sur l’impact des afficheurs déportés sur la diminution de la consommation globale des ménages. Limité aux clients en précarité énergétique l’impact sera très faible. On peut se demander si ce dispositif a vocation à être étendu ou s’il s’agit principalement d’un moyen de maitriser sa facture… ?

Affaire à suivre...

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