Les pays de l’hémisphère Sud sont-ils en mesure de proposer les dernières innovations thérapeutiques à leurs malades ?

Très souvent, les médecins hospitalo-universitaires algériens assistants à une manifestation scientifique internationale ou séjournant dans un service de pointe pour acquérir une technicité, reviennent frustrés car ne pouvant développer dans leur service la technique qu’ils ont acquis ou l’introduction d’une nouvelle molécule dans le traitement d’une affection donnée.

Cela n’est pas propre à l’Algérie mais concerne la majorité des pays de l’hémisphère Sud voire même certains pays de l’hémisphère Nord. 

Je me rappelle d’un séjour effectué, dans les années 90, au CHU Lyon-Sud (Pr. Gilly) pour acquérir  la technique de chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP) associée à la péritonectomie dans le cadre du traitement de la carcinose péritonéale. A mon retour à Alger, il a fallu dans un premier temps convaincre mes collègues tant chirurgiens qu’oncologues médicaux qui étaient à l’époque très réservés (pour ne pas dire pas du tout convaincus). Mais l’obstacle principal à la mise en application de cette technique au niveau du service que je dirige était d’ordre financier. En effet, et jusqu’à ce jour, je n’ai pu convaincre l’administration tant de l’hôpital que l’administration centrale pour l’acquisition de l’appareil permettant de réaliser la CHIP. Et c’est « la mort dans l’âme » que dans le service, on se contente, devant une carcinose opérable de réaliser, outre la péritonectomie, une chimiothérapie intrapéritonéale  périopératoire immédiate  (CIPPI), du moins lorsque nous pouvons disposer des drogues antimitotiques classiques (ce qui n’est pas toujours le cas d’une part, et avec des résultats moins bons que ceux obtenus avec la CHIP). Le même problème s’est posé pour une éventuelle acquisition d’un appareil d’électroporation (Nanoknife). Je suis heureux que le chef de service de chirurgie du CAC de Batna ait pu profiter de l’équipement de ce nouveau Centre Anti-Cancer pour acquérir aussi bien l’appareil pour la CHIP que l’appareil « microwaves ». Cela lui permettra de traiter des patients métastatiques alors qu’un traitement antimitotique seul n’aurait été qu’à visée palliative. Ces innovations technologiques améliorent l’efficacité des soins mais elles sont coûteuses. Leur diffusion génère des dépenses supplémentaires et leur efficacité contribue à augmenter le nombre de patients qui en bénéficient.

Dans le domaine de la cancérologie, les résultats  des thérapies traditionnelles (chirurgie, radiothérapie  et chimiothérapie) sont modestes, en particulier ceux de la chimiothérapie qui n’amélioreraient la survie globale, en générale que d’un peu plus de 2% selon Greane Morgan et col. « « The contribution of cytotoxic chemotherapy to 5-years survival in adult malignancies, Clinical Oncology ».

Mais ces dernières années, l’émergence des thérapies ciblées et de l’immunothérapie a bouleversé le traitement de nombreuses localisations néoplasiques ainsi que celui de  différentes maladies chroniques (polyarthrite rhumatoïde, asthme allergique, maladie de Crohn ….). Ces nouvelles thérapeutiques permettent une personnalisation des traitements et une chronicisation de la maladie cancéreuse en allongeant la durée de survie mais font exploser les coûts des soins.

Selon le DG de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH), sur  l’ensemble de la facture de la PCH (qui gère 80% de la facture du médicament), « la part des médicaments anticancéreux est de 43%, tandis que 20% vont aux médicaments d’hématologie. Sur une facture donc de 88 milliards de dinars, les traitements liés à ces deux maladies coûtent la bagatelle de 45 milliards de dinars ». Le budget de la santé et donc celui de la PCH n’est pas extensible : une augmentation de la part revenant aux médicaments anticancéreux se fera nécessairement aux dépens de la part revenant aux  produits pharmaceutiques destinés à toutes les autres pathologies. Les coûts de ces médicaments anticancéreux innovants peuvent également avoir des effets sur l’économie du pays dans la mesure où leur contribution au coût total du système de santé devient potentiellement inacceptable. La maîtrise des dépenses publiques de santé demeure une préoccupation centrale tant du ministère de la santé que du gouvernement. La « demande sociale » qui est reliée à Internet et qui est donc informée des dernières avancées de la science médicale, doit  « comprendre que ce qui est techniquement possible, n’est pas financièrement réalisable. Il faut des outils de choix collectifs pour savoir ce que la collectivité finance prioritairement ».

A l’heure où plusieurs indicateurs macro-financiers sont dans le rouge, où le FMI recommande à l’Algérie d’abandonner le recours à la planche à billet en 2019 et de poursuivre le plan de réduction du déficit budgétaire (8,8% en 2017), réduction qui est déjà palpable dans l’équipement de nos hôpitaux ces dernières années, peut-on demander  l’introduction de l’hormonothérapie dans l’arsenal thérapeutique ? 

Certes l’’immunothérapie recèle un énorme potentiel et des bénéfices significatifs ont été enregistrés pour certaines localisation cancéreuses à des stades bien précis.

Quel est le juste prix d’une intervention qui peut prolonger la vie ? La question est morale mais aussi politique.

Si les médecins et à fortiori les chefs de service d’oncologie médicale peuvent interpeler la tutelle pour l’introduction de ces molécules, il me semble quand même qu’une présidente d’association de malades n’a pas à « insister sur la  nécessité de délivrer des autorisations temporaires d’utilisations (ATU) pour certains produits non disponibles et non encore enregistrés en Algérie". » L’enregistrement de tout médicament obéit à un nombre de conditions, dont le service médical rendu sur la base du rapport coût /efficacité, entre autres, ce qui n’est pas dans les compétences ou les prérogatives d’une association de malades ! Pour l'association Médecins du monde, "L'Etat est soumis à la pression des soignants, des prescripteurs, en particulier à l'hôpital, qui veulent utiliser ces nouvelles molécules. En dehors des médicaments anticancéreux, les dépenses de santé ne cessent d’augmenter. Avec l’inflation et l’augmentation du déficit budgétaire (9,7% en 2018 et 10,1% en 2019), arrivera forcément le moment où l’accès des  patients aux traitements  innovants ne sera pas  possible, si les multinationales du médicament maintiennent les prix exorbitants actuels. Il faut le reconnaitre, la hausse des prix des médicaments innovants, en particulier des anticancéreux, est devenue insoutenable non seulement pour l’Algérie et les pays de l’hémisphère Sud mais même pour  les pays riches :

- Aux USA, le prix moyen d’un nouveau médicament anticancéreux peut dépasser 100 000 USD par an ou par cours de traitement. Si les pays dits riches arrivent encore à faire face à de tels montants, il n’en est pas de même ailleurs.

- En Grande Bretagne, le NICE (National Institute for Health and Care Excellence), a décidé de ne plus prendre en charge des médicaments certes innovants mais qui n’apportent que quelques semaines de survie.

- En Europe, Un concept d’analyse du bénéfice a été conceptualisé par l’ESMO (European Society for Medical Oncology).  L’échelle de mesure de l’amplitude du bénéfice clinique (Magnitude of Clinical Benefit Scale (MCBS)  créé pour donner un aperçu du degré d’amélioration clinique des nouveaux médicaments approuvés par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) dans des contextes curatifs ou palliatifs permet de qualifier les médicaments sur la base des essais cliniques conduits. L’objectif de cet outil est d’identifier les médicaments nouvellement approuvés qui devraient être remboursés dans toute l’Europe avec un accès rapide, et faciliter un débat critique sur la disponibilité de médicaments contre le cancer dont l’impact objectif n’a pas le même niveau de priorité.

-  En France, on considère que l’équilibre du modèle de santé est menacé et l’accès aux soins risque d’être porteur d’inégalités dans les années à venir. C’est la raison pour laquelle une réflexion est engagée sur la possibilité d’élargir la durée des brevets et de diminuer ainsi le coût des médicaments , voire d’imposer  la licence d’office obligatoire (autorisation de mise sur le marché de génériques pendant la durée du brevet pour obliger les firmes pharmaceutiques à baisser les prix). Le prix de mise sur le marché dépend, pour l'essentiel, de ce que les pouvoirs publics parviennent à négocier avec les laboratoires. L’ancienne ministre de la Santé française, Marisol Touraine, avait même annoncé que la France allait saisir le G7 pour "faire pression" collectivement sur l'industrie pharmaceutique, afin de trouver des compromis acceptables aussi bien pour les systèmes de santé que pour les industriels.

 Les Pays En Voie de Développement (PEVD), ne devraient-ils pas faire de même pour pouvoir faire bénéficier leurs malades de ces traitements ? L’expérience des médicaments contre le VIH, avait  montré qu’on peut imposer la transparence aux firmes pharmaceutiques et aller vers le prix juste.  


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