Les réseaux sociaux posent la question de la polyphonie

Les réseaux sociaux posent la question de la polyphonie

Oswald DUCROT, linguiste du 20ème siècle élabore, dans le chapitre VIII intitulé «Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation », tiré de l’ouvrage Le Dire et le dit, une théorie polyphonique de l’énonciation en collaboration avec Jean-Claude ANSCOMBRE linguiste français et directeur de recherche au CNRS. Il remet en cause le postulat de «l’unicité du sujet parlant » ancré dans la tradition linguistique où «chaque énoncé possède un et un seul auteur ». Il évoque les travaux de Mikhaïl BAKHTINE sur la reconnaissance d’une multitude de voix parlant simultanément dans les textes de littérature populaire, mais critique le fait que cette application soit limitée au texte et plus précisément à une suite d’énoncés. Cette question de la polyphonie semble étroitement liée à la manière de communiquer sur les réseaux sociaux.

Pour Oswald DUCROT, il faut isoler l’énoncé. Il donne pour premier exemple, une étude américaine réalisée par Ann BANFIELD, en 1979 sur le style indirect libre. Cette dernière y voit l’expression d’un point de vue, lequel peut ne pas être celui de la personne qui est effectivement, empiriquement, l’auteur de l’énoncé et elle emploie le terme de « sujet de conscience » pour désigner la source de ce point de vue. Deux principes qui défient la polyphonie sont présents : un énoncé a un sujet de conscience, et si ce sujet de conscience n’est pas l’auteur empirique de l’énoncé alors il n’y a pas de locuteur. Le point positif selon Oswald DUCROT sur cette étude est la distinction faite du locuteur « l’être désigné dans l’énoncé comme son auteur » et du producteur empirique « être qui n’a pas à être pris en compte par une description linguistique préoccupée seulement des indications sémantiques contenues dans l’énoncé. ».

En revanche, le point négatif est le souci premier de maintenir le postulat comme une « donnée de bon sens » : « on ne peut pas, dans un énoncé que l’on présente comme le sien, exprimer un point de vue qui ne serait pas le sien. » Oswald DUCROT propose pour sa théorie de la polyphonie, une construction avec un cadre général qui serait une extension à la linguistique de Mikhaïl Bakhtine sur la littérature. Cela amène donc à définir le domaine de recherche, ce qu’il appelle la « pragmatique linguistique ou la pragmatique sémantique ».

Cette dénomination est plus appropriée que celle de « pragmatique du langage » qui a pour objet d’étude, l’action humaine. L’auteur le définit comme le « discours censé faire l’objet d’un choix unique, et dont la fin, par exemple, est déjà prévue par l’auteur au moment où il rédige le début ». L’énoncé d’un texte se veut donc être un choix. Il est observable, et est une « occurrence hic et nunc d’une phrase ». Par exemple, « il fait beau», il y a deux occurrences dans la même phrase selon l’emploi qui sera fait de cette phrase. Le discours est « un phénomène observable constitué d’une suite linaire d’énoncés ». Le sujet parlant définit le discours comme une succession de segments qui sont choisis de façon « relativement autonome » les uns des autres.

Ainsi, pour interpréter le discours, il faut reconnaitre des actes et attacher un sens à l’énoncé qui est un ensemble d’indication sur l’énonciation. Si on admet dans le discours, un énoncé unique, il faut y voir l’objet d’un choix unique par le sujet parlant. Oswald DUCROT introduit alors la notion d’ « autonomie relative » et la caractérise ainsi: « la satisfaction simultanée de deux conditions, de cohésion et d’indépendance ». Pour les auteurs, « il n’est pas possible d’accomplir un acte de langage par le seul fait que l’on déclare explicitement l’accomplir ». Le fait de dire « Merci » et « Je te dis merci » ne relève pas de la même signification. Pour ce qui est de l’énonciation, Oswald DUCROT parle de trois acceptions dont la troisième est celle qu’il retient : « Activité psycho-physiologique impliquée par la production de l’énoncé », « Produit de l’activité du sujet parlant, c'est-à-dire un segment de discours, ou, en d’autres termes, ce que je viens d’appeler « énoncé », « Evènement constitué par l’apparition d’un énoncé.

La réalisation d’un énoncé est en effet un évènement historique : l’existence est donnée à quelque chose qui n’existait pas avant qu’on parle et qui n’existera plus après ». Ainsi, « l’énonciation est une réaction déclenchée par la représentation d’une situation mais le fait de se représenter cette situation est donné comme le produit d’une décision conversationnelle. »

Quant à la signification, ceci est le fait de caractériser de façon sémantique une phrase, le sens est la caractérisation sémantique d’un énoncé, « le sens comme une description de l’énonciation. Ce que communique le sujet parlant au moyen de son énoncé c’est une qualification de l’énonciation de cet énoncé. » Pour l’auteur, le sens est asserté à l’énoncé.

L’objet propre d’une conception polyphonique du sens est de montrer la superposition de plusieurs voix signalé par l’énoncé dans son énonciation. La distinction faite entre signification et sens est au niveau du statut méthodologique car le sens appartient au domaine de l’observable, au domaine des faits, et est une différence de nature car la signification n’est pas une partie du sens, « c’est un ensemble d’instructions données aux personnes qui ont à interpréter les énoncés de la phrase, instructions précisant quelles manœuvres accomplir pour associer un sens à ces énoncés. » .

Ainsi, le sujet parlant accomplit des actes en transmettant à l’interlocuteur un savoir sur sa propre énonciation. Les propriétés du sujet sont les suivantes ; il est chargé de toute l’activité psycho-physiologique nécessaire à la production de l’énoncé, il est l’auteur à l’origine dès actes illocutoires accomplis dans la production de l’énoncé. Ces propriétés devenant problématiques lorsqu’il y a une forme de reprise de l’énoncé.

La thèse de Oswald DUCROT sur la polyphonie est expliquée à la page 193 du chapitre : « J’ai explicitement refusé d’y introduire l’idée d’un producteur de la parole [...] La thèse que je veux défendre ici est qu’il faut distinguer parmi ces sujets au moins deux types de personnages, les énonciateurs et les locuteurs ». Le locuteur est celui qui prend la responsabilité de l’acte véhiculé par l’énoncé. Selon Oswald DUCROT, le locuteur est «l’être de discours », représenté comme « une fiction discursive » et le sujet parlant est un « élément de l’expérience », ce qu’il appelle « l’être empirique ». Il distingue à l’intérieur de la notion de locuteur, « locuteur en tant que tel »et «locuteur en tant qu’être du monde ». Le premier, est le responsable de l’énonciation, il appartient au commentaire de l’énonciation fait globalement par le sens. Le second, est la personne « complète » à l’origine de l’énoncé, il appartient à la description du monde faite par les assertions intérieures au sens.

Cyndie GUEZ

Tony Canadas

Consultant télécoms chez Davidson consulting et Fondateur VTV Vie Terre et Vision, Auteur engagé, Associé Team for the Planet et Mentor chez GaiaConnect

6 ans

Une tribune intéressante.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Cyndie GUEZ

Autres pages consultées

Explorer les sujets