LES RENDEZ VOUS Radio 'Génération 2000'​ -19h15- Mr Jean-Francois Gravier - 1984

LES RENDEZ VOUS Radio 'Génération 2000' -19h15- Mr Jean-Francois Gravier - 1984

Transcription audio réalisée avec MediaSpeech(R) d'une interview de Jean François GRAVIER, mon grand père, pour la publication du livre l'Espace vitale en 1984, deuxième suite de "Paris et le Désert Français".

TC : mon invité Jean-François Gravier qui a été conseiller du Commissaire Général au Plan, membre du Conseil économique et socia,l il a été professeur au Conservatoire national des arts et métiers et avait la chaire d'aménagement du territoire de 1965-1983 .

Il s'agira donc d'aménagement de l'espace aujourd'hui en compagnie de Jean-François gravier

Il va être question d'aménagement du territoire et on peut tout d'abord constater que finalement ce mot ‘aménagement’ est un mot récent puisque dans le dictionnaire de la fin du 19e siècle l'aménagement on avait qu'une signification qui concernait les forêts n'est-ce pas ?

JFG : Exactement c'était un mot agricole et forestier et il n'a pris son sens actuel qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en France. Quand je suis arrivé au ministère de la construction avec Raoul Dautry au début de 1945, il existait un service de l'aménagement du territoire qui était né très peu de temps avant les précurseurs qui ont été les Anglais : la notion de Town and Country plannings qui correspond à notre aménagement du territoire est né chez eux en 1939 avec un rapport bien connu des spécialistes qui s'appelle le rapport Barlow.

TC : Alors si le mot et la science sont récents on peut quand même dire que les hommes à partir du moment où ils sont sortis des cavernes et où les habitations leur était imposé par la nature pour construire des huttes, ont commencé à aménager ce territoire et plus ou moins bien depuis des siècles ?

JFG : Oui on peut dire qu'ils ont commencé à l'aménager à partir du moment où ils sont devenus sédentaires, c'est-à-dire à partir du néolithique et je crois qu’il est tout-à-fait significatif que nous ayons une ville qui résume en somme toute cette évolution : c'est Géricault, la fameuse Géricault des trompettes. On y trouve en effet en même temps les 1ers tombeaux, parce que l'homme quand il n'était pas sédentaire ne pouvait guère honorer ses morts, et on y trouve les 1ers temples, on y trouve la 1ère déesse, etc etc, outes les marques sur l'espace qui constituent le début de l'aménagement du territoire, avec bien entendu les fortifications, et les 1ères traces de palais. J'ai essayé de montrer dans le 1er chapitre également que les 1ers aménageurs conscients ont été Les Rois des rois : les grands Rois Perse : Cyrus, Darius qui ont vraiment bâti le 1er empire mondial, qui ont créé consciemment le 1er réseau routier, aménagé les 1ères unités régionales, et en même temps développé les équipements agricoles l'irrigation etc. Même Darius a été le 1er à creuser l'embryon de ce qui devait devenir le canal de Suez !

TC : Alors ensuite est en remontant le temps, enfin en revenant plutôt vers notre époque, il y a eu les Grecs, bien sûr les Romains. De ces deux civilisations, la grecque et la romaine, quelle a été celle qui a le mieux pris en compte l'aspect d'aménagement du territoire le plus intelligemment ?

JFG : Sans aucun doute la civilisation romaine. Les Romains ont structuré l'espace, comme on dit aujourd'hui, par leur réseau de routes, et c’est évident que ces routes qui n'étaient pas seulement des lieux de circulation, mais étaient des lieux de rassemblement, de rapprochement social.

Et puis aussi par leur conception des villes et il est amusant de constater que la conception romaine de la ville est en quelque sorte opposée à celle du Moyen-Âge et des temps modernes jusqu'à une époque rapprochée, parce que on ne concevait la ville que solidaire de la campagne environnante.

J'ai cité l'exemple de Lutèce qui est évidemment le plus proche de nous et qui est un des plus éloquents et tous les monuments de Lutèce, les temples, les termes le forum, était conçus pour être fréquenté, non pas seulement par les 8 ou 10000 habitants que comptait cette petite ville alors, mais par les 60000 habitants du peuple des Parisis : c'est c'était vraiment le lieu de rassemblement à la fois citadins et des campagnards. Il y avait une solidarité ville-campagne qui était très étroite et en même temps dans tous ces monuments, toutes ces structures urbaines étaient des lieux de romanisation. C'est pénétrer le mode de vie Romain, « Roman way of life », on dira par ces termes » par ses forums, où on pouvait se rassembler à Lutèce 15-20000 personnes ou se côtoyait tout le monde pour profiter des mêmes équipements, des mêmes loisirs. Vraiment je crois que la civilisation romaine a marqué d'une façon indélébile à la fois les modes de vie urbains et ruraux et les centres de culture territoriales.

J'ai vraiment insisté sur la filiation extraordinaire entre les cités romaines. La cité est à la fois l'ancien peuple gaulois et c'est à la fois la ville et la campagne environnante entre la cité gallo-romaine et les unités modernes et dont la filiation qui s'est établie grâce à l'Eglise. Parce que l'Eglise a installé ses évêques, ces archevêques ensuite dans les cadres idéals laissés par Rome

TC : Jean-François Gravier, vous avez fait un distinguo précis entre le système d'urbanisation et d'aménagement du territoire romain et vous avez semblé dire qu'à partir du Moyen-Âge on s'écartait du modèle romain au profit d'une urbanisation peut-être plus sauvage, à ce moment-là une organisation moins réfléchi ?

JFG : L'urbanisation sauvage n'a vraiment commencé qu’au début du XIXe siècle et en Angleterre avec la révolution du charbon et de la machine à vapeur. Jusque-là il y a eu évidemment un certain désordre urbain notamment au Moyen-âge mais qui tout de même est resté contenu par certaines règles, par certaines habitudes : la politique des comptes de Flandre en est un exemple frappant, mais à l'époque classique, on est revenu vraiment à l'architecture ordonnancée on a un suivi, on a renoué peut-on dire avec les traditions romaines, et nous avions un espace qui étaient parfaitement organisé, presque parfaitement organisé dans les nations occidentales à la fin du XVIIIe siècle

TC : Il n'empêche quand même que les récits sur les modes de vie au XVIIe siècle au XVIIIe siècle on parle déjà d'embouteillages, de choses nauséabondes, d'une qualité de vie dans la ville qui n'est pas qui est loin d'être parfaite ?!

JFG : oui c'est exact, mais on s'est employé assez vite à y remédier et c'est pour cela d'ailleurs que j'ai cité non pas le XVIIe siècle mais le XVIIIe siècle et plus encore sa seconde moitié. C'est à cette époque-là qu'ont été créés les grands équipements sanitaires et qu’on a fait de Paris une ville qui pouvait déjà soutenir la concurrence avec les villes équipements modernes.

TC : Mais à quel moment vous pensez que la ville a commencé à être construit en oubliant les besoins d'espace vital que vous évoquez c'est le titre de votre livre ?

JFG : Au XIXème siècle, c'est indubitablement liée la preuve de cette 1ère révolution industrielle et le mode de d'industrialisation de concentration industrielle avec l'argent remplaçant partout la naissance comme signe de supériorité, comme objectif essentiel. Ça a commencé vraiment avec le signe de cette 1ère révolution industrielle et d'ailleurs j'ai évoqué les affreux paysage industriel de l'Angleterre qui a été la 1ère nation touchée par la révolution qui a dominé vraiment le XIXe siècle au point de vue économique.

Et j'ai cité les observations de dizaine et centaines d'autres bien entendu. Tout le monde a été horrifié par le monde suburbains qui maissait de cette révolution économique et c'est d'ailleurs cette répulsion qui a provoqué la réaction en faveur d'un aménagement. De la même manière, au fond les misères des faubourgs industriels ont provoqué dans un tout autre domaine la ‘réaction de barques’ sous Proudhon, de la même manière plus tardivement d'ailleurs, ces mêmes horreurs suburbaines ont provoqué la réaction en faveur des ‘cités jardins’ la réaction en faveur d'un urbanisme différent. Tous ces mouvements urbanistiques qui se sont manifestés à partir 1800-1890 environ

TC : En France on a commencé à aménager donc à la fois ces routes et on a un petit peu l'impression que ceux qui étaient en charge de ce travail n'arrivait pas véritablement à se projeter dans le temps. On a un petit peu l'impression en France, lorsqu'on on a aménagé le territoire, que l'avenir c'était 5 ans, 10 ans, 15 ans et qu'on n'a jamais véritablement réussi à imaginer les besoins largement au-delà ?

JFG : vous avez tout à fait raison, les 1ères tentatives d'aménagement en France date de 1930, les 1ers projets d'aménagement de la région parisienne, qui ont d'ailleurs été élaboré par des architectes de grand talent, mais des architectes qui n'avait aucune formation économique ou qu'une vue prospective en matière économique et sociale, c'était des essais d'amélioration du paysage existant du cadre de vie existants, mais à très courte vue, il faut bien le dire.

TC : Les exemples sont nombreux, même que les Parisiens le vivent quotidiennement, c'est le boulevard périphérique que l'on commence à construire et il y aura le tunnel de Saint-Cloud et on est obligé d'en faire un 2nd etc

JFG : ça remonte plus loin, je dirais déjà Haussmann, caractérisé, contrairement à ce qu'on croit, par l'étroitesse de ses vues : c'est très simple : les avenues qu'il a tracées, ont 22 mètres de large, alors que les Champs-Élysées dessinés par Le Nôtre, tracés par le Nôtre, ont 70 mètres de large. Les grandes artères parisiennes, les artères vraiment qui restent fonctionnels, sont des artères qui date de la monarchie. Prenez tout le réseau d'avenues derrière les Invalides, prenez d'autres exemples encore ou Haussmann voyait petit. Et le meilleur exemple d'ailleurs c'est l'implantation des Halles de Baltard au cœur de Paris : il n'a même pas vu qu'il aurait fallu raccorder à la voie ferrée qui existait depuis 20 ans et qu'il aurait fallu raccorder à la voie ferrée ces halles qui amenaient un trafic énorme de tonnages

TC : Alors parmi les erreurs nombreuses qu'on fait ceux qui s'occupaient de l'aménagement du territoire il y a ceux qui s'occupaient des voies ferrées et qui ont eu l'idée aussi saute que saugrenue de faire des voies ferrées qui se terminent brusquement dans des gares… qui ne sont reliées entre elles ?

JFG : c'est le côté centralisateur, c'est une volonté politique délibérée, le réseau radio concentrique

Le Réseau ferré radio concentriques a été tracé par un nommé Le Grand et un ingénieur des Ponts. En même temps en 1840 42 il y avait eu 2 conceptions opposées : je me rappelle Raoul Dautry m'avait raconté cela il y avait une conception des grands ingénieurs des saint-simoniens qui souhaitaient que par le réseau ferré français on relie par priorité les bassins industriels au port, notamment pour des raisons économiques. Comme la « monarchie de juillet » était un régime qui se sentait fragile, qui se sentaient menacés, a l'a voulu au contraire créer un réseau politique servant à des fins policières c'est-à-dire un réseau en toile d'araignée autour de Paris desservant par priorité les préfectures de façon à ce qu'on puisse amener les forces de l'ordre des préfectures vers Paris et vice versa

La seule transversale qui a été ajouté au plan Le Grand, c'est assez amusant, c'est la transversale à Bordeaux Marseille et elle l'a été sur la demande d'un poète qui était Lamartine. C'est lui qui a fait ajouter la seule rocade ferroviaire admise à l'époque

TC : Et puis c'était le cas aussi le côté centralisateur qui faisait que tout devait passer par Paris de train en train de Brest à Lyon il faut faire des km

JFG : c'était une mentalité centralisatrice mais en ce qui concerne le réseau ferré n'est-ce pas cette volonté de relier par priorité des préfectures à Paris c'était le réflexe aussi d'un régime qui se sentait tellement menacé et d'ailleurs qui a fini par tomber en 1848 comme nous le savons …

TC : Donc très brièvement votre jugement sur les travaux du baron Haussmann ?

JFG : Eh bien globalement il est négatif parce que d'une part

TC : Excusez-moi c'est un avis partagé ?

JFG : C'est un avis très largement partagé par de très nombreux spécialiste de l'urbanisme, de très nombreux spécialistes de Paris. Je crois que c'est un avis qui n'est plus guère contestée maintenant quand on discute entre gens qui connaissent un peu la question.

D'une part il a massacré le centre de Paris d'autre part il a imposé une trame qui étaient contraires à la trame orthogonale traditionnelles de Paris des voix bien je n'entre pas dans le détail ça serait un peu trop long à expliquer, mais il y a quelqu'un qui avait très bien vu ça c'était Thiere qui avait dit les voies de Paris aboutissent naturellement à la Seine ou bien sont parallèles à la Seine.

Haussmann lui a tracé des choses genre des voix rue Lafayette, rue de Turbigo, etc. qui massacre, on peut dire, le tissu urbain, qui détruisent le tissu urbain, et puis enfin il a vu et étroit, et il a oublié qu'il était préfet de la Seine, il s'est occupé exclusivement de Paris intra-muros et il a totalement négligé la banlieue et cet abandon de la banlieue a duré jusque dans les années 1930.

On peut dire même jusqu'à une date encore plus proche parce que je ne crois pas que les grands ensembles qui ont été édifié dans les années 60, ce qu'on a appelé l'urbanisme pompidolien puisse être considéré comme une marque d'intérêt pour la banlieue

TC : Jean-François Gravier vous venez de nous donner les raisons politiques et économiques de la façon dont on a organisé le réseau ferroviaire français, les autoroutes : est-ce que le retard pris par le pays en matière d'équipements autoroutiers est lié à un manque de vue de volonté politique ?

JFG : Les politiques étaient peu motivés et c’était explicable par le fait que la France avait le meilleur réseau routier de l'Europe avec la grande route royale qui reprenait d'ailleurs souvent le tracé des voies romaines et qui avait été aménagé au XVIIIe siècle l'essentiel du réseau des routes nationales date du siècle de Louis XV.

Or on se disait nous avons d'excellentes routes, ce n'est pas la peine de faire des autoroutes de construire des autoroutes comme en Italie ou en Allemagne, où le réseau est tracé de bric et de broc, faits de chemins mal raccordés, sinueux etc

Quand il a fallu faire des autoroutes, où on a il y a eu cette tentation radio concentriques, mais heureusement, on a dépassé cette vue et là je dois tout même rendre hommage au travail de la DATAR, la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, qui en 1970 a réussi à obtenir en collaboration avec les ingénieurs des Ponts, un réseau autoroutier, enfin un schéma directeur routier, comme on l'appelle qui est très équilibré et qui permet vraiment aujourd'hui d'avoir en réseau et qui présente un aspect tout différent du réseau ferroviaire.

TC : Il y a quand même eu ce que certains appellent des flops je pense à l'autoroute Paris Strasbourg et je voudrais qu'on revienne un petit peu aux puissances politiques qui régissent un petit peu cet aménagement on sait très bien que si l'autoroute est passée plus près de Metz que de Nancy c'est parce que le député de l'une des villes a réussi à avoir un courant plus favorable…

JFG : Désolé de vous interrompre… mais non seulement c'était le député mais c'était le ministre et le Maire de Reims et le maire de Metz qui était ministre et qui plus est ministre des Travaux publics… ils ont tous lutté pour tirer l'autoroute vers eux… c'est ce qui fait que le tracé de cette autoroute un peu serpentin est tout à fait irrationnel

TC : Pour le pour le spécialiste que vous êtes c'est irrationnel ?

JFG : c’est tout à fait irrationnel et lorsqu’on se représente le détour d'une centaine de kilomètres pour aller à Strasbourg …

TC : Alors comment, lorsque comme vous on a exercé des responsabilités, vous avez été un conseiller auprès du commissaire général au Plan, comment est-ce que vous réagissez lorsque des solutions que vous proposez sont mis à bas par un pouvoir politique et par des intérêts électoraux ?

JFG : on réagit dans la faible mesure de ses moyens par l’écrit…

Certains ministres qui incontestablement où on eut le souci de l'intérêt général ont fait prévaloir des démesure largement positif… et qui ont d'ailleurs orienté l'évolution actuelle de la France, qui sur le plan de l'aménagement du territoire, sur le plan de la géographie, des activités, sur le plan même du cadre de vie, est bien meilleure qu'auparavant

Je les ai d'ailleurs cités il y a eu Claudius-Petit à l'origine il y a eu Pierre Mendès France, avec ses décrets sur la décentralisation de la région parisienne, il y a eu Pierre Sudreau, il y a eu Pierre Pflimlin, il y a eu Olivier Guichard … enfin on peut citer toute une série d'hommes politiques qui ont eu incontestablement une action positive dans le sens de l'aménagement du territoire

Mais ce qu'on peut dire c'est que malheureusement cette volonté d'aménager la France, de susciter partout des cellules vivantes, d'aboutir à une distribution harmonieuse des activités et un cadre de vie qui répondent aux exigences de la population, et bien cette préoccupation n’a pas toujours, c'est le moins qu'on puisse dire, été partagée par les chefs de gouvernement, voire par les présidents de la République !

TC : Alors justement est-ce qu’il y a une évolution avec le président François Mitterrand ? est-ce que vous avez le sentiment qu'on est en train de construire ou de reconstruire les villes d'une manière qui correspondent plus à cet espace vital nécessaire à la vie des hommes ?

JFG : Je ne trouve pas de tendance très nette, je voudrais dire dans l'environnement actuel je crois que la grande coupure a été en 1974. Je ne porte aucun jugement sur la politique de monsieur Giscard d'Estaing dans quelques domaines que ce soit, mais je constate simplement, qu'il a eu le mérite de mettre fin à l'urbanisme des grands ensembles, à des massacres du paysage qui devenaient de plus en plus menaçants, et que dans l'ensemble, il a favorisé des tendances qui était bonnes

TC : Cette ville, ce pari de l'an 2000, cette région parisienne de l'an 2001, peut-être est-ce qu'elle est symbolisée par la couverture de votre livre où on voit un Adam et Eve qui doit être extrait d'un tableau de Botticelli ?

JFG : non de Cranach !!!

TC : excusez-moi d'un grand jardin d’Eden, et puis de constructions très futuristes où on voit bien que comme vous l'expliquiez propos de Lutèce, la campagne c'est un petit peu réconcilié avec la ville. Où la ville, avec la campagne, c'est pour vous la direction dans laquelle va l'urbanisation aujourd'hui ?

JFG : Absolument ! dans toutes les nations développées, nous assistons à un phénomène qu'on appelle périurbanisation, ex urbanisation, et qui est le suivant grosso modo celle que les villes, notamment les grandes villes éclatent, profit d'abord des zones rurales environnantes et ensuite au profit d'autres zones qui sont favorisées soit par le dynamisme de leurs habitants, soit par leur cadre de vie :ce que j'ai appelé les zones résidentielles privilégiées jouent un rôle de plus en plus éminent dans l'évolution des pays développés

Il suffit de voir aux États-Unis, l'élan de la Californie de la Floride de l'Arizona pourtant un désert mais dont les caractères climatiques sont hautement appréciés par les cadres américains, le développement de l'électronique Phénix etc C’est la même chose maintenant en Europe, je vous donne 2 exemples :

- simplement le 1er c'est que pour la 1ère fois depuis qu'il y a des recensements, l'agglomération parisienne est stabilisée mais une légère baisse de population depuis 1964

- et le 2nd c'est que parmi les départements qui connaissent un taux de croissance nettement supérieurs à la moyenne nationale, on trouve les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute Provence naguères Basse Alpes qui étaient considéré comme les départements déshérités, crevards, si je puis employer ce terme, où vraiment on ne pouvait rien entreprendre. Pourquoi ? eh bien parce que les Alpes du Sud bénéficient d'un climat privilégié, parce qu'elles ont des champs de neige parce qu'elles ont soleil etc. Ce sont devenus des zones d'immigration

TC : Mais Jean-François vous avez employé le mot de pays développés qu'en est-il dans les pays en voie de développement où on trouve maintenant des mégapoles comme Mexico etc. ? au contraire il y a cette transhumance de la campagne à la ville qu’a connu la France au cours du XIXe siècle est en train de se passer là-bas ? est-ce que vous avez le sentiment qu’on arrive à prendre en compte ce besoin d'espace vital ou pas du tout ?

JFG : Non c'est absolument tragique. Le développement n'est même pas du développement. L’explosion des mégalopoles dans les pays du tiers-monde est une tragédie comme le disent d'ailleurs les meilleurs écrivains mexicains que j'ai cité. Mexico est un cataclysme épouvantable et c'est en même temps un facteur de déstabilisation générale, déstabilisation sociale, parfois déstabilisation politique et en réalité, les Etats du tiers-monde, les dirigeants du tiers-monde, n'ont pas su mettre ces phénomènes. Ils en ont pris conscience tardivement et quelques fois ils sont indifférents, ne voient pas plus loin que leur garde prétorienne et n’ont pas su maîtriser ces phénomènes, ces tragédies

Peut-être 2 exceptions la 1ère c'est la Côte d'Ivoire, dont j'ai exposé rapidement la politique d'aménagement du territoire qui est très méritoire, et la 2nd sans doute le Pérou, et puis dans une certaine mesure le Brésil …avec des erreurs assez lourdes mais tout même une volonté assez générale chez les dirigeants de rééquilibrer le pays et de mettre fin dans une certaine mesure assez cataclysme urbain qui s'appelle Sao Paulo Rio de Janeiro

TC: vous avez employé le mot de « tragédie » de « cataclysme » ce sont des vérités …

JFG : il suffit de voir les conditions de vie, de haine dont à la fois dans les bidonvilles où s'accumulent les populations venues de la campagne et fascinées par ces centres urbains et la dislocation des sociétés rurales traditionnelles. Il y a eu là-dessus d'excellents ouvrages : c'est dramatique et ça se traduit d'une part par la prolifération de « lumpen prolétariat turc urbain » d'un sous-prolétariat urbain avec toutes les conséquences que cela comporte, et d'autre part par, au-delà des conséquences sociales, par l'abandon des cultures vivrières dans certaines régions, l'abandon de l'Economie rurale traditionnelle c'est toute une société qui est déstabilisée…

TC : Jean-François Gravier, en conclusion, parlons si vous voulez bien de de l'Europe. Comment se situe la France par rapport à l'Europe des 10 ? est-ce que c'est un des pays qui a été le plus intelligemment à la fois urbanisée-aménagé ou est-ce qu'au contraire, vous avez le sentiment que on pourrait prendre des leçons chez des confrères de l'Europe ?

JFG : Je crois qu'on peut prendre beaucoup de leçons de quelques pays européens …et j'en ai cité 3 en particulier 2 petites nations qui sont les Pays-Bas et la Suisse :les Pays-Bas nous offrent on peut le dire très largement un modèle d'aménagement du territoire un modèle de ce qu'il faut faire.

Il y aura un grand pays, une grande nation, qui a assez bien réussie : c'est l'Allemagne fédérale

A mesure que leurs revenus s'élèvent, leur revenu moyen s'élève, nous voyons même des pays comme l'Italie voire demain l'Espagne…, on ne parle pas de la Grande-Bretagne qui est un cas tout à fait particulier comme toujours, qui cherchent dans cette voie et qui réussissent.

Je vais vous donner un exemple de l’Italie qui prouve très bien que l'amélioration du revenu moyen crée de nouveaux besoins, de nouvelles exigences. L'Italie a vu ces phénomènes d'accumulation urbaine, de prolifération jusque vers 1970, avec les migrations massives des paysans pauvres du Midi vers les cités industrielles du Nord. Et puis à partir de 1970 tout a changé et nous voyons que maintenant c'est le midi italien, le fameux Mezzogiorno naguère misérable, qui donne les meilleurs taux d'accroissement, d'amélioration, parce que toute une politique a été faite, et aussi parce que lorsque le revenu moyen a dépassé un certain seuil …et bien les mentalités ont changé et cet afflue grégaire vers les cités polluées du Nord a cessé et les gens sont restés ont cherché, comme on dit dans un slogan maintenant bien connue, ont cherché « à vivre et à travailler au pays » 

TC : Jean-François Gravier, en conclusion, cette Europe quelle doit être ses objectifs prioritaires ? est-ce que c'est le canal Rhin-Rhône ? est-ce que c'est le tunnel sous la Manche ? quelles sont les objectifs d'aménagement prioritaires ?

JFG : Ce sont des objectifs beaucoup plus généraux et je crois que c'est le 1er objectif : c’est de surmonter la crise démographique qui menace l'Europe, soit de dépérissement, soit d'une perte d'identité, et de surmonter la crise économique et là-dessus bien des recettes existent mais ce sont les conditions préalables tout de même parce que on ne peut pas de poursuivre une politique d'aménagement du territoire efficace dans un climat de décadence et de récession.

Et puis en matière d'aménagement du territoire c'est certainement un rééquilibrage des économies régionales avec une stabilisation de certaines zones très peuplées extrêmement actives d'une zone d'Allemagne et le développement de certaines autres régions qui font figures un peu de pays neufs

J'ai cité les Alpes du Sud, il y a une grande partie du Sud-Ouest français du Massif central il y a également des régions du même ordre en Espagne, au Portugal, qui vont entrer dans le Marché commun et c'est un objectif général de modération de la croissance urbaine on peut dire largement acquise dans les pays qui ont vu je le répète dépasser un certain seuil de revenu.

Et ce qui est intéressant précisément dans le cadre de l'Italie c'est qu'elle a dépassé ce seuil récemment et qu'on voit la transformation et l'élaboration de schémas d'aménagement régionaux qui sont globaux ce qui est malheureusement très rare aujourd'hui, il faut des schéma d'aménagement qui prennent en compte à la fois des objectifs d'équipement, des objectifs économiques, mais des objectifs démographiques, parce qu'il est évident que ça conditionne la plupart des équipements, et je crois, vous le citiez, quelques grands équipements, je crois que certain grands équipements qui font disparaître des hiatus dangereux doivent sortir de terre et notamment le tunnel sous la Manche.

TC : Jean-François Gravier merci vous me permettrez en conclusion de rappeler le slogan soixante-huitard « sous les pavés la plage » et puis la célèbre phrase d'Alphonse Allais « il faudrait construire Paris à la campagne ». Je crois que ça s'imposait en conclusion de cet entretien. Merci Jean-François Gravier d’avoir participé. Je rappelle qu’aux éditions Flammarion dans la collection ‘Enjeux pour demain’ depuis quelques semaines déjà de vient de paraître l'Espace vital


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