XV LES EQUIPEMENTS STRUCTURANTS

XV LES EQUIPEMENTS STRUCTURANTS


           C’est à juste titre que les ingénieurs ont baptisé “ équipements structurants ” l’ensemble des ports, fleuves et canaux, routes et autoroutes, aéroports et voies ferrées qui constituent l’armature circulatoire d’un espace national, voire continental. Même si l’esprit d’entreprise peut s’épanouir dans des contrées médiocrement accessibles, il faut reconnaître que, dans la généralité des cas, le droit à l’ouverture sur le monde est presque l’équivalent d’un droit à la vie et que l’intégration à un réseau interconnecté apporte à une région la même chance que l’irrigation à une zone aride.

           Au début étaient les ports, grâce auxquels les Grecs ont pu coloniser le pourtour de la Méditerranée. Physiquement, on peut distinguer quatre catégories d’économies portuaires, aux effets régionaux très différents. La première est celle des ports péninsulaires et avant-ports, isolés de leur arrière-pays par l’éloignement ou une barrière montagneuse. Leurs qualités-nautiques leur assignent une vocation essentiellement militaire, avec tous les aléas que cela comporte. Tels sont Brest, Cherbourg, Plymouth, La Spezia, Kotor...

           La seconde est celle des ports littoraux en eau profonde que leur situation rend aptes à une fonction régionale (Marseille, Barcelone), surtout s’ils se trouvent au débouché d’un organisme fluvial. Telles sont les positions privilégiées de New York, de Rotterdam ou de Shanghai. La troisième catégorie comprend les ports de fond de golfe, pourvus d’un vaste arrière-pays et prédestinés à un commandement régional. Telles sont Gênes, Venise, Trieste, Salonique, Odessa, St Petersbourg, etc.

           La dernière catégorie est celle des ports de fond d’estuaire, souvent les plus anciens, constamment améliorés par des approfondissements quand l’hinterland fournit un trafic massif. C’est une spécialité de l’Europe atlantique : Londres, Hambourg, Brême, Anvers, Rouen, Nantes, Bordeaux, ne sont plus seulement des ports, mais de grands pôles régionaux, voire nationaux.

           Les fleuves qui aboutissent à ces ports peuvent être interconnectés et former un utile réseau navigable quand le relief s’y prête. Ce n’est guère le cas en France, où ni les artères modernes de la Seine et du Nord, ni l’éventuelle liaison Rhin-Rhône ne laissent espérer de grands bénéfices pour les régions traversées.

           Au contraire, le réseau autoroutier a fréquemment été considéré comme une sorte de panacée. La France comptant environ 44 voitures particulières et 9 véhicules industriels pour 100 habitants, la pression des utilisateurs et de leurs élus pour une réalisation accélérée de ce réseau a été spécialement intense. En 1995, les autoroutes et routes express en service ou en travaux totalisaient 9500 km (Allemagne : environ 11000 km pour une surface inférieure de 35% mais pour une population plus nombreuse de 40%). Seuls dix départements continentaux en étaient totalement dépourvus. Rappelons, à cet égard, que la loi d’orientation a prévu qu’en 2015 aucun point du territoire ne devra être à plus de 50 km d’une voie rapide. En fait, les opérations les plus urgentes concernent le désenclavement du Massif Central : achèvement des liaisons radiales Paris-Toulouse et Clermont-Béziers, autoroute Clermont-Périgueux-Bordeaux, transversale (route express) St Etienne-Le-Puy-Mende-Rodez-Albi (Toulouse). De telles liaisons peuvent, comme en Haute-Loire et en Lozère, exercer des effets multiplicateurs notables ; en revanche, l’autoroute n’a réveillé ni la Saône-et-Loire ni l’Allier, qui semblent continuer à se dépeupler. Finalement, sa présence ou sa proximité sont nécessaires, mais non suffisantes.

           L’équipement d’un aéroport a également été présenté comme la recette - miracle du “ décollage ” pour une ville en mal de croissance. La France possède 709 aérodromes civils, contre 390 en Allemagne, 159 en Espagne, 142 en Grande-Bretagne et 98 en Italie. La plupart d’entre eux n’ont qu’un trafic insignifiant. En 1994, le trafic passagers cumulé des dix premiers aéroports provinciaux (Corse exclue) n’atteignait pas la moitié de celui de l’aéroport de Paris (26,67 millions contre 55,3). Des aménagements et des concentrations sont à étudier pour que chaque système régional soit desservi par un aéroport et un seul (exemple : Deauville pour la Normandie). Le problème le plus grave et le plus urgent est le dédoublement de Roissy, dont l’extension entraînerait des nuisances intolérables. Le président d’Air France avait proposé la solution la plus raisonnable, qui serait l’utilisation de Lyon-Satolas, reliable à Paris-Lyon comme à Roissy en 2 heures de TGV, un grand aéroport de fret pouvant d’autre part être installé sur le terrain existant de Châteauroux, qui dispose d’un piste de 3500m. On soulignera enfin qu’un schéma national de dessertes aériennes visant à l’économie de moyens est incompatible avec une dérégulation génératrice de concurrences sauvages.

 

Le choix du rail

           Si l’on regarde maintenant l’ensemble des modes de transport, on est obligé de constater qu’une politique à courte vue a engendré des distorsions néfastes. En 1995, le trafic routier a été chiffré à 132 milliards de t.km, le trafic ferroviaire à 49 et le trafic fluvial à 5,9 seulement. Entre 1989 et 1994, le trafic voyageurs de la SNCF a décliné de 64,5 milliards de voyageurs-km à 58,9. Or il est reconnu que le chemin de fer électrifié est le moyen de transport le plus économe en énergie, le moins sensible aux conditions climatiques, le plus régulier, le moins dangereux, le plus respectueux de l’environnement et le mieux adapté aux déplacements de masse : 400000 voyageurs quotidiens entre Tokyo et Osaka, avec des pointes dépassant 600000.

           Malgré tous ces faits patents, les pouvoirs publics français n’ont cessé de favoriser le transport routier, à la fois par ignorance et sous la pression de lobbies agressifs. En 1996, les droits et taxes se montaient à 4,66 F sur un litre de supercarburant sans plomb et à 2,93 F seulement sur un litre de gazole : cet écart “ encourage le développement excessif des moteurs Diesel et oblige les compagnies à importer massivement du gasoil(1) ”, dont il n’est pas besoin de rappeler le caractère polluant. D’autre part, en novembre 1993, le gouvernement Balladur autorisait les sociétés d’autoroutes à emprunter 140 milliards afin d’achever le programme retenu avec cinq ans d’avance. Enfin, au lieu de prendre en charge les lignes à grande vitesse, investissement prioritaire qui donne “ une certaine image de la France ”, des ministres irresponsables en ont freiné la réalisation et laissé la SNCF s’enliser dans une situation financière inextricable. Il faut d’ailleurs convenir que les dirigeants de la société nationale ont ici quelque responsabilité, en raison de leurs faibles aptitudes commerciales, de leur trop fréquente absence d’esprit de synthèse, de certains partis pris techniques et de l’acceptation passive d’un statut social anachronique.

           Comment donc rendre au rail la place éminente qui lui revient dans l’armature circulatoire ? La reconquête du fret passe par un certain nombre de mesures qui n’exigent pas grande imagination, mais plutôt un peu de courage. La première est l’égalisation à bref délai des taxes frappant essence et gazole (avec un allègement du prix de l’essence qui rendrait cette décision populaire...). Ensuite, il suffit de s’inspirer des exemples suisse et autrichien. Ces deux pays, menacés d’être submergés par le trafic routier transalpin, ont manifesté une ferme volonté politique : la Suisse a, depuis 1993, limité à 28 tonnes les camions en transit, interdit leur circulation nocturne ou dominicale et favorisé le ferroutage, de sorte que 80% des tonnages empruntent le rail ; l’Autriche a modernisé ses installations ferroviaires et stabilisé le tonnage routier. Plus récemment, l’apparition des navires “ super-porte-conteneurs ” emportant 6000 “ boites ” à leur bord exige le recours au rail pour amener ces conteneurs dans l'arrière-pays : deux trains complets remplacent ici 400 camions. D’où l’idée d’équiper, à partir du Havre, un axe évitant la grande ceinture parisienne, saturée, et accélérant les transits vers l’Allemagne du Sud, la Suisse et l’Italie grâce à l’électrification de la rocade Amiens-Reims-Dijon, intéressante également pour certaines dessertes TGV (Londres-Reims-Strasbourg, par exemple) (2) .

           La reconquête du trafic-voyageurs est encore plus intimement liée à l’aménagement du territoire. Elle ne peut résulter que d’une vision globale définissant les normes optimales de chaque modalité de transport ferroviaire : réseau TGV, rapides classiques, TER (trains express régionaux) et lignes affluentes, trains de banlieue à haute fréquence. Or, trop souvent, la dispersion des idées et des projets a compromis les situations les plus favorables.

           Cela dit, il n’est pas contestable que les industries françaises et les ingénieurs de la SNCF ont mis au point une technique des grandes vitesses ferroviaires supérieure à toute autre. Le premier tronçon de la LGV Sud-Est a été inauguré en 1981, la LGV Atlantique en 1989 et la LGV Nord en 1993. Sur les deux dernières, les TGV roulent à 300 km/h et l’on atteindra peut-être 350 ou 360. Beaucoup d’entre eux poursuivent sur les lignes électrifiées existantes vers Genève, Grenoble, Marseille-Nice, Montpellier, Bordeaux et le Sud-Ouest, la Rochelle, Nantes, Brest, Quimper, etc. Il s’agit donc essentiellement d’une mutation des relations radiales, encore que l’interconnexion réalisée en Ile-de-France permette de bonnes liaisons de province à province (Lille-Lyon par exemple) Le programme global défini naguère - et réalisé avec une lenteur décourageante - ne comporte d’ailleurs que deux transversales : Bordeaux-Narbonne et Lyon-Strasbourg.

           Un plan TGV adapté à l’aménagement apporterait deux novations essentielles. La première serait le remplacement de l’improbable LGV Normandie (purement politicienne) par une LGV Centre divergeant à Vierzon vers Clermont et Limoges (avec desserte subséquente du Massif Central); le tronçon Vierzon-Moulins serait raccordé par 115 km de LGV à Tours et par 130 km à Mâcon ; on obtiendrait ainsi une transversale médiane autorisant des relations rapides entre le Sud-Est et l’ensemble de l’Ouest, en même temps qu’un deuxième itinéraire Lyon-Paris pouvant soulager la LGV actuelle. La seconde novation serait un programme massif d’électrification rendant accessibles aux TGV le maximum de “ lieux centraux ”, comme le sont maintenant les villes du Nord. Il faut en effet savoir que, si le kilomètre de LGV revient à environ 50 M.F., l’électrification d’une ligne existante ne coûte que de 3 à 6 M.F./ Km (1 ou 2 voies). Cela ouvre de très larges possibilités de liaisons inter-régionales : par exemple, moderniser et électrifier Poitiers-Nantes (environ 180 km) permettrait la création d’une transversale Toulouse-Bordeaux-Poitiers (LGV)-Nantes-Rennes (ligne classique).

           Une autre technique féconde a été négligée par la SNCF pour des raisons impénétrables au profane : c’est la suspension pendulaire. Signalée dès 1967, elle est expérimentée en 1970 par l’ingéniosité italienne (Fiat). En 1976, le nouveau train électrique pendulaire baptisé Pendolino est mis en service sur la sinueuse ligne Rome-Ancône, qu’il parcourt en 2h45 au lieu de 3h30, car ses vitesses en courbe sont de 20 à 30% plus élevées. L’Espagne, conquise, lance en 1980 le Talgo Pendular. Puis viennent la Suède, l’Allemagne, la Suisse et, en 1995... la Finlande. Fin mars 1994, un autorail pendulaire allemand VT610 parcourait l'acrobatique ligne des Cévennes (Langogne-Alès) en 64 minutes, au lieu de 80 pour les autorails classiques. Enfin, la SNCF consent à ce que le Pendolino ETR460 effectue, à partir d'octobre 1996, le trajet Lyon-Milan en 4h47 au lieu de 5h49 auparavant. Dès lors, cette technique devient soudain furieusement à la mode : la SNCF s'aperçoit, un peu tard, qu'une rame ETR460 gagnerait 37 minutes sur Paris-Toulouse, 28 minutes sur Paris-Clermont,, etc.(3).

Il apparaît ainsi, à l'évidence, que si les gouvernements et les dirigeants ferroviaires avaient eu le sens de la solidarité inter-régionale, ces trains pendulaires -électriques ou diésel- auraient dû apparaître sur les lignes sinueuses du Massif Central, des Alpes, des Pyrénées et du Jura dès les années 80.

 

Encourager les vocations des"zones péagères"

 

           D'autre part, l'armature circulatoire peut contribuer puissamment à la formation des "rentes géographiques" dont bénéficie une région. Dans l'économie paléotechnique, ces ventes venaient d'abord de la présence de gisements minéraux, qui déterminaient, disait-on, la "vocation industrielle". Aujourd'hui, en France, charbonnages et mines de fer sont presque tous défunts: il faut donc avoir le courage de reconnaître que, par exemple, rien ne justifie plus une densité humaine supérieure à 650 hab./Km2 dans l'ancien bassin houiller du Pas-de-Calais. Il est normal que l'arrondissement de Lens ait perdu 9 % de ses effectifs en trente ans, moins normal peut-être que celui de Briey (181 hab./Km2) ait subi une hémorragie de 22 %, imputable surtout à la crise de la sidérurgie. Il est, finalement, heureux pour l'humanité que la rente des "pays noirs" ait fait place à celle des "zones résidentielles privilégiées".

En revanche, l'avantage naturel qui favorise les grands axes et les grandes ouvertures sur le monde remonte à l'antiquité et durera probablement jusqu'à la fin du monde... Or la France est particulièrement riche de ce que l'économiste montpelliérain Jules Milhau (1903-1972) appelait les zones péagères : vallées de la Seine, de la Loire, de la Garonne et estuaires de ces trois fleuves ; couloir Rhodanien aboutissant à la porte de Bourgogne et du Rhin ; seuils du Poitou et de Naurouze ; piedmont languedocien d'Avignon à Narbonne (que parcourait jadis la via Domitia reliant l'Italie à l'Espagne. De telles zones semblent prédestinées à un peuplement dense et à une activité intense, ce qui n'est pas toujours le cas. Nous allons en donner deux exemples : la moyenne vallée de la Garonne et le seuil du Charolais.

Le premier cas est classique : sur l'axe magistral des Deux-Mers, les deux départements du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne, contrées fertiles et riantes, sont restés longtemps le fief d'une "polyculture de détail", avec immigration italienne et espagnole. Lentement réveillés depuis un demi-siècle, leur densité humaine demeure largement inférieure à celle de l'Espagne : 57 hab./Km2 dans l'un et 54 dans l'autre, sans que les chefs-lieux dépassent la taille d'honorables villes moyennes : 61.000 âmes pour l'agglomération d'Agen et 51.000 pour Montauban.

Le deuxième exemple est plus choquant. Le bourrelet abrupt que nous avons évoqué plus haut et qui, de la Montagne Noire au plateau de Langres, "constitue... la principale ligne de partage des eaux et oppose un obstacle sensible aux communications" (A. Cholley) n'est interrompu que par un seul passage facile : le sillon du Charolais, long de 70 Km entre Paray-le-Monial et Chagny. La dénivellation y est si modeste (55 m. au sud, 85 m. au nord) qu'il est emprunté par une de nos plus anciennes voies navigables, le canal du Centre, projeté par François Ier, réalisé en 1783-89 par les Etats de Bourgogne. La transversale ferroviaire Dijon-Montluçon, croisant la LGV sud-est au bief de Montchanin, n'a pas été plus difficile à tracer. Malheureusement, ce sillon n'est pas orienté vers Paris, mais au Nord-Est au Sud-Ouest, reliant Bourgogne, Lorraine et Franche-Comté à toute la France du Centre ; en effet, son débouché Sud aboutit à Moulins, qu'il semble désigner comme le meilleur "lieu-central" du territoire national. Est-ce la raison pour laquelle le Charolais a été négligé ? Toujours est-il que l'arrondissement de Charolles, moins peuplé en 1990 qu'en 1876, ne compte plus que 44 hab./Km2 et que la moitié de ses cantons sont classés "zones de revitalisation rurale"...

Il appartient dès lors au schéma national et aux responsables régionaux de montrer toute l'imagination et toute l'audace nécessaires pour que le Charolais, la moyenne Garonne et bien d'autres contrée puissent accomplir des vocations clairement indiquées par la nature.

La SNCF vient de créer un site de réservation multi modal... Mais il faut toujours 1h pour aller de CDG au centre de Paris. Ne pas confondre aérodromes nécessaires à la formation initiale des pilotes (cf. les USA) et les aéroports créés aux frais des contribuables pour un trafic ridicule. Imagination !! c'est là le vrai problème...

Simon F.

Co-founder & DG @COREO | cyber-résilience | résilience économique | sûreté pour les PME / ETI / Collectivités |

5 ans

Excellent !

En complément de la France périphérique

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