Les trois colères du monde

Les trois colères du monde

Des millions de journalistes professionnels, des centaines de millions de journalistes amateurs, et des milliards de caméras disséminées à travers le monde, nous rendent compte aujourd’hui, par les réseaux sociaux, de conflits, de révoltes, de colères, dont nous n’aurions sans doute pas entendu parler il y a encore vingt ans.

Ces colères se nourrissent désormais les unes les autres. Elles servent de modèles les unes aux autres. Elles se renforcent l’une par l’autre.

Elles sont fondées sur trois motifs principaux : Les humains veulent plus de liberté, plus de justice sociale et plus de prise en compte des enjeux de l’avenir. Ces trois revendications sont parfaitement résumées dans la géniale devise de la République Française : « Liberté, Egalité, Fraternité », dont parla, le premier, Camille Desmoulins dès le 14 juillet 1790, et qui fut officialisée comme le « principe » de la Deuxième république française, par sa Constitution de novembre 1848.

 La demande de liberté vient de très loin. Les femmes et les hommes acceptent de moins en moins aujourd’hui ne pas être libres de décider de leur sort. Et ils s’opposent de plus en plus à des formes de totalitarismes de plus en plus variées, allant de l’usage de polices brutales, comme depuis des siècles, à celui de technologies très sophistiquées de surveillance, comme depuis quelques années.  

La demande d’égalité est aussi très ancienne. Elle est aujourd’hui particulièrement forte, quand chacun peut constater l’incroyable concentration des richesses (les 1% les plus riches ont vu leur fortune passer de 5 trillions à 33 trillons de dollars en vingt ans, alors que le patrimoine de la moitié de l’humanité est resté pratiquement nul pendant la même période).

La demande de fraternité, en particulier à l’égard des générations futures est elle aussi croissante, comme le montre les manifestations de plus en plus vastes, pour la sauvegarde du climat.

Ces trois colères sont en train de converger. Elles sont en train de devenir une colère. C’est sain. Car la demande d’égalité et la demande de liberté sont, l’histoire l’a montré amplement, contradictoires : on ne peut avoir de la liberté qu’au détriment de la justice sociale, et réciproquement. Sauf (on peut le démontrer aisément (1)) à les placer l’une et l’autre dans le contexte d’une recherche de fraternité. C’est-à-dire dans une volonté de servir les générations à venir.

La demande de liberté doit donc être plus qu’une exigence de liberté d’aller et venir, de s’exprimer et de voter. Elle doit se construire dans des institutions pérennes, stables, durables ; en acceptant que sa propre liberté soit limitée par celle autres, et en particulier par celles des générations futures.

La demande d’égalité ne doit pas se résumer à une exigence de réforme fiscale immédiate. Elle doit d’abord être une demande de mobilité sociale pour les générations futures. Pour permettre aux enfants des plus pauvres de faire des études, et de réussir leur vie. Il n’y a rien de moins supportable que de savoir que ces enfants n’ont aucune chance d’avoir un meilleur sort que soi-même. Et la fiscalité n’est pour cela qu’un instrument tout à fait secondaire.

La demande de fraternité elle-même ne peut pas être seulement une demande de tolérance des uns envers les autres, de respect entre tous les vivants d’aujourd’hui. Elle doit être une exigence de fraternité à l’égard des générations futures, pour que, en particulier, la sauvegarde du climat ne se fasse pas au détriment des plus pauvres, ou de la liberté de chacun.

Ce n’est que si toutes les colères du monde sont ainsi réconciliées qu’elles serviront au meilleur de l’humanité. Et qu’elles ne finiront pas, comme tant de fois dans le passé, dans de nouvelles formes de barbaries, dont les plus faibles seront, une nouvelle fois, les victimes.

En particulier, la France n’est pas indemne de ces trois colères. Et un pouvoir politique qui ne saurait ni les entendre, ni leur donner du sens, ni les inscrire au cœur de son projet n’aurait aucune chance de finir mieux que ses prédécesseurs.

j@attali.com

  (1). Voir mon livre « Fraternités », Fayard, 1999


Christophe BRUN

Maître Nageur à Saint Sauveur le Vicomte

5 ans

L’opulence de nos gouvernants leur fait perdre les notions de bien et de mal , de juste et d’injuste. Un peuple sombre par une perte de discernement de son élite gouvernante. On oublie la chute de Rome... beaucoup devraient regarder l’homme qui voulait être Roi pour réaliser qu’ils sont des hommes au service des hommes ni plus ni moins .

Ali Aliouate

Ancien Chef de projet chez Renault

5 ans

Les intérêt égoïstes les rend sourds pour écouter l'intérêt général.

Darchicourt Thierry

Directeur chez LUCAS Construction et Société Nouvelle ALLEARD

5 ans

Triptyque plus que centenaire, mais dont on ne finit jamais de découvrir la profondeur... En « hiérarchiser » la progression me paraît tout à fait juste; reste à agir - car nous ne sommes jamais que ce que nous faisons...

Au grand penseur qui aime tant donner son avis sur la marche du monde, je conseille d’aller au cinéma voir ce film terrible, mais très vrai : « Sorry, we missed you » et de nous faire un petit billet pour lancer la discussion.

Nicolas Genoud

Editeur et formateur d'adultes, fondateur du Projet Perséides

5 ans

Je suis étonné de constater que le terme responsabilité manque dans ce texte. Sans lui, la liberté, l'égalité et la fraternité se vident de leur sens et glissent progressivement vers l'individualisme, le parasitisme et l'égoïsme. Etre responsable de soi, c'est déjà un bon un début, puis étendre cette responsabilité à son entourage et à son environnement (social ou écologique). C'est la condition primale pour obtenir la devise de la République française.

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