Les trois leçons de l’échec de la visite de Macron en Chine pour tourner une menace en opportunité
« Pékin oublie que l’histoire du XXe siècle nous enseigne que les démocraties commencent par perdre avant de finir par gagner. Elles perdent tant que les gouvernements mentent à leurs peuples, mais gagnent dès qu’ils finissent par leur dire la vérité »
Tribune publiée dans L'Opinion le 12 avril 2023
Que le président Emmanuel Macron se console, il n’est ni le premier ni le dernier Occidental à revenir bredouille d’un voyage à Pékin. D’autant plus qu’espérer un geste du Président Xi en faveur de la paix semblait d’entrée de jeu illusoire, quand le conflit russo-ukrainien est un des rares dossiers où les intérêts chinois et américains convergent autour du même objectif : le pillage de l’Europe.
D’un côté, par l’achat chinois d’hydrocarbures russes à vil prix, et de l’autre, par la vente de gaz américain aux démocraties européennes à des conditions léonines, permettant de financer en partie le plan « Inflation Reduction Act », accélérateur de la désindustrialisation européenne. La seule stratégie de paix européenne crédible devrait donc se concentrer sur la dénonciation auprès des deux principales victimes du conflit – les populations ukrainienne et russe, et demain européenne – des bénéfices indus tirés par les deux plus gros bénéficiaires : la Chine et les Etats-Unis.
Mais plutôt que de sombrer, « à la française », dans la simple mortification de l’échec, sans doute aurions-nous plus intérêt, « à la chinoise », de nous interroger sur les leçons d’une défaite pour tourner une menace en opportunité.
La première leçon, empruntée à L’Art de la Guerre, rappelle la nécessité de diviser l’ennemi. Force est de saluer le génie chinois qui orchestre le défilé des dirigeants européens à Pékin – successivement Olaf Scholz, Charles Michel, Pedro Sánchez, puis Emmanuel Macron, habilement « découplé » d’Ursula Von der Leyen – pour mieux souligner l’absence de toute gouvernance à Bruxelles. Il nous faut désormais inverser la dynamique et diviser à notre tour ces autocraties dont la seule véritable connivence tient à une haine commune envers les Etats-Unis. En commençant par scinder Chine et Russie, en dénonçant par exemple la vassalisation croissante de la Russie, illustrée par le récent refus de Pékin de co-financer les 95 milliards de dollars de l’hypothétique gazoduc « Power of Siberia 2 ». Un refus renforcé par l’accord de long terme signé entre le Qatar et la Chine, qui scelle un contrat d’approvisionnement de gaz naturel liquéfié pour 27 ans et permet de réduire son taux de dépendance énergétique à l’égard de la Russie.
La Chine savoure ainsi son plaisir à l’aune de l’histoire : en 1950, la Russie envoyait des soldats chinois combattre en Corée les forces occidentales ; en 2023, ce sont les Russes que les Chinois exposent en première ligne à la technologie militaire américaine – au prix déjà de 70 000 victimes estimées. Plus tôt le peuple russe sera convaincu de son humiliation par Pékin, plus tôt Bruxelles pourra construire des espoirs d’issue de ce conflit.
La deuxième leçon tient à l’urgente nécessité pour l’Europe de diminuer le « risque chinois ». La visite présidentielle aura curieusement fait l’impasse sur le sujet pourtant le plus préoccupant du moment : le choix fait par le Parti communiste chinois, lors de son XXe Congrès en octobre dernier, d’une économie fondamentalement lénino-marxiste. Un modèle qui, pour la première fois de l’histoire, contaminera 20 % du PNB mondial, avec comme objectif ouvertement affiché le contrôle des profits du capital privé. En totale contradiction avec les propos prétendument rassurants du nouveau premier ministre Li Qiang, cette stratégie est déjà confirmée par le saucissonnage d’Alibaba en six entités distinctes, l’arrêt de l’augmentation de capital en Suisse du leader de la batterie électrique CATL, ou encore la disparition toujours sans explication de Bao Fan, le patron de la banque d’affaires China Renaissance.
Si le besoin de « dérisquer » la Chine s’invite donc chez les sociétés européennes, il s’impose avec d’autant plus de vigueur aux entrepreneurs privés chinois qui, selon Bloomberg, sont désormais prêts à payer aux banques privées occidentales des commissions à hauteur de 12 % – contre seulement 1 % en 2019 – pour pouvoir sortir leurs capitaux de l’empire du Milieu. Et c’est bien là que réside pour l’Europe l’opportunité de construire avec la Chine une « Amitié avec limites », en deux étapes.
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L’idée de Pékin est de renforcer, avec l’aide des autocraties du « Sud Global », une inflation structurelle en Occident, qui reste la meilleure arme de destruction des démocraties. La récente montée de l’extrême droite en Italie, en Suède et en Finlande ne peut d’ailleurs que conforter la Chine dans la justesse de cette stratégie
D’abord, en fédérant notre communalité d’intérêts avec le secteur privé chinois, par des co-investissements dans une stratégie « China +1 », pour prendre des positions communes dans la région la plus prometteuse de la prochaine décennie, l’Asie du Sud-Est, aujourd’hui encore largement sous contrôle de la diaspora privée chinoise. Deuxième étape : en rappelant à Pékin que la croissance chinoise sera désormais limitée à seulement 2-4 %, amputée par la faible progression de la demande intérieure, plombée par une crise immobilière dont le coût de 10 à 15 points de PNB devra être progressivement étalé durant la prochaine décennie.
C’est là toute l’importance des exportations industrielles à forte valeur ajoutée, qui auront besoin de l’Europe à la fois pour sourcer la technologie – les concurrents américains étant désormais persona non grata – et des 400 milliards de surplus commercial avec l’Europe, susceptibles d’être taxés à tout moment. Comme aime à le répéter l’emblématique président de la Chambre de commerce européenne à Pékin, Jörg Wuttke, « la Chine n’a jamais eu autant besoin de l’Europe ». Encore faudrait-il apprendre à négocier nos intérêts !
La troisième leçon consiste, après avoir constaté durant le voyage à Pékin l’avance prise par la Chine, à acter l’entrée de l’Europe en « économie de guerre ». Pékin a déjà troqué, comme futur critère de réussite, la croissance du PNB – pertinent en économie de paix – pour le rapport de dépendance relative – beaucoup plus éclairant en économie de guerre. Illustré par les masques-Covid passés de 1 centime à 1 euro durant le seul mois de mars 2020, la Chine s’évertue à organiser un transfert de valeurs massif au profit des goulots d’étranglement de la fonction-production, maximisant ainsi la monétisation de l’«Atelier du monde ».
L’idée étant de renforcer, avec l’aide des autocraties du « Sud Global », une inflation structurelle en Occident, qui reste la meilleure arme de destruction des démocraties. La récente montée de l’extrême droite en Italie, en Suède et en Finlande ne peut d’ailleurs que conforter la Chine dans la justesse de cette stratégie. Pékin oublie cependant que l’Histoire du XXe siècle nous enseigne que les démocraties commencent généralement par perdre avant de finir par gagner. Elles perdent tant que les gouvernements mentent à leurs peuples, mais gagnent dès qu’ils finissent par leur dire la vérité.
Espérons que sept heures d’entretiens privilégiés avec le président Xi auront convaincu Emmanuel Macron que l’heure en Europe n’est plus à la défense illusoire du pouvoir d’achat, mais plutôt à la nécessité d’une politique de l’offre au prix de certains sacrifices – des sacrifices acceptables par les Européens s’ils sont mis au service d’un narratif commun
Espérons que le bain de foule parmi les étudiants de l’université Sun Yat-Sen à Canton, savamment orchestré par les autorités, n’aura pas empêché le président Macron de jauger la perte de confiance de la jeunesse chinoise envers son gouvernement, à la suite des mensonges de la stratégie « zéro-Covid ». Espérons qu’il y aura vu, au contraire, une invitation à ne plus masquer aux Français l’ampleur du choc économique qui les attend, trois fois supérieur à celui de 1973, où une crise énergétique se conjugue aujourd’hui à la crise environnementale, une reglobalisation et une hyperinflation alimentaire, pour engendrer un choc de près de 10 % de PNB.
La solution à cette fracture gagnerait à s’inspirer d’un aspect du modèle sociétal chinois : les seniors, dénués de toute retraite décente, financent par leur épargne accumulée l’avenir de leurs petits-enfants. Espérons que sept heures d’entretiens privilégiés avec le président Xi auront convaincu Emmanuel Macron que l’heure en Europe n’est plus à la défense illusoire du pouvoir d’achat, mais plutôt à la nécessité d’une politique de l’offre au prix de certains sacrifices – des sacrifices acceptables par les Européens s’ils sont mis au service d’un narratif commun. Domaine où, là encore, la Chine a su conforter son avance par sa « propagande de guerre » : l’objectif, même s’il est fallacieux, de devenir numéro 1 mondial devant les Etats-Unis d’ici 2049, sert à fédérer l’ensemble de la population.
Ne reste donc plus qu’au brio littéraire du président Macron de trouver le mot d’ordre rassembleur de la troisième voie européenne, qui devrait s’attacher à promouvoir, en réponse à Pékin et Washington, la construction d’« une société digne de nos enfants et petits-enfants d’ici 2040 ».
Magistral. Hélas, la tactique de l'autruche prédomine en Europe où l'on fait semblant de ne pas voir que la compétitivité de 'industrie est sabotée par la politique d'aides anti compétitives, et l'impasse énergétique. La première leçon de la visite de Macron est ce que ce n'est pas la violence de la réponse aux propos d'un petit pays, déconsidéré et détesté au sein de son propre camp? (à tort ou à raison) Les Etats Unis et la Chine sont en ordre de bataille, l'Europe est désintégrée.
Scientifique, ancien chef de laboratoire à l'Institut Pasteur, expert en géopolitique et arts énergétiques chinois
1 ansIl est habituel de mettre les Etats-Unis et la Chine sur un même plan dans beaucoup de domaines. Par exemple, la prédation de l'Europe par les Etats-Unis et la Chine est une situation provoquée et entretenue par les premiers. La Chine ne fait que profiter d'une situation dont elle n'est pas responsable, Les Etats-Unis et la Chine sont également renvoyés dos à dos dans la responsabilité du conflit qui les oppose. Pourtant les objectifs ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, il s'agit d'un pouvoir hégémonique et prédateur qui tient à maintenir un pouvoir absolu sur le reste du monde, y compris sur ses alliés, en imposant ses règles grâce à son pouvoir financier, politique et militaire. La Chine cherche essentiellement à sortir de sa pauvreté (par habitant) et à se développer de façon pacifique. Elle n'a aucune intention hégémonique même si son développement risque de l'amener à l'être naturellement. Elle a simplement appris à ses dépend qu'il faut utiliser les mêmes outils et les mêmes armes que ceux de l'Occident pour garder son indépendance.