Les vrais et faux "héros" de 2022
Je voudrais analyser ici sous le prisme de la lutte contre le changement climatique les « héros » que nous proposent les actualités de cette première moitié de l’année de 2022. Ils sont la parfaite illustration du grand écart que propose notre société où l’hystérie médiatique côtoie parfois la rude réalité, et on oscille entre affliction et véritable espoir.
Pour l’affliction, ces 8 jeunes de l’AgroParisTech devenus en quelques heures le sujet d’un énorme buzz sur les réseaux sociaux, et presque aussitôt les coqueluches d’un jour des médias. Triste monde que celui que nous offre les réseaux sociaux où, dès que l’émotion est là, dès que des bons mots clefs sont prononcés, sont catapultés sous les feux de la rampe médiatique des personnes qui en d'autres temps n'auraient connu qu'une gloire locale, voire pas de gloire du tout.
Ce n’est pas particulièrement à ces huit étudiants que j’en veux : de tout temps, face à un système (politique, économique) on a toujours eu 4 types de comportements : ceux qui subissent le système, ceux qui en profitent, ceux qui veulent le faire évoluer, et ceux qui veulent le mettre à bas. Leur appel à la désertion professionnelle est une variante de cette 4ème catégorie, et ce n’est d’ailleurs pas une première. Il faut de tout pour faire un monde.
Ce qui me désespère, c’est qu’ils soient encensés par la bulle des réseaux sociaux, par des milliers de gens qui « likent », enivrés par leur audace, comme si ces 8 là avaient trouvé le remède à tous les maux de notre société.
Car rappelons-nous de quelle formation ils sortent : N’y a-t-il pas des vrais défis d’ingénieurs pour les jeunes diplômés d’AgroParisTech ? Nourrir une planète à 7 milliards d’individus et plus encore, dans un contexte à la fois de réchauffement climatique, de sécheresses annoncées, et d’abandon nécessaire des fertilisants issus des énergies fossiles, n’est-ce pas une mission suffisamment grande et noble pour des ingénieurs Agro ? Leur choix et leur appel à la désertion est une fuite de leur responsabilité devant cet enjeu, qui est certes énorme, mais qui nécessite notamment des ingénieurs, des vrais. Eux ne le voient pas de cette façon bien sûr, et toutes les opinions sont permises, mais n’y a-t-il pas des adultes dans la salle – je veux dire dans la salle médiatique, sur les réseaux sociaux – pour dire simplement que non, ce ne sont pas les héros des temps modernes ?
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Contraste saisissant quand on prend du champ et qu’on quitte nos petits sujets franco-français, de voir les vrais héros de 2022 : l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien dans son ensemble. Quel exemple ! Attaqués par la deuxième armée du monde, se retrouvant du jour au lendemain d’une vie « normale », à celui de pays meurtri, plongé sous une pluie de bombe, un peuple entier a fait face, mettant les plus faibles à l’abri, et partant défendre leur terre pour les autres. Le peuple entier est debout contre l’envahisseur. Point d’appel à la désertion ici !
J’admire leur stratégie : En nette infériorité au début de l’invasion, les défenseurs ukrainiens ont su à la fois, résister héroïquement là où ils n’avaient pas d’autre choix, faire preuve de beaucoup de ruse et d’opportunisme, et faire des coups d’éclats, en pleine conscience de leurs quelques points forts et des faiblesses de leur adversaire. Le pouvoir ukrainien a également réussi à fédérer tout son peuple, et à faire l’unanimité pour sa cause diplomatiquement. A l’heure où j’écris ces lignes (mi-mai 2022), ayant réussi à mettre à leur service la gigantesque machine de guerre américaine en appui arrière, ils savent que la victoire ne peut plus leur échapper, et qu'il leur appartient d'ailleurs de définir ce qui sera pour eux une victoire. Quel retournement depuis fin février 2022 !
Or cette histoire est pour moi comme une métaphore du combat climatique que nous allons devoir mener. Aujourd’hui, nous sommes comme début février 2022 en Ukraine, nous déroulons notre business as usual. La menace a clairement été identifiée, la quasi-totalité de la population en est informée, mais absorbés par notre quotidien, nos élections, nos petites querelles bien dérisoires, la sortie de deux ans de pandémie mondiale, nous refusons majoritairement l’évidence. Or elle risque de nous tomber dessus d’un seul coup, et les plus lucides d’entre nous en tremblent d’avance. En attendant, ne jamais désespérer. Même si le niveau de préparation n’est jamais au niveau de ce qu’il faudrait, toute préparation intelligente permettra possiblement de contenir l’adversaire, le temps que les actions de fond fassent leur effet. Ne jamais baisser les bras : Ce qui semble impossible à faire aujourd’hui, s’imposera comme la seule solution demain. Il ne s’agira alors pas de déserter, mais de chercher toutes les opportunités pour porter des coups à l’adversaire climatique, en cherchant avec intelligence comment le faire reculer le plus efficacement, malgré son avance qui pourra sembler d’abord inexorable.
Voici un modèle que je voudrais mettre en exergue , non seulement pour les déserteurs, mais également pour ceux qui n’y croient plus : Aux collapsologues de tout poil, qui non contents de prédire une catastrophe, voudraient presque la précipiter. A Nicolas Hulot, qui frustré par des « petits pas » qui lui semblaient trop petits, a abandonné le navire gouvernemental. Et même à Jean-Marc Jancovici qui après avoir vulgarisé le sujet sur manicore.fr, après avoir inventé la comptabilité carbone, fondé The Shift Project, inspiré de nombreuses personnes (+1) en montrant qu’il existait une approche rationnelle aux crises climatique et énergétique, ne semble plus aujourd'hui en mesure de transmettre le moindre message positif dans ses interviews et passages télé.
J’en arrive à penser que ce sont peut-être les Ukrainiens, une fois qu’ils se seront débarrassés de leur envahisseur russe, qui seront les plus à même de mener la vraie lutte contre le réchauffement climatique. Si tant est que les réseaux sociaux - où l'émotionnel prend un poids insensé face au rationnel par conception même de leurs algorithmes - ne nous empêchent pas de mener ce combat.