L'humain replacé au cœur de l'entreprise
Article co-écrit avec Julien Fanon
Le mythe de la fin du travail
Au mitan des années 2010, le débat public s’est saisi d’un sujet source de nombreuses inquiétudes : l’intelligence artificielle. Les avancées enregistrées dans ce domaine ont suscité nombre d’interrogations sur une éventuelle menace pour le monde du travail. Dans la lignée des nombreuses théories qui, au fil des révolutions techniques, n’ont cessé d’annoncer la fin du travail, divers experts ont ainsi prédit que l’IA allait à terme automatiser et remplacer les tâches tant manuelles qu’intellectuelles. Selon eux, cette nouvelle technologie devait inéluctablement se substituer à l’humain et faire disparaître la notion même de travail, laissant ainsi un pan de la société dans l’oisiveté. Même si la durée du temps de travail a diminué au cours du temps, elle ne signifie nullement la disparition du travail. Ce dernier ne fait que muter au gré des évolutions technologiques dont l’IA, entre autres, n’est qu’une des dernières illustrations. Des activités ou des métiers disparaissent pour laisser place à de nouvelle activités qui les remplacent, et ce depuis toujours et continument.
Une autre idée reçue est de rendre les nouvelles technologies et la productivité qu’elles génèrent responsables d’une polarisation des emplois. Elles ne créeraient ainsi que des postes très qualifiés en haut de la pyramide et des emplois très peu qualifiés tout en bas où l’automatisation n’est pas rentable. La polarisation des emplois constatée au début des années 2000 en France a peu à voir avec la transformation digitale mais est bien plus une conséquence de la désindustrialisation du pays. L’industrie est fortement pourvoyeuse d’emplois qualifiés qui peuplent et renforcent le milieu de la pyramide et qui complètent les activités de services.
La transformation digitale fait inévitablement disparaitre des activités prises en charge actuellement par l’humain. Mais parallèlement, elle permet d’en créer de nouvelles, généralement plus intéressantes et à plus forte valeur ajoutée.
Selon le World Economic Forum, 85 millions d’emplois dans le monde pourraient être remplacés par des machines d’ici 2025 et 97 millions de nouveaux emplois pourraient émerger du fait de la nouvelle dynamique créée par l’interaction entre les hommes et la technologie
Les outils digitaux au service de la qualité du travail
L’adoption des nouveaux outils de travail numériques est un énorme défi de transformation pour les entreprises mais elle offre aussi une formidable opportunité d’améliorer leur attractivité auprès des talents qu’elles souhaitent recruter et fidéliser. L’enjeu est loin d’être anodin à l’heure où le phénomène nord-américain de la Great Resignation (Grande Démission) touche également l’Europe. Si la « qualité de vie au travail » (QVT) a déjà permis de déployer dans les entreprises tout un ensemble d’améliorations pour les employés, l’enjeu des outils digitaux est d’une toute autre ambition : ils visent à améliorer la « qualité du travail dans la vie », c’est-à-dire le sens et l’intérêt que l’on donne à son travail. L’utilisation des outils digitaux permet ainsi de simplifier voire d’éliminer des tâches rébarbatives et répétitives, mentalement ou physiquement éprouvantes (interface simplifiée, processus ou saisie d’information automatisés, ergonomie), d’obtenir les informations pertinentes rapidement (données structurées et reliées entre elles), de vérifier instantanément la qualité de son travail (reconnaissance automatique de défauts, vérifications plus rapides), d’être alerté plutôt que toujours en alerte, d’améliorer le travail en équipe (collaboration plus immédiate et moins intermédiée par celui qui « détient » l’information) ou encore de simuler telle ou telle décision.
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Le digital peut ainsi aider chacun à tirer le meilleur parti de son expertise. En aidant à mieux faire son travail, le digital remet paradoxalement au goût du jour la notion de « craftmanship » (artisanat), replacée au cœur de l’entreprise. La répartition du temps va ainsi évoluer au profit d’activités humaines non automatisables (pendant longtemps encore !), c’est- à-dire la créativité, l’empathie, la réactivité, la résolution de problèmes, la connaissance, l’intuition qui sont le propre des qualités humaines. L’idée est de ne recourir à l’humain que lorsque l’ensemble de ses compétences cognitives et sensorielles peuvent être utilisées à bon escient dans son travail, et ce, quel que soit son niveau de qualification. Malheureusement, le digital, certes plus efficace, peut aussi créer un système qui enferme l’humain dans des processus hyper contrôlés, normalisés, où toute déviation est décelée instantanément, laissant peu de place aux qualités décrites ci-dessus. Les organisations de demain seront probablement ambidextres faisant coexister ces deux facettes…
La transformation des métiers et des processus est en marche
Dans les entreprises, de nombreux processus aujourd’hui relativement manuels vont être remplacés par des algorithmes. Une évolution qui voit émerger de nouveaux métiers dont le rôle consiste d’abord à bien « faire marcher » le processus automatique plutôt que de « faire » le processus. Par exemple, dans une usine, le planificateur s’occupera du bon paramétrage du système et de la qualité des données d’entrée plutôt que de tout faire sur Excel. De nouveaux métiers émergeront comme celui chargé de la stabilité de la production ou celui du mainteneur de jumeau numérique.
Le « reskilling » devient ainsi une des clés d’adaptation des entreprises de demain. Cela passe entre autres par la création d’académies digitales pour tous les employés (à ce jour, seuls 26 % des grands groupes en ont créé), l’instauration de programmes de « reskilling » ou de réapprentissage des métiers (2 % des entreprises ont orienté plus de 50 % de leur personnel sur ce type de programme), la mise en place d’un management acculturé au digital (seulement 13 % des entreprises ont plus de 50 % de leurs managers qui ont les compétences requises) et le pilotage de la transformation digitale au plus haut niveau (moins de 40 % des entreprises pilotent cette transformation au niveau du Comex).
Le digital peut donc être source de nouvelles compétences, mais également accélérateur du processus de bout en bout du reskilling : depuis l’analyse des compétences nécessaires demain (à une maille individuelle et collective) jusqu’aux plans de formation et développement personnalisés.
En matière d’accompagnement des mutations professionnelles des salariés, la Manufacture des Talents de Michelin au Parc Cataroux à Clermont Ferrand est sans nul doute un exemple à suivre. Parmi les cas de reskilling qui consistent à faire migrer les employés, occupant des postes en déclin, vers des postes émergents, la reconversion de l’usine Renault de Flins en site de reconditionnement de véhicules d’occasion est tout aussi emblématique. Ce type de plan de reconversion personnalisé, mais piloté à grande échelle, requiert des outils et des données pour codifier les compétences avec une maille beaucoup plus fine que ne le font les systèmes classiques des entreprises actuelles. Par exemple, moins d’une dizaine de compétences est habituellement identifiée pour effectuer le travail d’un opérateur en production. Or en utilisant des outils spécialisés de reskilling, jusqu’à 34 compétences caractérisant ledit opérateur ont pu en fait être reconnues.
Une telle analyse « à la personne » offre un potentiel énorme pour extraire les compétences nécessaires à la reconversion vers un futur métier, et éviter les blocages et impossibilités implicites. Il s’agit là d’une clé pour augmenter la capacité des entreprises de demain à s’adapter rapidement à l’évolution si rapide des métiers et des compétences. Le temps de cycle moyen d'une compétence était de 30 ans en 1985, il est de 5 ans aujourd'hui.
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Accompagnateur du Changement, Médico-social
2 ansMerci Max, vision large et tout en nuance d’un sujet qui inquiète
Delivering on the promise of technology and human ingenuity !