L’intransigeance calculée d’Emmanuel Macron face au Brexit

Le Figaro / International

Isabelle Lasserre

10/04/2019

DÉCRYPTAGE -

De tous les responsables des grands pays européens, Emmanuel Macron est celui qui, à l’égard du Brexit, a longtemps manifesté la plus grande intransigeance. Comme s’il voulait pousser les Britanniques dehors, il a affiché son agacement et son impatience envers les hésitations du Royaume-Uni, se disant prêt à assumer un Brexit sans accord. Le président français a volontairement entretenu le flou sur la suite qu’il entendait donner à la demande d’un nouveau report du Brexit par Theresa May. Il considère que l’Union européenne ne «peut être durablement l’otage de la résolution de la crise politique au Royaume-Uni».

Face à lui, Angela Merkel, une fois n’est pas coutume, a endossé l’habit de la colombe, se montrant plus conciliante et compréhensive envers les atermoiements britanniques. La chancelière considère que le retour brutal de tarifs douaniers entre le Royaume-Uni et ses voisins affecterait particulièrement l’économie allemande. En retrait sur les propositions d’approfondissement de la construction européenne, elle est aussi sur le départ.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que Paris menace de claquer la porte au nez des Britanniques. Par deux fois, en 1963 et en 1967, de Gaulle avait opposé son veto à l’entrée de l’Angleterre dans l’Europe. Il considérait que son caractère insulaire l’éloignait naturellement de la construction européenne. Héritier de cette vieille rivalité franco-britannique, Emmanuel Macron trouve à sa ligne dure de nombreux avantages. Lui qui s’est donné corps et âme à l’Europe depuis son élection, lui qui veut la réformer en profondeur et la faire avancer rapidement ne supporte plus les retards que lui impose Londres.

«La France étant l’un des États qui portent la plus haute ambition pour l’Union européenne, il est assez logique qu’elle soit l’un des plus vigilants pour que les conditions du Brexit n’affaiblissent pas l’Union», commente un diplomate français. Le président, qui a souvent opposé les progressistes favorables à l’UE aux nationalistes eurosceptiques, adresse aussi un message aux Français, à la veille des élections européennes. Quel meilleur exemple en effet que le chaos du Brexit pour leur faire comprendre les risques des politiques antieuropéennes pour les équilibres politiques et économiques?

Les menaces, directes ou indirectes, d’Emmanuel Macron, relèvent-elles de la tactique? Possible. Sont-elles uniquement destinées à faire pression sur Theresa May pour la forcer à présenter un plan crédible justifiant une extension du délai? Sans doute. S’insèrent-elles dans une répartition des rôles entre Berlin et Paris, un jeu de rôles souvent pratiqué par les responsables des deux pays? Probablement.

«La posture gaullienne, ou jupitérienne, d’Emmanuel Macron face au Brexit n’ayant pas réussi à convaincre au sein de l’Union, il est probable que le président, plutôt que de mettre son veto à la demande de Theresa May, se rallie aux arguments ce ceux qui veulent donner du temps à Londres», estime un autre diplomate. Aux dernières nouvelles, le président français pourrait ainsi accepter, à certaines conditions, qu’un délai soit accordé à Theresa May jusqu’à la fin de l’année.

Il sait qu’il ne peut s’opposer à tous les autres. Il sait aussi que précipiter un divorce sans accord serait affirmer la position dominante de l’Allemagne en Europe, au niveau économique et peut-être aussi politique. Or, après trois ans de tête-à-tête avec Berlin, Paris est nostalgique de son partenaire britannique, qui partage la même culture stratégique et le même engagement dans la défense.

La plupart des pays européens seraient d’accord avec un Brexit moins douloureux, même s’il est plus long. Mais ils accueilleraient de la même manière un changement d’avis des Britanniques sur le sujet, les pro-européens n’ayant jamais voulu le départ des Britanniques. Certes, certains s’inquiètent des effets possibles d’une participation des Britanniques aux élections européennes. L’ancien patron du parti europhobe Ukip, Nigel Farage, a prévenu qu’il comptait mener la contre-attaque au Parlement européen pour sauver le Brexit.

En attendant, faut-il rester sourd au bruit anti-Brexit qui s’amplifie de l’autre côté de la Manche? «J’étais un brexiter convaincu. Mais je crois qu’il faut ravaler notre fierté et penser à nouveau. Cela signifie peut-être reconsidérer la décision du Brexit», affirme Peter Oborne, ancien commentateur politique du Daily Telegraph, dans un long article publié par Open Democracy. Avant d’ajouter, à propos de Theresa May: «Il arrive un moment dans la vie où la détermination seule vire à la folie. La sagesse consiste alors à lâcher et à revoir sa copie.» Le vrai débat n’a pas encore eu lieu au sein de l’UE. Car il est tabou.

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