A lire : La Guerre des Metaux Rares
Cher réseau,
Je ne saurais que trop te conseiller la lecture de cet excellent ouvrage qu’est « La Guerre des Métaux Rares », de Guillaume Pitron. Ne serait-ce que parce que cet ouvrage a été récompensé par la non moins excellente « Librairie de l’Eco », émission qui a vu passer bon nombre d’auteurs talentueux à l’instar de mon éminent collègue Fabrice Houze et qui est donc gage de qualité en matière de livre d'économie.
Je rappelle d’ailleurs que le livre de Fabrice, « La Facture des Idées Reçues », est toujours disponible dans les bonnes librairies (et les autres aussi).
Magnifique transition car la « Guerre des Métaux Rares » prend justement le contre-pied de bon nombre d’idées reçues en matière de transition énergétique ainsi que le laisse entendre son sous-titre : « la face cachée de la transition énergétique ».
En préambule, l’auteur nous donne un aperçu de ce que sont ces métaux rares. Il s’agit de métaux aux noms aussi sexy que vanadium, germanium, béryllium et qui sont devenus indispensables à notre mode de vie contemporain. Jugez donc : On les trouve dans les composants électroniques et les processeurs qui équipent la quasi-totalité des appareils électroniques grand public, les écrans plats d'ordinateurs ou de smartphones (ceux-ci contiennent par exemple l'indium, un métal rare distillé sous forme de poudre dans les écrans de nos smartphones et qui permettent à ceux-ci d'être tactiles), dans de nombreux alliages prisés de l'industrie aéronautique mais aussi, paradoxalement, dans les technologies liées aux énergies renouvelables : dans les batteries des véhicules hybrides et électroniques, les pots catalytiques, les ampoules basse consommation, les aimants utilisés dans les alternateurs d'éoliennes et les panneaux photovoltaïques.
Pourquoi "paradoxalement" me direz-vous ? C'est l'argumentation que l'auteur déroule dans la première partie de l'ouvrage. Les métaux rares, nous explique-t-il, se trouvent en concentration très faible dans l’écorce terrestre. Guillaume Pitron fait une analogie entre la roche et le pain que fabrique le boulanger et considère que la proportion de métaux rares dans la roche équivaut à la pincée de sel que le boulanger met dans son pain. Il faut parfois extraire plusieurs tonnes, voire centaines de tonnes pour obtenir un kilo de métal rare. Ainsi, en Afrique du sud, on extrait chaque mois 200 000 tonnes de roche, chaque tonne contenant seulement 4 à 7 grammes de platine. Et séparer le métal rare du reste de la roche - on appelle cela le "raffinage" est une opération très lourde, nécessitant de broyer la caillasse et d'employer de nombreux acides chimiques et nocifs, tels les acides sulfuriques et nitriques, tout en requérant l'utilisation de cubages d’eau à faire frémir tout écologiste (200 mètres cubes d'eau pour purifier chaque tonne de terres rares), eau qui va se charger d'acides et de métaux lourds avant d'être évacuée dans les fleuves, sols et nappes phréatiques. En définitive, pour "faire du propre" (panneaux solaires, éoliennes, véhicules électriques), il faut "faire du sale" et, fort de ce constat, la révolution écologique tant décriée par les défenseurs des "green techs"prend un tout autre visage. Un visage que Guillaume Pitron nomme la matérialité de l'invisible.
Plus grave encore, nous avons perdu la bataille économique et géopolitique relative à la production de ces métaux rares. Il y a plusieurs décennies, la plupart des pays industrialisés avaient une production minière plus ou moins importante. Toutefois, devant l'ampleur des dégâts écologiques occasionnés par cette activité, l'Occident a fait le choix de pudiquement se voiler la face en délocalisant l'extraction des métaux dans des pays prêts à tout pour épancher leur soif de croissance mais surtout beaucoup moins regardants sur les questions environnementales, au premier rang desquels la Chine. Au fil des décennies, la Chine a donc acquis le monopole de l'extraction de métaux rares sur laquelle elle détient désormais un quasi monopole. Elle concentre par exemple 95% de la production des Terres Rares (appellation qui désigne un groupe de 17 métaux rares des plus stratégiques pour les nouvelles technologies), ce qui lui permet de stopper la livraison à tel ou tel pays en cas de tensions géopolitiques (le Japon en a fait les frais lors d'un embargo en 2010) ou de faire fluctuer les prix à sa guise pour privilégier son marché intérieur. Surtout, non contente d’avoir mis la main sur l'amont (l'extraction des métaux rares), l'Empire du Milieu a imposé des transferts de technologies massifs (en échange de l'accès à la matière première) aux pays occidentaux et contrôle désormais aussi l’aval de la filière, devenant le fabriquant exclusif de nombreux composants indispensables aux économies modernes; la Chine contrôle notamment les trois quarts de la production mondiale d'aimants utilisés dans des segments stratégiques tels l'armement moderne, les télécommunications, les transports en tous genres ou la transformation numérique.
La lecture de l'ouvrage est effrayante et instructive à plusieurs titres. Elle démontre qu'après les révolutions du charbon au 19ème siècle et du pétrole au 20ème, nous pensions avoir remplacé notre dépendance aux énergies fossiles par une révolution énergétique propre et sans limites. Il n'en est rien. Nous avons remplacé une addiction, au pétrole, par une nouvelle addiction, celle aux métaux rares. Une addiction d'autant plus dangereuse que pour satisfaire nos besoins, nous allons devoir extraire plus de métaux que l'humanité n'en a jamais extrait depuis son origine. Or la ressource n'est pas épuisable à l'infini et les conséquences écologiques que nous connaissons maintenant ne peuvent être négligées. Qu'en est-il du recyclage ? Pour être véritablement efficaces, les métaux rares demandent à former des alliages sophistiqués; par conséquent, "désassocier" les éléments pour les récupérer demanderait une énergie et un coût qu’aucun industriel n’est prêt à assumer. Du coup, des montagnes de déchets précieux s’amoncellent alors que la consommation progresse au rythme d’un doublement tous les quinze ans, au plus. Pourtant, aujourd'hui, le déni de la rareté des ressources, du coût environnemental et énergétique de l'extraction semble total.
Sur le plan économique et géopolitique, la Chine joue la carte du temps long et entend façonner de sa main le nouveau monde énergétique en se lançant dans une chasse aux métaux rares au Canada, en Australie, au Kitghizstan, au Pérou ou encore au Vietnam et en prenant des participations dans de nombreux projets miniers au sein de ces pays. "Un peu, nous dit Guillaume Pitron, comme si l'Arabie Saoudite qui détient déjà les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde, s'arrogeait le contrôle de toutes les réserves d'or noir des quatorze pays membres de l'OPEP" . L'amont, donc, une fois encore. Mais les Chinois ont bien l’intention de gagner aussi la bataille sur l’aval de toutes les technologies du futur et cela fonctionne. Le pays est déjà le leader des technologies vertes dans le monde. Il s’agit du premier producteur d’énergies vertes au monde, du premier fabricant d’équipements photovoltaïques, de la première puissance hydroélectrique, du premier investisseur dans l’éolien et du premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies. Les grandes puissances occidentales sont à sa merci, mais ici encore en ont-elles pris seulement conscience ?
Au final ce livre fascinant montre à quel point nous nous précipitons les yeux fermés vers un monde prétendument écologique et numérique dont les tenants et les aboutissants restent globalement inconnus du grand public comme de bien des industriels et nous pousse à réfléchir à notre monde, à ses enjeux et ses limites, à la société que l’on souhaite bâtir dans un monde qui comptera bientôt dix milliards d’habitants.