L'unicité
Tôt, il avait pris goût à écrire des contes, des poèmes et à les dire.
Vers l’âge de dix ans, il avait gagné une sorte de concours au sein de sa classe de CM2 et s’en était trouvé encouragé.
Si ses écrits étaient devenus plus tourmentés à partir de la puberté, l’allant pour la création pure, la propension à jouer, en l’occurrence avec les mots et les sons, lui étaient restés.
Au tout début de ses études supérieures, à l’âge où non seulement les possibles s’ouvrent, mais encore où se forment en nuées les rêves les plus fous, l’idée de vivre de la poésie et de devenir écrivain lui était même assez intensément venue.
Mais son propre chemin, qui allait s’avérer peut-être plus passionnant encore que celui qu’il espérait aux commencements, le mènerait tout d’abord à tenter, coûte que coûte comme on dit, aussi bien que le plus naturellement qui soit, de gagner sa vie.
Autant que le jeu et l’écriture, l’instinct de survie lui était venu, pour ainsi dire, de manière spontanée.
Or, celui-ci s’avéra salvateur, non seulement pour lui-même, mais encore pour un certain nombre de personnes, dont ses proches pour qui son propre délabrement social, mental voire physique, aurait été catastrophique.
Salvateur, il le fut également dans tout un contexte, lequel ne se mesurait pas encore et ne se mesure aujourd’hui toujours que trop peu, en d’autres termes : pour l’ensemble.
En effet, si l’ensemble, qu’on peut aussi appeler, non sans une certaine crainte révérencieuse, l’univers, ne se trouve pas à tout jamais hors du danger qui le guette (autant qu’il le suscite, d’ailleurs) de l’anéantissement, il est un fait qu’une fois sauvé, le poids de son âme alors, à tout le moins ne contribuait plus à alourdir celui du monde.
Quelle est cette propension générale à suivre un modèle, une voie préétablie et à se rassurer au moyen d’une déontologie, aussi subtile et élégante soit-elle ?
Toujours plus (quantité), toujours mieux (qualité), la rareté, s’érige semble-t-il en étendard de notre raison d’être, de notre manière de vivre et d’habiter le monde, devenant ainsi aussi commune et banale qu’un diamant de pacotille.
Et que nous apporte cette quête effrénée si ce n’est, par définition, des excès ?
Excès de production, excès de confort, excès de progrès.
Certes les grandes entreprises humaines (guerre, aménagement du territoire, commerce) se développent, jusqu’ici, majoritairement sans tenir compte de leur environnement.
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L’être humain, en tant lui-même qu’émanation de la nature, a dû, de plus, longtemps et encore aujourd’hui activement lutter pour ne serait-ce que survivre.
En outre, l’être humain jouit, via tout particulièrement la faculté d’imagination, d’une capacité à traduire ensuite ses visions en objets, en d’autres termes à concevoir et à fabriquer.
Enfin, l’être humain semble intrinsèquement doué d’une capacité d’empathie, laquelle lui permet de prendre en compte, en tous cas jusqu’à un certain point, le sort de ses congénères, sans oublier, bien sûr, fondamentalement le sien propre.
En grande partie établie sur ce même concept de rareté, la théorie économique, notamment, pousse toujours davantage nos classes politiques dans une direction hasardeuse.
N’ayant, dès lors, pour objectif que d’amasser et attirer la richesse, matériellement (argent) comme spirituellement (bien-être), la nature même de l’existence semble bafouée à force de confondre avoir et être, niant ainsi l’essence même, évanescente aussi bien qu’omniprésente, de la vie.
Partie intégrante de la nature, nous nous comportons en effet, individuellement comme collectivement, comme si nous en étions sinon les maîtres, du moins les possesseurs, destinant par là même celle-ci, principalement au seul diktat de notre bon plaisir.
Arrivé à un point tel d’opulence, l’être humain ne sait plus partager, aveuglé par l’emprise d’une quête frénétique consistant à toujours davantage acquérir.
Quant à sa capacité à faire, considérée à partir de la pensée, celle-ci ne peut malheureusement que le mener à sa perte, car faussement érigée alors, en créativité et en nouveauté pures.
C’est pourquoi, plus que la rareté, l’unicité décrit, semble-t-il, davantage adéquatement l’ordre et la nature des choses, en cela qu’elle opère une rupture radicale entre être, d’une part, original, unique et éphémère, et avoir, d’autre part, par définition toujours de seconde main (habitude>habitus>habeo).
Ainsi, il apparaît bel et bien que seul ce qui est vivant soit véritablement unique, malgré les tentatives obscènes, collectives comme individuelles, pour aménager, modeler et finalement artificialiser celui-ci.
En effet, quels que soit les traits qu’ici ou là le vivant adopte, il émane irrémédiablement d’une même source universelle, la source unique de tous comme de toutes choses, gage justement de son authenticité.
C’est pourquoi l’unicité ne peut jamais s’apparenter à l’uniformité et a toujours pour corollaire, tout au contraire, la différence.
Loin d’avancées supposées révolutionnaires (IA), seul l’intelligence intuitive, innée, en d’autres termes originale tout comme universelle, crée, invente, ou encore transforme.
Et ce qui advient par la vie, alors, n’est pas seulement rare, évaluable ou même réussi, mais spontanément et absolument unique.