Management et générations ?
Un jeune et un vieux discutent (à quel âge est-on jeune ou vieux ? Cela dépend du point de référence de son propre âge actuel) :
Un « vieux » : « tu es trop jeune, tu ne peux pas comprendre »
Un « jeune » : « tu es trop vieux, tu ne peux plus comprendre »
Une solution simple : respecter l’autre et se faire respecter. La solution me semble être dans la question du respect, de l’envie de la relation et d’une forme de réciprocité.
« Vieux » et « Jeune » sont devenus des mots d’insultes ?
Ce petit article résume certaines réflexions et certains éléments d’une intervention, qui m’avait été demandé par les étudiants lors de la Journée Efficacité Plus (Euginov, iaelyon, Université Jean Moulin), organisée par ces derniers le 27 mars 2017 sur le management intergénérationnel. Le format écrit n’ayant pas la même portée qu’une intervention orale, on y retrouvera certains éléments de ma réflexion sous une autre forme et il manquera, à l’inverse, la puissance d’une intervention physique en laquelle je crois lors du rapport d’humain à humain, peu importe leur génération.
En résumé, je ne crois pas aux générations mais au contexte (historique, sociale, économique, technologique) et effets de mode (flux d'informations normatifs) auxquels nous sommes soumis. Il peut y avoir des tendances mais la plupart semblent parfois illusoires. J’ai donc une légère aversion pour les classements du type génération X, Y, Z, @ qui me paraissent souvent plus cosmétiques qu’issus d’une analyse du monde réel. Chercheur et curieux par nature, jeune pour certains, vieux pour d’autres, j’ai bien du mal à m’identifier dans les caractéristiques données. L’équilibre vie professionnelle/vie privée ? J’ai bien l’impression que toutes les générations que je côtoie actuellement y sont sensibles du fait de l’évolution du monde. Par exemple, la profusion d'informations amènent beaucoup plus de comparaison et des sujets apparaissent alors comme les questions de justice, de RSE, de diversité, de qualité de vie au travail, d'équilibre vie personnelle/vie professionnelle, etc. avec des formes de rebellion (lutte de reconnaissance en clin d'oeil à Axel Honneth).
Mes activités professionnelles et personnelles me font côtoyer ce que certains appelleront 4 ou 5 générations, les classant pour ma part plutôt par tranche de 10 à 20 ans par rapport à mon âge en dessus et en dessous (notre référentiel implicite étant en général nous-mêmes). J’y vois que les changements dans le monde amènent à des phénomènes de transformation identiques des personnes mais adaptés à chacun par son âge, ses expériences, etc. Ces générations gagneraient à s’écouter un peu plus les unes les autres, quand la patience me prend de prêter une oreille constructive vers le bas ou vers le haut, je vois énormément de potentiel.
La tare de nos jours me semble, à toutes les générations, sans généraliser, d’être refermé sur nous-mêmes entre sur-évaluation et sous-évaluation de soi. Elle peut amener à avoir peu d'intérêt pour ce que l’autre raconte, peu importe son âge. Stressé, se bouchant les oreilles en protection de l’autre, recroquevillé sur soi, sur quelques règles ou idées, parfois absurdes, défendues becs et ongles ou provoquant un bouchon entre l’oreille et le cerveau mais aussi entre le geste et le cerveau, il devient rare de faire. Or, faire, c’est apprendre, confère la pédagogie interactive porté par des courants pédagogiques comme celui de Freinet, jusqu’à l’Institut de Socio-Economie des Entreprises et des Organisations (ISEOR) dans lequel j’interviens et fais de la recherche. Chacun à son niveau au sein du centre Euginov essaie d’impulser cette approche pédagogique auprès des étudiants comme dans la vie professionnelle ou la vie de tous les jours : une pédagogie agissante plutôt que contemplative, mémorisante, voire abrutissante empêchant la pensée critique, critique de soi, des autres, positives et négatives nécessaire au développement d’un sens critique respectueux des idées et des personnes.
Pour revenir sur les transformations du monde, la mondialisation est le terreau de nouvelles opportunités et de nouvelles peurs, en particulier peur de l’autre, de son regard, de ce qu’il a à me dire, de la perfide remise en cause, du désir de son attention. Mais aussi, peur de la mort, le "jeune" pouvant renvoyer pour chaque individu à la peur de sa propre mort comme le "vieux" renvoie également à la peur de sa propre mort. La fin d'une relation saine et constructive s’établit dans cette réciprocité négative qu'il convient de dépasser. D'autant que la construction de notre identité peut être fragilisée (cf. mon article sur normes sociales et identité morcelée) par une mise en relation dégradée, par du mépris, du déni, une absence de reconnaissance réciproque essentielle aux relations constructives et, pour notre sujet, à une intergénération constructive. Il s’agit d’apprendre l’art difficile de tisser des relations, réciproques, respectueuses, pas forcément bien pensantes, parfois contradictoires, parfois provocatrices, dans le but de se faire grandir mutuellement, à tous les âges. Le besoin insatiable d’évolution positive de soi, pour soi et pour les autres.
Dans la pratique, Ô combien difficile, quelques pistes :
- Essayer de comprendre avant de juger.
- Avoir une réelle écoute de la proposition, des enjeux, des interrogations de l’autre. Astuce (pas si anodine) : s’intéresser à l’autre, à ce qu’il fait…
- Se taire (éviter de parler parce que je suis moi-même stressé et que je veux m’imposer à l’autre en le réduisant au silence, sous couvert de narcissisme : « de toute façon je suis génial »), laisser parler l’autre avant de vouloir placer son idée.
- Éviter l’évitement (physique notamment), ne pas s’isoler, aller au contact de l’autre et au contact direct (éviter les mails ou le téléphone pour traiter les problèmes).
- S’accorder du temps pour comprendre et construire. "Ritualiser" les attachements, les relations... dans l'entreprise notamment, c'est redonner des espaces et des temps symboliques, des sujets symboliques, au sein des réunions, des manières de s'organiser, des manières de se parler et de s'écrire. Des temps qui peuvent être courts, articulés aux sujets du quotidien ou de l'avenir, mais qui sont importants.
- Discuter sur les règles du jeu, le cadre de la relation, le temps à y consacrer et parfois sa finalité. La construction de la relation et ses surprises peuvent être des finalités en soi.
- Écrire ses propres histoires, ses propres pensées, ses propres idées (et celles des autres) pour permettre d'avancer à partir d'une base écrite stabilisatrice par rapport aux flots verbaux et mentaux. Utiliser l’écriture comme élément structurant, utiliser la lecture comme enrichissement de son sens critique et apports à sa structure identitaire afin de forger des avis.
Sans approcher la question des générations autrement que sous l'aspect marketing (entre flatterie aux jeunes ou aux anciens, et pur mépris), le terme de "génération" pourrait ne plus rien avoir de positif. Il serait une perte de sens, une excuse ("ah oui, bah c'est la génération X, Y, Z, ils sont comme ceci ou cela"), un repli identitaire de plus comme de se raccrocher au sexe, à l'origine, à la classe sociale, aux années d'études, et à tant d'autres moyens de séparer plutôt que rassembler, pour justifier que l'autre "n'y arrivera pas", "ne peut pas comprendre", "ne mérite pas que je l'écoute", etc. Cherchons plutôt une vision de la génération comme ingrédient d'une diversité intégrée dans chaque Homme en apprentissage, dans la recherche du faire plutôt que dans le dire.
Après la journée efficacité plus du 27 mars dernier, c'est aussi le thème du Colloque d'Automne de l'Iseor du 18 et 19 octobre 2018 qui aura lieu à l'iaelyon : "Comment travailler ensemble? Défis de l'intergénération".
Quelques éléments bibliographiques pour ceux qui s'intéressent aux travaux de relations de reconnaissance, de pédagogie interactive et de recherche :
Roche A. (2014), La recherche-intervention comme révélatrice des dimensions des pratiques de reconnaissance dans les organisations, @GRH, 2014/4 (n° 13), 11-42.
Roche A. (2015), Définition de deux systèmes dialectiques de reconnaissance présents au sein des organisations, RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 2015/3 (n° 17), 20-44.
Savall H., Zardet V., Péron M., Bonnet M. (2015), Le capitalisme socialement responsable, Paris : EMS Editions.
Savall H., Zardet V. (2004), Recherche en sciences de gestion : approche qualimétrique, Paris : Economica.
Voyant O. (2017), Enseignant-chercheur : de l’éthique de responsabilité à la pédagogie interactive, Management et sciences sociales, 21, 63-77.
Bonne semaine.
MEDICO en INP
6 ansFELICICITACIONES ME GUSTO MUCHO
MEDICO en INP
6 ansHOLA QUE IMPORTANTE COMENTARIO TE FELICITO POR EL TEMA QUIEN ES VIEJO Y QUIEN ES JOVEN
Grand père titularisé 😏
6 ansJe partage la plupart de vos arguments. Néanmoins je suis plus réservé sur vos remarques relatives àl'identification des générations. Bien sûr ce n'est pas une question d'âge, bien sûr l'environnement influence inévitablement les comportements. Mais finalement face à une situation, diverses "classes d'âge" réagiront différemment. Le baptême alphabétique des générations plus jeunes traduit à mon sens une certaine réalité. Et cela ne veut pas dire que ce qui les caractérise soit négatif, bien au contraire.