Manager: changer la situation en une situation préférée.
‘[e] veryone designs who devises courses of action aimed at changing existing situations into preferred ones.’
« Quiconque imagine quelque disposition visant à changer une situation existante en une situation préférée est concepteur. »
Herbert A. Simon, The Sciences of the Artificial, 3rd ed. (Cambridge, MA : MIT Press, 1996) : 111
La maxime du prix Nobel s’applique initialement à la conception technologique, mais elle pourrait parfaitement s’étendre au management et aux interactions humaines, ne serait-ce que parce que le manager doit faire en sorte que les collaborateurs puissent accomplir leur mission, ce qui passe aussi par les conditions matérielles de travail.
Ce matin, en prenant le café avec des collègues, je les écoutais se plaindre de l’organisation d’un projet dont ils subissaient les contrecoups indirects, au sens où l’empreinte sur eux est très forte, mais comme ils ne sont pas directement dans les équipes du projet, celles-ci ne les voient pas. Ils se plaignaient donc, à juste titre visiblement, tout en postulant que l’équipe du projet a nécessairement connaissance de leur situation donc que c’est volontaire qu’on leur mène la vie dure.
Leurs complaintes semblaient pourtant assez simples à dissoudre, avec un process d’organisation légèrement différent, qu’ils énonçaient d’ailleurs clairement et leur paraissait simple à déployer. D’où vient donc le problème ?
En réfléchissant avec eux, la principale question, que nous n’avons pas réussi à éclaircir, est d’identifier la ou les bonnes personnes qui pourraient débloquer la situation. Qui a vraiment les leviers pour agir ?
L’existence même d’une telle discussion est troublante : comment se fait-il qu’un problème d’organisation interne à une équipe puisse faire l’objet d’un ressenti aussi fort alors même que ceux qui le subissent proposent une solution qui leur paraît acceptable pour rendre la situation meilleure ? Comment se fait-il que les collaborateurs n’appliquent pas d’eux-mêmes la solution à leur problème ? Comment se fait-il que les collaborateurs ne puissent pas ou ont l’impression de ne pas pouvoir améliorer d’eux-mêmes une situation pour la transformer en une situation préférée alors qu’ils auraient les moyens de le faire ?
Cela souligne une défiance envers le manager : les équipes ne se sentent pas libres de pouvoir mettre en œuvre des initiatives propres, sans autant oser en échanger avec le manager. Cela souligne également le manque d’engagement du manager envers son équipe, puisqu’il ne voit pas un problème interactionnel.
Cette situation est typiquement de celles actuelles qu’on aimerait voir changer par une situation préférée. Ce devrait au moins être le rôle du manager, en assurant les conditions de possibilités, le cadre, des conditions de travail de ses collaborateurs.
Mais, si nous poursuivons le raisonnement, pourquoi passer par le manager ? Pourquoi les collaborateurs eux-mêmes ne pourraient pas appliquer l’organisation qui leur convient directement, dans le cadre des conditions de possibilités tant matérielles que d’objectif ? Cela n’implique pas de se passer de « manager », mais celui-ci devient le « facilitateur », le réalisateur au sens de Sydney Lumett qui s’assure que chacun fait bien le même projet et en a les moyens. Le manager facilitateur devient alors le garant du cadre, des conditions de possibilités, sans devoir donner des ordres et des directives.
Ce changement de paradigme suppose non seulement de sortir de la conception du manager comme petit chef, mais aussi du manager comme devant avoir plus de savoir, de compétences ou de talents que les collaborateurs. En effet, le manager facilitant doit avoir comme talent la capacité de rendre la tâche plus facile aux autres, dont d’y être ouvert, d’écouter activement. Le facilitateur est un support aux équipes et non plus un chien de garde.
Mais la fonction de facilitateur remet en cause aussi la tendance actuelle du « manager coach » qui chercherait directement à stimuler les talents et les compétences et poussant derrière ou en tirant derrière. Cette posture est infantilisante : elle considère que le collaborateur n’est pas capable de lui-même de mettre en œuvre ses compétences et ses talents.
Un collaborateur qui n’exprime pas de lui-même ses talents et ses compétences n’a pas envie de le faire ou ne peut pas le faire. Et s’il n’est pas engagé, c’est qu’il faut changer quelque chose. Lui hurler dessus, le menacer, le forcer, le contraindre est une solution qui marche, l’esclavage en est la preuve, mais il faut se contenter alors d’un engagement de façade. Les paradoxes pragmatiques du type « sois engagé ! », « sois impliqué », « sois heureux au travail », ne produisent que ce qu’ils peuvent produire : des doubles contraintes.
Mais la méthode « coach », comprise comme « je vais révéler les talents qui sont en toi » n’est pas vouée à meilleur résultat. C’est supposer :
- que le collaborateur a un talent ou une compétence,
- que le collaborateur ne sait pas qu’il possède ce talent ou cette compétence,
- que le manager sait que le collaborateur a un talent et une compétence,
- que le manager sait révéler ce talent et cette compétence d’une manière que le collaborateur ne pourrait faire sans lui.
C’est un peu présomptueux, c’est plus faire de la psychanalyse de comptoir et surtout cela pose un gros problème vis-à-vis des talents et des compétences : si un collaborateur a été recruté et si une mission lui est assignée, c’est qu’il en est jugé capable et apte au moment de son recrutement et de son assignation, ou c’est qu’il y a un problème de recrutement. Cela ne veut pas dire qu’il est immédiatement complètement opérationnel, mais qui pourra l’être dans les délais nécessaires et raisonnables. Donc soit le collaborateur sait qu’il possède les compétences et les talents nécessaires pour réaliser sa mission, soit il n’a pas besoin de le savoir parce qu’il pense qu’il est capable de réaliser la mission à partir du moment où il l’accepte. Cela n’enlève rien au fait que la manager puisse révéler des talents ou des compétences, mais cela signifie que cette activité est nettement périphérique par rapport celle principale qu’il doit tenir, à savoir : donner les conditions pour que le collaborateur puisse effectuer sa mission de la meilleure manière qui soit, en lui donnant les conditions de possibilités optimales pour le faire.
Un talent ou une compétence, tout seul, ne sert pas à grand-chose. Imaginer un collaborateur ayant un talent particulier pour pêcher et qu’il soit au milieu du Sahara. Ce talent ne va pas lui servir à grand-chose, parce qu’il ne sera pas dans le bon contexte, dans le bon cadre de référence, d’expérience, pour utiliser à plein ce talent. Un talent, une compétence, n’a de sens que s’il peut être utilisé de manière pertinente dans une situation, en réaction, action ou interaction dans l’environnement.
Le manager, au lieu de « révéler » le talent du pêcheur, devrait plutôt s’occuper à trouver le moyen qu’il puisse s’exprimer au mieux : mettez-le au bord de l’eau et il vous ramènera du poisson. Dans le contexte approprié, ce talent ou cette compétence se révélera de lui-même, sans avoir besoin d’une quelconque analyse plus poussée.
En poussant le raisonnement, en donnant la liberté nécessaire, dans le cadre de référence, au collaborateur pour qu’il aménage le contexte de sorte à qu’il puisse révéler ses talents, ses compétences et son potentiel, serait sans aucun doute beaucoup plus simple, efficace et engageant.
Croire que les collaborateurs n’en sont pas capables, c’est ne pas leur faire confiance. Pourquoi voudriez-vous qu’il vous fasse confiance en retour ? C’est également croire qu’ils ne sont pas capables, pas au niveau. Pourquoi alors penser qu’ils puissent réaliser la mission que vous leur confiez ? C’est penser qu’ils ne sont pas engagés et qu’ils ne peuvent pas l’être. Pourquoi alors le deviendraient-ils si vous ne répondez pas à leurs attentes et à ce qui peut les motiver ?
Et si nous laissons faire les collaborateurs comme ils veulent dans le cadre précis et défini du projet ? Pourquoi ne pourrions pas simplement dire quels sont les objectifs et les moyens dont nous disposons pour les atteindre et laisser ensuite chacun individuellement et collectivement trouver une manière de répondre aux objectifs de la meilleure manière possible avec les contraintes données ? Pourquoi ne pas leur faire confiance ?
Certes c’est candide, mais pourquoi ne pas prendre le risque que cela marche ? Ce n’est pas plus idiot que la méthode du manger cerbère ou supérieure dont on voit qu’assurément elle ne marche pas.
Co-fondateur des Chemins Collaboratifs Facilitateur d'intelligence collective et Accompagnant en Gouvernance Partagée
8 ansFacilitateur, un chouette boulot !
Directeur Régional chez GROUPE FH ORTHO
8 ansTrès instructif ... Manager facilitateur, ou encore Manager impliquateur !
Directeur adjoint en établissement de santé // Formation et conseil en gestion et pilotage hospitaliers
8 ansC'est une approche que peu de managers entendent. Peut-être parce qu'ils la voient comme une perte de contrôle (de pouvoir?) . C'est en tous cas ce que nous tentons, en ce moment meme, de mettre en place au sein de ma direction. Et si candide que cela puisse apparaître à certains, je suis persuadé du bien fondé de la démarche. L'avenir me contredira peut-être....ou pas ! Quoi qu'il en soit, bel article.