Manageur dans un système complexe

Manageur dans un système complexe

Si l’on observe comment s’organise une collaboration professionnelle au service d’un projet commun, l’idée des liens d’interdépendance entre les enjeux et les stratégies individuelles apparaît comme un des éléments d’analyse possible. Dans cette logique, l’action managériale doit s’adapter au contexte relationnel qui est en constante évolution. Les accords et désaccords se font et se défont, selon les objets d’échange, autour desquels les enjeux fluctuent. Dans ce maillage interactionnel qui tient une institution, quels sont les jeux de direction possibles afin de garantir une finalité et une démarche collective ?

 L’influence mutuelle des acteurs en interaction fait émerger une « qualité nouvelle » (Watzlawick[1]) - du sens, un contenu, une logique, etc. Le système managérial est ainsi composé d’un enchaînement de communications, en réciproque et constante réponse. Si nous appréhendons les interactions humaines de ce point de vue, les comportements des acteurs sont également considérés comme des formes communicationnelles (Muchielli[2]). Dans une conception systémique, les comportements ne peuvent être analysés sans les éléments contextuels - sociaux, politiques, économiques, etc. Des agirs individuels sont toujours des actions co-construites en relation avec un autre acteur ou un groupe d’acteurs dans un contexte donné.

Par conséquent, la compréhension d’un problème intervenu dans un système ne peut s’appuyer sur l’analyse d’un seul de ses éléments. L’analyse systémique tente de rendre compte de cette complexité relationnelle et contextuelle. Non seulement la définition du problème, de l’objectif et de la manière d’y arriver est différente, selon les points de vue subjectifs, mais les visions individuelles sont constamment modifiables en relation communicationnelle. Par ailleurs, le fait de se taire ou de ne pas agir influe également sur le système (c’est aussi une communication), selon le principe « On ne peut pas ne pas communiquer » (Watzlawick). Comprendre le système des interactions impliquées dans l’organisation permet de faire évoluer l'échange par des recadrages. Cette intervention fait apparaître la notion réalités secondaires à savoir des idées que l’on se fait sur les choses et les gens. La communication participe ainsi à la construction d'une « réalité sociale » et le recadrage qui intervient sur la reconfiguration du sens – est une application de ce principe.

Cette analyse entraîne une rupture avec l'idée de la responsabilité linéaire dans les problèmes humains. Si nous envisageons que chaque acteur participe au fonctionnement de l’ensemble et inversement, les personnes sont à la fois « entraînées dans » et co-auteurs d’un jeu. Ce jeu répond d’un équilibre qui participe, en quelque sorte, à une renégociation constante des enjeux individuels, selon le projet visé. De part de sa fonction de responsabilité, un manageur peut intervenir sur ces jeux relationnels en introduisant des recadrages de reconfiguration. Pour avoir un impact dans une organisation, une décision managériale compose forcément avec les liens d’interdépendance des acteurs. Les stratégies pour convoquer des visions divergentes dans le processus de la décision managériale sont plurielles – de la consultation indirecte à la participation directe dans la définition d’une politique commune.

La co-construction de la décision managériale.

Le terme de « co-construction[3] » fait référence à des notions de démocratie participative, concertation, co-développement, parmi tant d'autres. Il décrit également[4] le processus de décision dans une organisation et la manière de manager des projets d’action.

La co-construction dans la décision managériale est décrit à partir d’expériences de plusieurs entreprises[5] comme créatrice de ponts entre l’innovation, valeur économique et enjeux collectifs. La stratégie politique et le mode de la pensée collective peut s’articuler autour de la décision ainsi construite. C’est une « méthode de recherche d’un accord entre des acteurs ayant des fonctions et des intérêts différents » [6], où chaque acteur a un point de vue rationnel qui influence l'ensemble du projet collectif. Un espace de délibération des acteurs concernés permettrait de décider en appui du mode opératoire le plus adapté pour un collectif de travail. Dans cet espace, des idées divergentes, l'interdépendance, du doute collectif, de la confrontation et de l'expérimentation de l'erreur sont conviées à être partagées (Duipuis-Hepner[7]).

L’application concrète de la décision co-construite varie en ce qui concerne l’étendue et le périmètre de la participation possible. Une étude des pratiques managériales dans les sociétés françaises réalisée par Rojot[8] dans les années 1990, affinait déjà des catégories de participation : entre la participation aux profits, à la décision de gestion, à l’amélioration des conditions de travail, au développement de l’entreprise ou à la loi interne. D’autres études (Lainé[9]) décrivent un lien entre management coopératif et la prévention des risques psycho-sociaux. Dans les faits, il existe des modes de décision plus ou moins centralisés – dès la stratification pyramidale de la responsabilité et de décision jusqu’au modèle d’entreprise libérée décrit par Getz[10]. Ce dernier, présent dans un nombre grandissant d’entreprises en France et dans le monde, permet une organisation des salariés en groupes autogérés et responsables d'une mission particulière où la hiérarchie est supprimée. C’est un modèle qui s’appuie sur l’idée des systèmes écologiques, capables d’adaptation constante en fonction des opportunités analysées collectivement. Sur un principe similaire s’organise également un nombre important de coopératives, associations et plus largement des entreprises sociales (ESS[11]).

[1]Watzlawick, P., Une Logique de la communication, Paris, Seuil, 1972

[2]Mucchielli A., Pratiques de communication dans le management. Domaine de la psychologie ou domaine des Sic ? Hermès, La Revue 2004/2 (n° 39)

[3] Akrich M., Co-construction, in CASILLO I. avec Barbier R., Fourniau J-M., Lefebvre R. et Salles D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013

[5] Chanon Anne, Jérôme Auriac L’entreprise à l’ère de la défiance, de l’intérêt du dialogue sociétal, Harmattan 2012.

[6] Foudriat M., Sociologie des organisations, Éditions Pearson, 2011

[7] Dupuis-Hepner N., Le Gendre G., Co-créer ou la fin du management standardisé, Les Echos, 28/05/2014

[8] Rojot J., Les nouvelles stratégies sociales des entreprises : les modes de gestion participatifs, Dalloz, 1995

[9] Lainé A., ICA Research Conference, septembre 2010

[10] Professeur à l'ESCP Europe, Isaac Getz décrit en 2009 le management observé chez l’entreprise FAVI, en Picardie (équipementier automobile), et chez Poult à Montauban (biscuiterie).

[11] Economie sociale et solidaire.




Margot Colin

en retraite mais pas inactive

7 ans

Hey Margot’ je vois que tu continues dans ta révolution managériales....

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