MARCHE DU 29 AOÛT, LES CHEMISES NOIRES MAURICIENNES ?

MARCHE DU 29 AOÛT, LES CHEMISES NOIRES MAURICIENNES ?

De quoi le noir est-il la couleur politique ?

Quels que soient les arguments choisis – révolution, protestation ou libération – pour justifier le vêtement noir comme symbolique visuelle de ralliement dans la marche du samedi 29 août 2020, ce choix dément d’emblée une démarche apolitique. Ceci rajouté au fait que le slogan choisi, « Sel Solution Revolution », qui donne comme sigle « SSR », lui donne une filiation directe avec un parti local.

Le noir n’est pas la couleur des révolutions. En choisissant de défiler sous la couleur noire, la manifestation de ce samedi 29 août 2020 affiche, même involontairement, une parenté identitaire avec les fascismes. Pour ceux qui espèrent que la marche du 29 août 2020 à Port-Louis rentrera dans l’Histoire, il ne faut pas oublier que la marche du 28 mars 1922 des Chemises Noires de Mussolini est elle aussi restée dans l’Histoire, et pas pour de bonnes raisons.

Le 28 mars 1922, les Chemises Noires de Benito Mussolini marchaient sur Rome, dans le but de faire pression sur le gouvernement italien. Pour Mussolini, la marche sur Rome était avant tout une démonstration de force. Cette manifestation se voulait l’expression d’une frustration collective dans le contexte de crise économique et sociale de l’après-guerre. Catalysant la protestation sociale de l’époque, les Chemises Noires réussissaient à instrumentaliser et à récupérer les mouvements contestataires dans sa mouvance. Cette marche allait marquer la montée du fascisme en Italie, autant par sa symbolique que par sa méthode d’action.

Quand bien même la marche du 29 août à Port-Louis se déclare citoyenne, ses logiques souterraines lui confèrent une certaine proximité méthodologique avec l’épisode italien. Son mode opératoire, organisationnel et logistique tout d’abord, basé sur une propagande à grande échelle, du jamais vu de mémoire d’activistes mauriciens. Mais aussi, l’appartenance paramilitaire de son organisateur, la récupération des partis politiques d’opposition parlementaire et extra-parlementaires et des mouvements citoyens pour catalyser un mécontentement social, et enfin l’argument nationaliste.

Les fascismes et les totalitarismes en général comportent toujours un fort élément nationaliste qui leur sert de ciment unificateur d’une mobilisation qui prend figure de guerre, tout en désignant un ennemi commun à abattre. En demandant aux « gilets noirs » de Maurice et de la diaspora de défiler avec leur drapeau mauricien, il y a plus qu’un simple argument patriotique. Le geste romantique de brandir le pavillon national comme étendard de justice sociale permet l’occultation des stratégies politiciennes qui sont au fondement même de la marche du 29 août. C’est visible dans les posts facebook de députés de l’opposition appelant à des élections générales anticipées dans le sillage de la manifestation. C’est en effet une autre caractéristique des fascismes que de rejeter la légitimité démocratique issue des urnes et de lui opposer un pouvoir d’acclamation fondé sur la voix de la rue.

Les fascismes se présentent toujours avec une façade révolutionnaire comme un rempart contre les injustices. Et ils aiment faire appel à la figure d’un sauveur charismatique et fort. C’est ainsi qu’ils profitent de la naïveté politique des citoyens à des fins tout autres que démocratiques.

La liberté de manifester et d’exprimer son refus des injustices fait partie des droits humains et citoyens. Mais la légitimité de la rue n’a jamais remplacé celle des urnes, car dans les urnes s’exprime aussi la majorité silencieuse. Vouloir faire croire le contraire serait une insulte à tous les démocrates sincères qui manifesteront demain. Il ne faudrait pas que le 29 août 2020 reste dans l’Histoire comme un jour de deuil pour la démocratie mauricienne.

Dr Catherine Boudet, analyste politique 28.08.2020

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