Marine Le Pen et Pierre Palmade ont-ils vraiment quelque chose en commun ?
Marine Le Pen et Pierre Palmade ont-ils vraiment quelque chose en commun ?
Dans les deux affaires judicaires qui les projettent actuellement sous les feux médiatiques, tous deux sont confrontés aux limites rencontrées par le droit de tout justiciable à bénéficier d’un double degré de juridiction en matière pénale.
Le double degré de juridiction garantit à chacun la faculté de faire examiner par une juridiction supérieure la décision prononcée à son encontre par une juridiction de première instance. En matière pénale, ce droit procède à la fois :
· de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tel que mis en œuvre par le Conseil Constitutionnel et,
· de l’article 2 du Protocole 7 complétant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme posant l’exigence d’un procès équitable et dont la Cour de Strasbourg est la garante ultime.
Selon la Cour européenne, le double degré de juridiction doit permettre de remédier aux défaillances du procès ou de la fixation de la peine et ce, d’une manière opérante et effective. Ainsi, l’appel doit par principe entraîner un effet suspensif paralysant la reconnaissance de culpabilité et le caractère exécutoire de la peine.
On comprend en effet aisément que dans l’hypothèse où une peine serait immédiatement exécutée à l’issue d’une décision de première instance, tout appel serait de fait largement vidé de sa portée. S’agissant de peines aux effets irréversibles, comme une inéligibilité face à une élection prévue pour se dérouler avant l’épuisement des voies de recours (Affaire Le Pen), ou bien un emprisonnement ferme qui serait en tout ou partie exécuté avant la date d’appel (Affaire Palmade), toute étape ultérieure de la procédure favorable au justiciable lui ouvrirait droit à des dommages intérêts mais ne lui éviterait pas le préjudice réel subi du fait même de la peine prononcée à tort en premier ressort. Cette potentialité d’un préjudice irrémédiable causé par une décision de première instance qui serait contredite ultérieurement est en outre susceptible d’introduire un biais dans l’exercice des voies de recours puisque il est à craindre que les juges de rang supérieur soient d’autant plus réticents à remettre en cause la décision de leurs collègues de première instance. Il est sur ce plan permis de douter que l’exécution provisoire participe d’une bonne administration de la justice.
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Pourtant, précisément, une bonne administration de la justice, d’une part, ainsi que la sauvegarde de l’ordre public, en ce qu’elle implique de favoriser l’exécution de la peine et de prévenir la récidive, d’autre part, sont les deux objectifs de valeur constitutionnelle que la Cour de cassation met en avant pour considérer que l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale, qui autorise l’exécution provisoire des peines complémentaires, ne pose pas de question sérieuse de constitutionnalité. Partant, la Cour de cassation refuse de saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point (Cass. crim. 23 août 2017, n°17-80459, Cass. crim. 4 avril 2018, n°17-84.577 et Cass. crim. 21 septembre 2022, n° 22-82.377). Parallèlement, la Cour de cassation a également jugé de plus longue date encore (Cass. crim., 10 janvier 1996, n° 96-850) que l’exécution provisoire répondait aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Au regard du cadre ainsi dressé, Marine Le Pen, comme Pierre Palmade, ont donc effectivement comme point commun d’être confrontés à une jurisprudence particulièrement ferme de la Cour de cassation validant la capacité du juge pénal de première instance d’assortir les peines qu’il prononce d’une exécution provisoire.
Mais, derrière une apparente similitude quant aux limites posées à l’effet suspensif de l’appel, les affaires de Marine Le Pen et de Pierre Palmade divergent en réalité profondément s’agissant des mécanismes juridiques qui sont mis en œuvre.
Dans l’affaire Pierre Palmade, les magistrats siégeant au tribunal correctionnel de Melun et statuant en premier ressort sur la culpabilité et la fixation de la peine, ont en outre délivré un mandat de dépôt avec exécution provisoire qui a pour effet de placer le prévenu sous le même régime que celui d’une détention provisoire avant jugement (Cass. crim., 22 novembre 2023, n° 23-81.085). Une telle décision peut se justifier en tant que mesure de sûreté, notamment du fait de l’état de récidive dans lequel l’intéressé se trouve en matière d’usage de stupéfiant, afin d’éviter notamment tout risque envers la société ou envers lui-même. Ce n’est donc pas exactement le caractère exécutoire d’une peine d’emprisonnement ferme qui est déclenché mais seulement la détention provisoire du prévenu qui est organisée dans l’attente d’un appel éventuel. Une interrogation subsiste, malgré tout, : pourquoi une telle mesure de détention provisoire a-t ’elle aujourd’hui davantage de sens qu’au stade de l’information judiciaire qui a précédé le jugement ? En substance, alors que le tribunal prononce une peine dans un dossier où la culpabilité n’est pas contestée et où, tant les conséquences dramatiques pour les victimes, que les agissements transgressifs de l’auteur, ont profondément choqué l’opinion publique, il a probablement estimé qu’un emprisonnement effectif, en dépit de tout appel possible bien qu’encore purement éventuel, participerait d’une bonne administration de la justice. Le caractère différé dont est assorti le mandat de dépôt permet en outre à l’intéressé de se préparer psychologiquement à l’incarcération tout en lui permettant de soupeser sereinement, pendant les dix jours du délai qui lui est imparti pour faire appel, l’intérêt, ou pas, de contester la décision rendue au regard du seul quantum de la peine prononcée. De fait, l’avantage dilatoire sur son incarcération qu’aurait normalement pu offrir un appel pleinement suspensif sera au cas particulier sans influence sur sa décision, puisque, grâce à l’exécution provisoire dont est assorti le mandat de dépôt à effet différé, il sait qu’il n’échappera pas en principe à l’accomplissement au moins partiel de la peine d’emprisonnement ferme prononcée. Savamment dosée, et même si elle heurte quelque peu, sur le plan théorique, le droit au double degré de juridiction, la décision du tribunal correctionnel de Melun apparaît somme toute particulièrement équilibrée.
Il en va différemment de l’affaire qui intéresse Marine Le Pen. Certes, la concernant, c’est au stade des seules réquisitions du parquet qu’il est pour l’instant demandé d’assortir la peine d’inéligibilité requise d’une exécution provisoire. Aucune décision de justice susceptible de porter atteinte à son droit à un double degré de juridiction n’est encore intervenue. La menace est néanmoins pressante car la jurisprudence de la Cour de cassation montre à quel point sa main ne tremble pas lorsqu’il s’agit de confirmer les décisions des juges du fond de recourir à l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité. Depuis la loi, dite Sapin 2, du 9 décembre 2016, a priori applicable aux faits de l’espèce malgré leur ancienneté, une peine d’inéligibilité est en principe obligatoire dès le prononcé d’une culpabilité pour toute une série d’infractions visées à l’article 131-26 du Code pénal, dont le manquement à la probité pour lequel Marine Le Pen est poursuivie. Dès lors, la Cour de cassation estime que le caractère obligatoire de l’inéligibilité encourue rend inutile de motiver son application en sus de la motivation que le tribunal se doit d’expliciter relativement à la culpabilité proprement dite. Le caractère automatique de la peine entraîne donc dispense de motivation distincte de celle de la culpabilité et c’est dans l’hypothèse inverse d’une non-application de la peine d’inéligibilité que le juge du fond serait tenu de s’en justifier précisément. Dans une décision récente (Cass. crim. 19 avril 2023, n° 22 – 83.335), la Cour de cassation a au demeurant apporté une précision d’importance : la dispense de motivation s’étend au choix que peut faire le juge du fond d’assortir la peine d’inéligibilité obligatoire d’une exécution provisoire. Il en résulte qu’en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, Marine Le Pen pourrait être déclarée inéligible avec un effet immédiat dès le prononcé d’une culpabilité sur le fond en première instance et ce, sans qu’il soit nécessaire pour les juges d’expliquer en quoi l’urgence commande de ne pas attendre la décision en appel que Marine Le Pen ne manquerait pas d’interjeter. Au regard de l’échéance de l’élection présidentielle de 2027 pour laquelle Marine Le Pen est d’ores et déjà ouvertement candidate, c’est dire l’ampleur des conséquences politiques et institutionnelles que pourraient entraîner cette atteinte éventuelle au droit à un double degré de juridiction et au droit à un procès équitable au sens de la Convention des Droits de l’homme.
Non seulement les questions de droit soulevées par une éventuelle exécution provisoire dans l’affaire Marine Le Pen sont autrement plus épineuses que celle concernant Pierre Palmade, mais les conséquences concrètes sur le climat politique du pays peuvent en être aussi difficilement mesurables.
A priori beaucoup plus nuancé que la Cour de cassation, le Conseil Constitutionnel refuse de considérer que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité puisse entraîner la déchéance de plein droit de mandats parlementaires en cours (CC, DC, 16 juin 2022, n°2022-27). Sans que la motivation en soit très explicite, il estime, probablement en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, que seule une décision de justice devenue absolument définitive pourrait priver un élu de son mandat parlementaire. La question se pose naturellement en des termes différents s’agissant d’une candidature à une élection nationale future mais il n’est pas du tout évident que le Conseil Constitutionnel admettrait sans réserve la constitutionnalité d’une exécution provisoire rendant impossible une candidature à l’élection suprême d’une élue parlementaire, et encore moins l’absence de motivation distincte d’une telle décision. Seul le Conseil Constitutionnel est véritablement légitime pour trancher une telle question. Mais encore faudrait-il qu’une question prioritaire puisse lui être transmise ; ce qui en l’état n’est pas possible dès lors que la Cour de cassation s’arcboute à considérer qu’une telle question est dépourvue de caractère sérieux (décisions précitées.). D’ailleurs, au passage, la situation procédurale à laquelle nous sommes confrontés met particulièrement en évidence les inconvénients causés par le filtre obligatoire des QPC par les juridictions de dernier ressort (Cour de cassation et Conseil d’Etat). Pareillement, la question de la conformité conventionnelle de l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale mériterait aussi d’être soumise in fine au contrôle direct de la Cour de Strasbourg.
En définitive, Pierre Palmade et Marine Le Pen n’ont vraiment rien en commun. La sauvegarde de l’ordre public comme une bonne administration de la justice commandent en effet, pour l’un, que l’exécution provisoire du mandat de dépôt différé dont il est l’objet puisse être admise, voire saluée, tandis que, pour l’autre, une décision concernant son inéligibilité assortie d’une exécution provisoire ne manquerait pas de provoquer un abîme de questionnements qui risqueraient de ne pas être que juridiques.
Tax Partner at Ernst & Young, société d'avocats
1 moisIntéressante chronique pénale ! J’attends avec impatience celle sur le consentement !
Sonneur
1 moisExcellente analyse. Ne serait-il pas cocasse que le RN doive son salut à la CEDH quand il aimerait voir la France s’en affranchir ?
Agrégée des Facultés de Droit Directeur du JurisClasseur Chiffre d'affaires chez Lexis-Nexis
1 moisClauque