Mobilité professionnelle. Bouger ? Oui, mais…

L’injonction est à la mode : changer de job ou de boîte serait bon pour la carrière. Et quasi obligatoire, dans un monde en pleine mutation. Les salariés en ont conscience mais redoutent d’y laisser des plumes.

C’est un peu l’incantation lancée au salarié du xxie siècle : bougez et vous doperez votre employabilité ! Halte à la sédentarité et à l’emploi à vie ! Les colloques sur la mobilité fleurissent. Les politiques RH d’incitation au changement aussi. Normal. En cette ère de mondialisation effrénée, à l’heure où la révolution numérique chamboule tous les modèles économiques en place, impossible de tenir aux travailleurs des discours sur le caractère immuable de leur métier. Les pouvoirs publics ne sont pas en reste. Dernière innovation en date : le compte personnel d’activité (CPA). Prévu par la loi Rebsamen sur le dialogue social votée cet été, il devrait rassembler tous les droits (formation, chômage, pénibilité) acquis par un salarié au cours de sa carrière. Une sorte de « sac à dos », comme l’a qualifié Pierre Gattaz, patron du Medef, pour encourager les actifs à changer d’emploi, d’entreprise ou de région, sans perdre tous leurs droits.

Prévu pour entrer en application début 2017, l’outil vient compléter une batterie de dispositifs censés développer la fluidité du marché du travail en sécurisant mieux les parcours, mais qui n’ont pas encore rencontré le succès escompté. Lancé en janvier dernier, le compte personnel de formation (CPF), qui succédait au très poussif droit individuel à la formation (DIF), monte en charge. Fin septembre, il n’avait suscité que 1,8 million d’inscriptions, à comparer aux 16 millions de salariés du secteur privé. Et n’avait engendré que 60 756 formations validées, d’après les calculs de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Et que dire des accords de mobilité sécurisée, contenus dans la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 ? Une poignée d’entreprises en ont mis en place pour permettre à leurs salariés d’aller travailler ailleurs, avec l’assurance de retrouver leur poste à l’issue de la période de transfert (voir encadré page 23).

Les partenaires sociaux, qui évoquent l’idée d’une Sécurité sociale professionnelle depuis une décennie, ont posé une première pierre dans le cadre de la dernière convention Unédic. Le mécanisme des droits rechargeables – qui permet à un demandeur d’emploi de ne pas perdre le bénéfice de ses anciennes allocations en acceptant un nouveau job – vise à inciter à la reprise d’activité et à cumuler les expériences. Tout en conservant un matelas, au cas où…

Schizophrènes

Mais dans les faits, tout se passe comme si la mobilité restait un choix personnel, souvent contraint et insuffisamment accompagné. Le 24e Observatoire du travail de BPI Group, réalisé en partenariat avec OpinionWay et Liaisons sociales magazine auprès de 2 039 salariés, illustre parfaitement ce sentiment d’isolement face aux envies de s’aérer. Les dispositifs internes aux entreprises apparaissent comme très peu répandus. Ou, tout au moins, comme mal connus des actifs, qui réclament à cor et à cri des formations pour prendre leur élan. Les rares qui travaillent chez un employeur pourvu d’une université interne – à peine 13 % du panel – n’y ont, pour l’essentiel, jamais mis les pieds. Et 61 % les jugent même inutiles pour favoriser la mobilité professionnelle ! Tant pis si les employeurs y dépensent des sommes folles…

Schizophrènes, les travailleurs français du xxie siècle ont bien intégré la nécessité d’être en mouvement dans leur carrière. Mais, prudents, ils ne s’avouent pas prêts à céder à l’injonction, sauf si on les pousse vers la sortie. Préférant garder la tête dans le sable, ils attendent d’être au pied du mur pour envisager sérieusement d’évoluer professionnellement. En espérant pouvoir récupérer un chèque pour financer le projet de leurs rêves dans le cadre d’une restructuration.

Certes, 9 % ont changé d’entreprise au cours de l’année écoulée, ce qui n’est pas si mal. Mais peu par rapport aux 41 % qui aimeraient tenter une autre voie professionnelle sans oser le faire. Dur d’y sacrifier sa maison et son salaire. Périlleux de prendre le risque d’atterrir dans une entreprise en moins bonne santé que celle qu’on quitte. La crise refroidit les ardeurs. Pourtant, comme le disait Sœur Emmanuelle, « qui n’a pas risqué n’a pas vécu »…

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