Psyché & Déclic : Momo, le petit homme pouce.
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Psyché & Déclic : Momo, le petit homme pouce.

Momo était un drôle de petit bonhomme. Tout en lui partait en biais : son regard asymétrique, son visage en diagonale, sa posture en Tour de Pise, son déhanché claudiquant. Taillé en sifflet qu’il était Momo !

Par contre, dans sa tête de trisomique, il devait régner un ordre où l’angle droit faisait office de mètre étalon. Il ne pouvait supporter que ses affaires soient en désordre. Ainsi, passait-il un temps infini à ranger son placard et chaque fois que son linge revenait de la blanchisserie. Il triait, pliait et agençait. Bien qu’un peu agacés par sa méticulosité et sa lenteur, les soignants patientaient et ne s’en plaignaient pas, car il était assez rare de rencontrer un patient aussi soigneux.

La nuit, lorsqu’il se levait pour satisfaire un besoin naturel, il ne pouvait se recoucher sans avoir au préalable refait complètement son lit. Du coup, il sacrifiait une heure de sommeil à tirer les draps, lisser la couverture, faire les coins, secouer l'oreiller. Sacré Momo ! Aujourd’hui nous le dirions addict au rangement, car sous l’emprise de la phobie du désordre et probablement victime de troubles obsessionnels compulsifs. Mais en ce temps là, nous aurions qualifié ce genre de diagnostic de sodomisation de diptères, car dans les hôpitaux psychiatriques nous cultivions alors l’art de la vie simple…

Momo a mis du temps pour m’adopter. Il prenait toujours un peu de recul lorsqu’il me rencontrait. Peut être parce que sa très petite taille lui rendait difficile de garder mes 1,85 m dans son champ de vision diagonale. Comme il ne parlait pas, nous avions développé un langage gestuel auquel il ajouta un geste que je lui appris fortuitement : main droite, poing fermé, pouce relevé.

Ce geste devint entre nous un signe de reconnaissance et d’appartenance. Momo en explora toutes les variantes : faire du stop, boire, signifier l’approbation ou la désapprobation, faire manœuvrer à gauche ou à droite. Le pouce devint très vite notre point commun. Nous étions devenus tellement proches que, lors de son placement en famille d’accueil, je fus désigné pour l’accompagner.

Momo adora le trajet en voiture. Une fois arrivés, il me dirigea des deux pouces pour m'aider à garer la voiture de service. Il apprécia la bienveillance de ses hôtes et la propreté de sa nouvelle chambre. La joie se lisant dans son regard était ponctuée de coups de pouce. Mais il fallut aussi se séparer. Ses yeux bleus s’assombrirent. Il pointa son pouce vers le sol, en signe de mécontentement et d’inquiétude. Craignant le pire, j’usai d’une botte secrète : serrer les pouces. Geste qu’il comprit et mémorisa d’autant plus facilement que je ramenai mon poing serré sur mon cœur en y associant un regard se voulant rassurant...

Là où le geste s'affranchit de la parole...

Avertissement : L'unique ambition de cette série #psychéetdéclic est de contribuer à la réflexion collective sur le sens du soin en psychiatrie. Construites sur le modèle des chroniques de Baptiste Beaulieu, ces vignettes cliniques synthétisent plusieurs situations pour en restituer une version romancée. Ainsi aucune des personnes présentées ici, dans des contextes au demeurant plausibles et réalistes, n'existe ou n'a réellement existé en tant que telle.

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