Psyché & Déclic : Dormir avec la grande lumière !
Non, non, non et non ! Non de non ! Victor n'éteindra pas la lumière des spots halogènes éclairant, aussi bien qu'un bloc opératoire, sa chambre d'hôpital. Il n'en est pas question, et si d'aventure, les veilleurs se risquent à basculer le commutateur durant son sommeil, le jeune homme alerté par un sixième sens des plus étonnants, se lève d'un bond pour rallumer les lampes et claque violemment la porte de sa chambre, provoquant ainsi une détonation et une onde de choc se propageant dans tout le couloir de l'unité de soins.
Victor n'a pas peur la nuit : il a peur de la nuit. Cette préfiguration de la mort lui est, dans sa perception psychotique du monde, totalement insupportable. La lumière, c'est la vie ; les ténèbres, c'est la mort. Les couleurs, c'est la vie ; le noir, c'est la mort. Ainsi ne consomme-t-il aucun aliment de couleur noire et ne boit-il que du café au lait ou du café-crème, car le blanc des laitages contient toutes les couleurs. C'est d'ailleurs pour cela que la lumière blanche des halogènes lui convient si bien. Elle le rassure, car toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y sont concentrées.
Il devait être imprimeur, comme son père et son grand-père et son arrière-grand-père, mais sa détestation de la couleur noire lorsqu'elle se masse de manière inquiétante, l'en a empêché. Pourquoi depuis l'époque de Gutenberg, n'imprime t'on toujours pas en bleu sur blanc ? Six siècles plus tard, les procédés techniques ayant considérablement évolué, il ne serait pas si compliqué de remplacer le noir par du bleu cobalt ou de minuit ou guède ou marine ou minéral !
A défaut de devenir imprimeur, Victor est devenu psychotique : un boulot à plein temps, selon ses propres termes. Parce que plus qu'une maladie, la psychose est à la fois un état et une raison sociale. Ce qu'encore trop de médecins et de soignants, ont beaucoup de mal à comprendre. Ils combattent la psychose, comme si c'était une maladie infectieuse, alors qu'il faut apprendre à vivre avec et combattre ceux qui la stigmatisent. Un certain obscurantisme a encore de beaux jours devants lui, pour ne pas dire de nuits...
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Des nuits au cours desquelles Victor ne tolère pas l'obscurité car, persuadé d'être un descendant d'Abraham Lincoln, il craint de mourir comme lui dans son lit après des heures d'agonie, à l'issue d'une tentative d'assassinat. Mourir dans son lit, signifie pour lui une toute autre chose que de partir dans l'autre monde, entouré des siens, résigné ou même apaisé...
Avertissement : L'unique ambition de cette série est de contribuer à la réflexion collective sur le sens du soin en psychiatrie. Construites sur le modèle des chroniques de Baptiste Beaulieu, ces vignettes cliniques synthétisent plusieurs situations pour en restituer une version romancée. Ainsi aucune des personnes présentées ici, dans des contextes au demeurant plausibles et réalistes, n'existe ou n'a réellement existé en tant que telle.