Mutation des Emplois : entre espérances et déconvenues
Les métiers se transforment et les salariés ne sont pas préparés à s’adapter à un changement qui devient permanent. Les entreprises doivent les accompagner dans une évolution non seulement de leurs compétences, mais aussi de leur agilité et réorienter une partie d’entre eux vers des mobilités fonctionnelles. Répondre à cet enjeu majeur ne pourra se faire que par le dialogue social, au niveau de l’Etat, comme de l’entreprise. Au risque sinon de dévaster un corps social déjà ébranlé.
Selon une enquête de l’IFOP en 2019, près de 90 % des Français pensent que leur métier va changer au cours des prochaines années, souvent de manière significative. Une part importante d’entre eux, dans l’industrie ou le commerce, estiment même que celui-ci va disparaître.
Ce bouleversement correspond à plusieurs réalités. Tout d’abord, l’automatisation et la robotisation de la production, auxquelles s’ajoute aujourd’hui la digitalisation des processus et modes de communication. S’ajoute à ces changements, l’externalisation de nombreuses fonctions qui transforme les salariés en entrepreneurs indépendants.
Pour s’adapter aux changements fondamentaux de leurs pratiques et acquérir de nouvelles compétences techniques, managériales et comportementales, on demande aux collaborateurs de devenir « agiles ».
Des défis sociaux et managériaux gigantesques
Les directions de Ressources humaines doivent avoir conscience du paradoxe de la situation. Depuis plus d’un siècle avec le développement du taylorisme, l’enjeu pour chaque salarié était de se spécialiser toujours plus, pour atteindre le meilleur niveau de performance dans son métier, aboutissant ainsi à un corps social figé sur un modèle de compétences. Aujourd’hui, la seule compétence fondamentale et durable, attendue de lui, devient la capacité d’adaptation (la « learnability ») : pouvoir se remettre en cause sans cesse, apprendre et s’adapter rapidement quel que soit ses prédispositions.
Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit trois fois plus long d’adapter les hommes que de transformer les organisations, les processus ou les outils. Il est clair que les défis sociaux et managériaux auxquels sont confrontés les entreprises sont gigantesques et menacent la stabilité du corps social.
La solution de faire partir ceux qui ne peuvent accompagner rapidement les transformations, souvent adoptée par certaines entreprises de culture anglo-saxonne, s’avère inefficace. Outre qu’elle détruit la cohésion sociale et accroît le stress de tous, elle aboutit à une impasse : pour remplacer ceux qui sont partis, le marché ne dispose pas de ressources suffisantes dans des métiers qui s’inventent chaque jour et qui seront obsolètes demain. Et il serait illusoire de ne conserver que les rares collaborateurs indépendants, flexibles et curieux, ayant la capacité d’entreprendre et attirés par les nouvelles technologies.
La capacité des individus à être agiles et à s’adapter à un nouvel environnement rapidement (en tout cas suffisamment aux yeux de l’employeur) pose nécessairement la question de l’impact de la mutation des emplois en cours sur la stabilité du corps social.
Faire des choix de société pour conserver la cohésion sociale
Il n’en demeure pas moins que chacun sait que les tâches simples et répétitives disparaissent de plus en plus. Les emplois de demain seront très qualifiés et se concentreront sur la définition de la stratégie, l’analyse de la « mass data » et de la création de valeur, puis sa mise en œuvre technologique. Il devient donc vital d’analyser non seulement les compétences, mais aussi les aptitudes et motivations des collaborateurs. L’objectif est de connaître ceux qui voudront et pourront évoluer vers une transformation de leurs pratiques, avec une formation adaptée, et ceux qui devront s’orienter vers un autre métier.
Le dialogue social est essentiel pour réussir à répondre au défi de la mutation permanente des emplois. Au niveau de l’Etat, il permettra de faire des choix de société qui préserveront la cohésion sociale et sous-tendront la politique de formation. Celle-ci devra s’orienter notamment vers une maîtrise par tous des technologies et de l’information. Plus qu’une culture de la technologie, c’est son niveau de maîtrise qui fera la différence. Le bien-être individuel et collectif, l’équilibre sociétal et le respect des autres dépendront de la capacité de chacun à maîtriser la technologie et l’information, sous peine de lancer une lutte des classes entre les citoyens avertis…et les autres.
Il faudra aussi répondre à la question de la disparition massive des emplois peu qualifiés. Comment donner une utilité sociale aux personnes concernées, leur permettre de se développer, si elles ne correspondent pas au profil du collaborateur « agile » ou technologue tant recherché par les entreprises ? Le débat sur le revenu minimum doit se poursuivre.
Un dialogue social responsable pour favoriser la souplesse organisationnelle et la compétitivité
Dans l’entreprise, le dialogue social facilitera la transition douce du corps social vers les emplois de demain. Pour assurer la bonne tenue de ces emplois, le dispositif de GPEC devra combiner le recrutement de profils stratégiques et la transformation des compétences des collaborateurs « agiles » notamment par des programmes d’Up/Reskilling techniques et comportementaux. Il devra aussi, pour les collaborateurs les plus en risque, imaginer et sécuriser leurs mobilités fonctionnelles ou inter-filières professionnelles entre les postes dont les zones de compétences peuvent converger. Il devra enfin organiser la transition des emplois peu qualifiés vers des métiers de services.
Mais ce ne sera pas suffisant. Employeurs et partenaires sociaux devront favoriser la souplesse organisationnelle de l’entreprise et le maintien de sa compétitivité avec par exemple, des Accords de Performance Collective (APC) portant sur la rémunération, l’organisation du travail ou la mobilité fonctionnelle.
L’objectif permanent du dialogue social doit demeurer l’adaptation rapide et avec efficacité aux transformations économiques. Mais il est aussi de réduire autant que possible le recours aux dispositifs de suppression de postes, comme les ruptures conventionnelles collectives (RCC) ou autres plans sociaux volontaires ou contraints.
Nicolas Arnal-Bertrand
Directeur Conseil en charge du développement de LHH