Navalny hospitalisé, les Occidentaux mettent en garde la Russie

Isabelle Lasserre

Le Figaro / International

20/04/2021

La sécurité d’un pays indépendant, l’Ukraine, déjà amputé de la Crimée et menacé aujourd’hui d’une nouvelle intervention militaire russe. La vie d’un opposant politique, Alexeï Navalny qui, après avoir failli mourir l’été dernier d’un empoisonnement au Novitchok, puis être revenu courageusement à Moscou où il avait été immédiatement arrêté, s’éteint doucement dans sa colonie pénitentiaire numéro 2, à 100 km à l’est de la capitale russe. Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, réunis lundi en visioconférence, avaient à passer deux tests majeurs pour les valeurs démocratiques occidentales.

Depuis plusieurs jours ils appellent à la désescalade en Ukraine, où Moscou a renforcé ses troupes près de la frontière et multiplie les violations du cessez-le-feu. Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a également demandé aux autorités russes que Navalny, transféré lundi dans l’hôpital de la prison, ait un «accès immédiat» à des médecins en lesquels «il ait confiance».

Jamais depuis la guerre froide les relations entre l’Occident et la Russie, héritière frustrée de l’Union soviétique, n’ont été à ce point altérées. Dernier symbole de cette dégradation, l’expulsion croisée de diplomates entre Moscou et Washington ainsi que le renvoi de dix-huit officiels russes accusés d’espionnage par la République tchèque. Mais pour la première fois depuis longtemps, les pays occidentaux ont réagi presque d’une seule et même voix en durcissant le ton face à Moscou. Formé à la politique étrangère par ses années de sénateur et de vice-président de Barack Obama, échaudé par l’échec du «reset», le réchauffement des relations avec Moscou, exaspéré par les cyberintrusions russes dans la campagne électorale, Joe Biden n’a pas perdu de temps à chercher un «état de grâce» avec le Kremlin. Il a promis des «conséquences» pour la Russie en cas de mort de Navalny.

De l’autre côté de l’Atlantique, ses critiques trouvent une oreille bienveillante. À l’est de l’Europe, bien sûr. Mais aussi à Berlin, où Navalny a été soigné et où Angela Merkel considère qu’elle a été plus qu’à son tour trahie par Vladimir Poutine. Le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, a demandé de manière «urgente» aux autorités russes de fournir un «traitement médical adéquat» à Navalny, qui souffre des séquelles de son empoisonnement, d’une hernie discale et des conséquences de sa grève de la faim. Elles ont aussi trouvé un écho à Paris, où, depuis la main tendue à Versailles et à Brégançon, Emmanuel Macron, tirant les leçons du «manque de résultats» de ses ouvertures, a changé de ton vis-à-vis de Moscou. Dans un entretien à la chaîne américaine CBS dimanche, il a dit la nécessité d’établir face à la Russie des «lignes rouges claires» et de «les faire respecter». «Nous n’accepterons jamais, a-t-il dit, une nouvelle opération militaire sur le sol ukrainien.» Même son de cloche au Quai d’Orsay, où le chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé la «responsabilité majeure» de Vladimir Poutine dans la dégradation de l’état de santé de Navalny et regretté ce qu’il considère comme «une dérive autoritaire en Russie».

L’époque montre aussi, sur la question russe, un resserrement du lien transatlantique. Après les années de disruption et de chaos du mandat de Trump, Joe Biden s’est donné pour priorité de restaurer la confiance des alliés de l’Amérique. «Nous nous sommes, dans un premier temps, alliés à l’Union européenne et à de nombreuses démocraties dans le monde qui partagent notre opinion, pour imposer des sanctions en réponse à ce que le gouvernement russe a fait à Navalny…», a souligné Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale.

Mais si la volonté des démocraties existe, la méthode reste encore à inventer. Les sanctions ont un impact limité. Les divisions de l’Union européenne sur le sujet russe ont pour l’instant épargné au Kremlin des mesures plus dures, comme celles qui signeraient la mort du gazoduc Nord Stream 2 ou viseraient les avoirs financiers des dirigeants russes à l’étranger. Comment influencer le comportement de la Russie sans provoquer une rupture avec cette puissance indispensable dans la résolution des grandes crises internationales? Comment freiner les infractions aux lois internationales d’un pouvoir et d’une époque qui ne reconnaissent que la force? C’est l’équation à laquelle ni les États-Unis ni l’Europe n’ont encore réussi à répondre. Les pressions internationales qui fusent de toutes parts peuvent provoquer un raidissement du pouvoir russe. Elles peuvent aussi sauver la vie de l’opposant numéro un de Vladimir Poutine. À court terme en tout cas. Car à long terme, le combat qu’ont engagé les deux hommes risque bien de tourner au désavantage d’Alexeï Navalny.


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