NFRD, CFRD, SFRD, Taxonomie … kesako ?
English version below
Pour engager une véritable transition écologique et inclusive, il est indispensable que les entreprises identifient, quantifient et partagent leurs impacts extra-financiers. Il y a là un levier de transformation dont l’Union Européenne s’est saisie – en témoignent les règlementations qu’elle met en place, depuis plusieurs années, visant à systématiser et approfondir les obligations de transparence pour les acteurs de son marché.
Comparé à aujourd’hui, avec NFRD, c’était (presque) le bonheur !
Jusqu’à fin 2020, le reporting extra-financier reposait essentiellement sur la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), petite sœur européenne du ‘’Grenelle’’, qui oblige les sociétés cotées et les grandes entreprises (+500 salariés) à communiquer des informations sur les incidences sociales et environnementales de leurs activités.
Louable et précurseur au plan mondial, ce texte comporte une lacune majeure : les indicateurs (env. 150) ne sont pas normalisés. Chaque entreprise est donc libre de sélectionner les informations et méthodologies de calcul pour chacun des thèmes imposés par la réglementation. Prenons un exemple simple : les emplois. L’entreprise peut publier le nombre total de salariés, le nombre d’équivalents temps-plein, ou encore le nombre de salariés bénéficiant de contrats permanents. Elle peut aussi communiquer l’effectif moyen mensuel de l’année, ou l’effectif total au 31 décembre... Cet exemple, certes simplificateur, démontre à quel point il est impossible de comparer la performance extra-financière d’une entreprise avec celle de ses pairs. En cours de révision pour s’appliquer à un nombre croissant d’entreprises (+250 salariés), la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) devrait – espérons-le ! – intégrer un volet de standardisation des indicateurs.
Une taxonomie contre le greenwashing
Depuis le déploiement de la NFRD sont venus s’ajouter deux textes majeurs qui posent les bases d’un véritable dispositif anti-greenwashing : les règlements Taxonomie et Disclosure (appelé aussi Sustainable Finance Discolure Regulation, SFDR).
Le règlement Taxonomie est un référentiel de classement des activités économiques en fonction de leur durabilité. Ce texte vise à orienter les flux de capitaux vers des activités qui contribuent à la lutte contre le dérèglement climatique et à la réalisation de l’Accord de Paris.
Les entreprises vont être obligées d’indiquer la part de leur chiffre d’affaires ou de leurs produits financiers qui sont éligibles (ou non) et alignés (ou non) avec la taxonomie.
La taxonomie va dans un niveau de détail extrêmement fin. Prenons un exemple. Eurazeo a développé un fond thématique dédié à la transition écologique du secteur maritime, Eurazeo Sustainable Maritime Infrastructure (ESMI). ESMI va financer des infrastructures portuaires et maritimes dont les émissions CO2, Nox et Sox seront très sensiblement réduites par rapport à l’existant. Le transport maritime est éligible au sens de la taxonomie : il est reconnu comme contribuant à la lutte contre le dérèglement climatique. Pour chaque projet financé par ESMI, il est nécessaire de déterminer s’il est vert (ou non) en s’appuyant sur :
- des critères techniques de performance environnementale : émissions CO2, consommation de carburant …
- des critères de « non nuisance » (ou DNSH, Does Not Cause Significant Harm) : consommation d’eau, Nox et Sox, déchets …
Dans un impératif d’efficience et de cohérence dans la lutte contre le dérèglement climatique, le niveau d’exigence des critères techniques augmente dans le temps et le principe d’éligibilité pour les navires comporte une règle d’exception importante : ceux dédiés au transport de combustibles fossiles sont non éligibles, alors même qu’ils rempliraient les autres critères.
Alors que le texte est toujours en cours d’élaboration – seuls 2 objectifs environnementaux sur 6 ont été publiés – une taxonomie sociale est aussi en préparation. Cet exemple démontre le degré de précision et de granularité qui va être mis en œuvre pour évaluer les activités des entreprises et les produits financiers, permettant ainsi une comparabilité. Il témoigne aussi de la charge de travail qui va être induite pour collecter les informations, les vérifier, conduire les évaluations et in-fine produire le degré d’alignement d’une activité à la taxonomie européenne.
SFDR, casse-tête ou bonne idée ?
Une bonne nouvelle ne venant jamais seule (sic), au règlement Taxonomie s’est ajouté le Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), jumeau de la NFRD applicable cette fois-ci aux produits financiers.
Le règlement SFDR exige que les sociétés du secteur financier communiquent des informations extra-financières pour chacun de ses produits et à les classer selon une typologie que l’on peut schématiser ainsi :
- Les produits classés « Article 6 » tiennent peu ou pas compte des enjeux ESG ;
- Les produits classés « Article 8 » comportent une obligation de moyens comme le déploiement d’une politique d’exclusion, la réalisation de due diligence ESG avant investissement, la mesure des impacts RSE des sous-jacents...
- Les produits classés « Article 9 » comportent un objectif formalisé : ce sont donc les plus exigeants et vertueux sur les enjeux ESG. Un fonds « Article 9 » peut ainsi se donner un objectif de décarbonation ou de contribution à un ODD.
Chez Eurazeo, une grande majorité des actifs sous gestion sont ‘’nativement’’ Article 8 car l’ESG est partie intégrante du processus d’investissement depuis bientôt 15 ans. En ce sens, cette nouvelle classification conforte l’approche d’intégration de l’ESG que nous avons développée, ce qui explique que près de 80% de nos fonds en cours de levée ou d’investissement aujourd’hui soient estampillés Article 8 ou 9.
A ce classement s’ajoute l’obligation de produire des Regulatory Technical Standards (RTS) : des informations sur les aspects environnementaux et sociaux. Certains sont normalisés avec des formules de calcul (il va fallair que je reprenne quelques cours de maths), d’autres laissent plus de place à la créativité. Mais là encore l’objectif est bel et bien d’organiser la standardisation et la comparabilité des caractéristiques extra-financières des produits financiers.
L’empilement des couches règlementaire, frein à l’efficacité
Outre la normalisation des indicateurs évoquée précédemment et qui est absolument indispensable, subsiste un frein majeur à l’efficacité de ces règlements : l’empilement des couches règlementaires ! La multiplication et l’intrication des textes rend leur compréhension et leur mise en œuvre opérationnelle particulièrement difficiles.
Je parle d’expérience : répondre aux contraintes de NFRD en prenant en compte des changements apportés par CSRD, déployer Taxonomie et SFDR, relève du casse-tête. La France n’étant pas en reste sur la production réglementaire, il faut aussi intégrer les exigences – fort complexes au demeurant – des articles 173 de la loi de Transition énergétique et 29 de la loi Énergie Climat qui s’appliquent aux fonds de plus de 500 m€ et les recommandations (i.e. exigences !) des différentes places financières - qui varient bien sûr d’un pays européen à l’autre - sur la bonne application des textes.
La convergence entre les textes est compliquée à opérer : les périmètres d’application varient d’un texte à l’autre, les dates de mise en œuvre aussi, les indicateurs s’ajoutent les uns aux autres pour atteindre le seuil des 300, 400, 500 ? Nul ne sait encore évaluer la masse d’informations qu’il va falloir produire. Par contre, une certitude s’impose : nous sommes bien loin de la sobriété (heureuse ?!) prônée par la philosophie du développement durable.
Restons optimistes … et résilients !
Malgré l’imperfection d’un dispositif en cours de construction, les clients des produits financiers ont bien compris l’intérêt d’investir dans des produits Articles 8 et 9. Ceux-ci répondent aux attentes de leurs mandants et évitent les stranded assets, littéralement des ‘’entreprises plantées’’, dévaluées car n’ayant pas embrassé la transition écologique et sociale, comme celles opérant dans le secteur du charbon ou du plastique par exemple. Un réel appétit se fait jour pour des produits financiers qui conjuguent valeur financière et extra-financière et la réglementation vient apporter les clés de lecture qui manquaient.
Organiser l’articulation entre les règlementations, harmoniser les méthodes pour pouvoir produire des données de qualité et comparables, et « dégraisser le mammouth » des exigences pour se focaliser sur celles qui comptent : voilà donc les enjeux qui s’offrent à nous dans les prochains mois. Restons optimistes et courageux : cette architecture règlementaire est un work-in-progress ambitieux, dont la complexité actuelle ne doit pas occulter l’utilité réelle. Dans la course contre la montre que nous impose la crise climatique et sociale, elle a déjà eu la vertu – pas des moindres – de nous faire accélérer.
NFRD, SFDR, EU Taxonomy... Do You Speak ESG?
To ignite a real ecological and inclusive progress, companies have to identify, quantify and share their extra-financial impacts. To activate their transformative power, the European Union has been setting up new regulations aimed at making transparency requirements more systematic and thorough for all economic actors.
Compared to now, NFRD was (almost) bliss!
Up until 2020, extra-financial reporting was essentially based on the Non-Financial Reporting Directive (NFRD) – Grenelle’s younger sibling –, which compelled listed and large-sized corporations (500+ collaborators) to communicate information on the social and environmental repercussions of their activities.
This text was a laudable world premiere, but it has one shortcoming: the indicators (about 150) are not normalized. Each company is therefore free to select its information and calculation methods on each theme imposed by the regulation. On jobs, for example: a company could communicate the total number of employees, the number of full-time equivalents, or the number of employees with permanent contracts. It could also choose the average headcount per month, or even the global headcount on Dec. 31st … This example – a simplifying one, sure – shows how complicated it is to compare the extra-financial performance of one company to another. The Corporate Sustainability Reporting Directive, currently being revised to apply to a larger pool of companies (250+ collaborators), should hopefully include elements to standardize indicators.
Taxonomy vs greenwashing
Since the NFRD was deployed, two major texts were added to strengthen Europe’s anti-greenwashing regulation: the EU Taxonomy for sustainable activities and the Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR).
The EU Taxonomy is a framework to classify economic activities based on their sustainability. This text’s goal is to channel movements of capital towards businesses which contribute to the fight against climate change and the achievement of the Paris Agreement. Companies will have to indicate how much of their revenues or financial products are eligible to and aligned with the taxonomy.
This Taxonomy allows for a very detailed and thorough analysis. Eurazeo, for example, has developed a thematic fund dedicated to the ecological shift of the maritime sector, called Eurazeo Sustainable Maritime Infrastructure (ESMI). ESMI will finance harbor and maritime infrastructures whose CO2, Nox and Sox emissions will be much lower than current. Maritime transportation is eligible to the Taxonomy, as it is considered to contribute to the fight against climate change. For each project financed by ESMI, it is necessary to determine whether it is green or not, based on:
- Technical criteria of environmental performance: CO2 emissions, fuel consumption…
- DNSH criteria (“Does not cause significant harm”): water consumption, Nox and Sox, other discharges…
For more efficiency and coherence in the fight against climate change, the technical criteria will become more and more demanding in time, and the eligibility principle applied to boats has a major caveat: the vessels dedicated to fossil fuel transport are not eligible, although they answer all the other requirements.
The text is still under development – only 2 out of 6 environmental goals have been published – and a social taxonomy is on its way. This example indicates the level of precision and granularity which is going to be implemented to examine and compare companies’ activities and financial products. It also shows how much work and effort will be needed to collect and verify information, lead evaluations and eventually align any given activity with the European taxonomy.
SFDR: good idea or real puzzle?
There is more good news: to the EU Taxonomy was recently added the Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), twin to the NFRD for financial products.
The SFDR makes it mandatory for financial companies to communicate extra-financial information on each of their products and to classify them according to such a typology:
- “Article 6” products do not factor in ESG aspects (or very lightly);
- “Article 8” products imply an obligation of means such as deploying an exclusion policy, doing an ESG due diligence before investment, measuring ESG impacts of underlying assets…
- “Article 9” products have a formalized goal, which therefore makes them the most rigorous and virtuous products on ESG aspects. An “Article 9” fund can have set goals on decarbonation or contribution to a Sustainable Development Goal.
At Eurazeo, a vast majority of assets under management are classified as “Article 8” by design, because ESG has been fully integrated into the investment process for almost 15 years now. In this regard, this new framework consolidates the integrated approach we have developed on ESG, which is also why about 80% of our funds (at raising and management stages) are Article 8 or 9-compliant.
In addition to this ranking, companies also have to share more information on environmental and social aspects in the form of Regulatory Technical Standards (RTS). Some are normalized with calculation methods (I will have to pick up math class), others allow for more creativity… There again, the ultimate goal is to standardize extra-financial data regarding financial products and make it comparable.
Added layers of regulation restrain efficiency
Besides the need to normalize indicators which I just mentioned, there is still one major limit to the efficiency of those regulations, which lies in their layering. The intricacy of these multiple frameworks makes it very hard to understand and execute them in context.
I speak from experience: answering the NFRD (including changes brought by CSRD), all the while deploying the Taxonomy and SFDR is absolutely dizzying. And because France enjoys having its own regulations too, we also have to integrate the complex demands of the Article 173 of the law on Energy Transition and the Article 29 on Energy and Climate, which apply to funds over 500 M€, in addition to the varying recommendations of several financial centers on how to apply these texts correctly.
Making those texts converge is virtually impossible: application perimeters vary from one to another, deadlines vary too, indicators add up to reach preposterous figures (300? 400? 500?). Nobody really knows how much data will be needed or produced in those operations. One thing is for sure: this situation is completely at odds with the (happy ?!) sobriety advocated by sustainable development philosophers.
Let’s stay optimistic … and brave!
In spite of the imperfection of this regulatory construction, clients of financial products have quickly understood the value of Article 8 and 9 products. Those adequately answer the requests of their mandators and make it easier to avoid stranded assets – the companies which have lost value because they didn’t embark on the ecological and social transformation, such as those operating in coal or plastic for example. We are currently witnessing a strong appetite for financial products combining financial and extra-financial value. The European regulations are providing some useful tools of understanding, which were previously missing.
Organizing the combination of multiple regulations, harmonizing methods to create comparable, qualitative data, and simplifying requirements to focus on the most important ones: that’s what’s at stake in the coming months. Let’s all stay optimistic and brave: this regulation is an ambitious work-in-progress, and its current complexity should not obliterate its real usefulness. Considering the ticking clock of the climate and social crisis we are in, it has already had a big positive impact by making us accelerate.
CEO @ Arkea Capital / Vice President and board member of France Invest
3 ansMerci Sophie pour cet article au ton résolument positif ! Je partage ton analyse et ton enthousiasme car malgré la complexité de ces textes non encore tous définitifs et leur imbrication, tout ceci va dans le bon sens et permettra d’embarquer même les non convaincus 😉 pour le bien de nous tous, entreprises et habitants de notre planète ! La taxo est aussi un bon guide technique poussé pour aider les entreprises à transitionner vers ces activités « durables »! Il faut du courage et prendre son élan mais ça vaut la peine !
Accompagnement des transitions de carrières des Seniors, International Executive coach. Exploratrice & Rebelle. TEDx speaker.
3 ansMerci pour cette simplification indispensable: derrière d’opaques acronymes, des kpis parfois clairs pour nous guider. Laurence Caisey
Plume et consultante indépendante | Normalienne agrégée, docteure en histoire de l'art
3 ansMerci pour votre éclairage sur ces sujets critiques et ces acronymes parfois obscurs ! Je partage votre point de vue sur la nécessité d'une règlementation européenne (même si elle prend aujourd'hui la forme d'un millefeuille complexe), comme sur le pouvoir de transformation des fonds d'investissement.
Merci beaucoup pour cette lumière dans le tunnel. Une étape à venir consiste pour les secteurs et filières à définir consensuellement un itinéraire écologique, par exemple le captage du C2 océanique (désacidification) et sa réutilisation (substitut béton acier chimie des plastiues etc.. Consensus à construire entre la finance et chaque secteur/filière mais puissamment aidé par Taxonomie, NFRD SFDR (et aussi le petit nouveau concernant la biodiversité TNFD) On y va on y croit!
Entrepreneur / Investisseur / Conseil en direction générale
3 ansMerci Sophie !