Notre système de santé craque ! Je l'ai vu de près ...

Mon cœur de fille saigne mais mon cerveau de chercheuse en management m’alerte.

Je l’affirme : fin 2020, notre système de santé français est au bord de l’explosion. Il craque partout. La dérive ne date pas d’hier mais elle est de plus en plus prononcée.

La compensation par la débrouillardise et le contournement

Un système rigide, des process lourds, coûteux en temps et en énergie, une insuffisance criante de personnel et de moyens, des hiérarchies d’un autre âge, une absence de dialogue entre médecins hospitalier et médecins de ville, des protocoles impossibles à suivre dans leur exigence …. Et, pour que ça tourne, une compensation par l’informel, la débrouillardise, le contournement des règles et des machines.

Témoignage : trouver des solutions, vite !

Mon constat se fonde sur une expérience récente, aussi intense que banale, au sens où elle est partagée par de très nombreuses personnes. Mes très vieux parents (87 et 91 ans) ont perdu en quelques jours toute autonomie, interdisant leur maintien à domicile, dans une ville de Saône-et-Loire.

Comme souvent, tout s’est joué très vite, une chute, deux chutes, trois chutes de ma mère, la première sans conséquence grave, la seconde nécessitant une intervention des pompiers sans suite, la troisième exigeant une hospitalisation. Or c’est elle qui guidait mon père au quotidien, lui-même vivant au ralenti suite à un très grave AVC en 2015.

Premier temps : trouver des solutions dans l’urgence absolue pour garder mon père H24 chez lui. Puis, ma mère nous est rendue par l’hôpital au bout de 3 jours, sans aucune explication, alors qu’elle ne tient plus debout et doit être assistée pour tous les gestes quotidiens.

Commence une période que de très nombreux enfants, adultes seniors connaissent : trouver en urgence une place dans un EPAHD, qui plus est pour un couple, alors qu’il y a « un an d’attente » en moyenne. Et, d’ici là, trouver des solutions pour assister mes parents en continu.

C’est là, en pénétrant le système, qu’on découvre un fonctionnement pathologique, proche de ceux de pays émergents, quand l’informel prend le lead sur le formel, trop défaillant ou ingérable.

Un système au fonctionnement pathologique

Le système lui-même est d’une rigidité totale. A priori, rien n’est possible. Tout est grippé, rigide, tendu, d’une complexité infernale, avec des moyens défaillants… et pourtant « ça avance » ! Mais à quel prix ?

Celui de l’ajustement permanent de personnes engagées dans leurs missions et qui déploient une énergie folle pour pallier les défaillances d’un système déconnecté de la réalité et qui, tel un mille-feuilles géant, entasse procédures et règlements hors d’âge.

Je veux oublier

Je veux oublier un chef de service de l’hôpital de la ville qui refuse l’hospitalisation de mes parents alors que leur généraliste a tout organisé et que la chambre les attend, le temps de nous donner quelques jours de répit. Le même chef de service qui refuse de nous voir et prononce la sortie de l’hôpital de notre mère, au complet ahurissement des kinés, des infirmières et même des brancardiers qui, eux, voient sa faiblesse et l’immense charge qu’elle représente.

Je veux oublier le médecin qui m’affirme qu’on ne fait pas de PCR à domicile et qu’il faut emmener mes parents intransportables dans un laboratoire pour faire ce test, obligatoire pour entrer en EPAHD.

Je veux oublier les dizaines de documents à fournir, les protocoles obscurs de demandes d’informations.

Je veux oublier les plateformes anonymes qui gérent les attentes pour admission avec leurs infos obsolètes, leurs fonctionnements au ralenti, leur LOGIN et codes à récupérer sur un portable qui n’existe pas.

Je veux oublier l’infirmière qui refuse d’apporter la moindre aide un matin où tout va mal, parce que sa prestation se limite à la prise de tension et au pilulier.

Je veux oublier ces bureaux d’entrée d’EPAHD qui ne répondent plus à 16h55, et vous redirigent sur une infirmière en plein soin !

En revanche,

Je veux me rappeler et remercier

Je veux me rappeler et remercier toutes ces personnes qui ont su être à l’écoute alors qu’elles n’avaient pas le temps, pas les moyens, et qui en contravention des règles, « à l’arrache », ont contribué à trouver des solutions.

Pendant ces deux semaines, je n’ai entendu que cela : « On ne délivre plus cette attestation, mais je ne vais pas être idiot, je vous l’envoie », « Les files d’attente sont de plusieurs mois mais on va trouver une solution pour vos parents », « Je suis en congés mais je vais tout de même venir faire ce PCR au domicile de vos parents car c’est urgent », « Faites l’admission, nous trouverons le moyen de compléter le dossier après, c’est normal », « Venez jeudi pour leur admission, c’est plus simple pour nous vendredi, mais nous comprenons ».

Je veux aussi me rappeler et remercier cette jeune femme qui par pure gentillesse est venue tous les soirs faire le coucher de ma mère, ces personnes que nous avons employées « au noir » car les associations, complètement débordées, ne pouvaient nous proposer personne, et qui sont venues 2 heures, trois heures pour assurer la continuité dont nous avions besoin.

Ca tiendra encore combien de temps ?

Combien de temps cela va-t-il durer ? Dans la filière des personnes âgées en perte d’autonomie, on sait (c’est très facile de l’évaluer) depuis des années que les cohortes ne vont faire que croitre de façon exponentielle. Rien à voir avec l’imprévisible de la COVID 19, tout est annoncé et documenté.

Combien de temps les acteurs du secteur vont-ils accepter de jouer les amortisseurs, les régulateurs de dysfonctionnements d’un système qui les épuise et les méprise ?

Bien sûr, on peut parier sur leur engagement et leur implication pour continuer encore et encore.

On peut aussi parier sur l’embauche de personnes venues récemment de ces pays où le système de Santé est tellement défaillant que ce sont les familles qui compensent. Elles ne seront pas dépaysées dans nos structures françaises.

Combien de temps ça tiendra ? Au mépris de toute responsabilité, de tout respect ….

Les solutions existent : écoutons les personnes qui font !

Alors que les solutions sont là, sur le terrain, détenues par ces personnes qui travaillent et qui seraient heureuses d’être en phase avec ses règles et ses cadres.

Quelques pistes : former les médecins au management pendant leurs études, casser les silos hospitaliers, créer une fonction d’aide soignants libéraux, décentraliser, décentraliser, décentraliser ….

Ecoutons les ! Et donnons-leur, donnons-nous les moyens de réinventer ce système de Santé complètement déconnecté des réalités de notre société qui se déclare « avancée et responsable ».