Nous n'étions pas seuls !
Si vous êtes un peu lassés cet été des romans nombrilistes et des séries télévisées toutes pareilles, lisez un ouvrage remarquable d'où vous sortirez probablement ébranlés et peut-être plus modestes : Néandertal. Un parent. Á la découverts de nos origines, de Rebecca Wragg Sykes, chez Delachaud & Niestlé.
Ce livre, très bien traduit et facile à lire même si certains chapitres nécessitent un peu d’attention, dresse un panorama très actuel de tout ce que l’on sait sur non pas nos ancêtres, mais des membres disparus de notre parentèle proche, les Néandertaliens qui occupèrent l’Eurasie entre - 400 000 et - 40 000 ans ; des proches aujourd’hui disparus dont nous conservons des gènes, quelques pour-cents de notre génome. Au fil des pages, ces hominines longtemps considérés comme des primates frustres et bien éloignés intellectuellement des Homo sapiens qui allaient les remplacer, apparaissent comme des êtres beaucoup plus proches de nous sur beaucoup de plans, même si les différences morphologiques sont bien réelles et traduisent des modes de vie et d’occupation de l’espace différents des nôtres. Des humains nomades capables de créer, à partir de roches choisies avec soin, des outils de pierre bien adaptés à une vie quotidienne faite de chasse, d’activité de boucherie, de travail des peaux et de déplacements réguliers dans de vastes espaces. Des parents qui avaient, selon toute vraisemblance, un langage et donc des interactions sociales et familiales développées, et qui, probablement aussi, s’occupaient de leurs morts en plus de leur condisciples blessés ou handicapés. Des parents qui utilisaient le feu, savaient comment coller des objets et se servaient de pigments ; qui étaient des carnivores friands de cervidés, mais qui ne négligeaient pas éléphants et rhinocéros laineux ni, sur les côtes, coquillages ou tortues et qui, probablement, avaient des relations complexes et subtiles avec le monde animal au sein duquel ils vivaient. Des hominines qui vivaient dans des écosystèmes variés et qui eurent à faire face et donc à s’adapter à de fréquents changements climatiques de grande ampleur, tout en vivant en interactions avec des prédateurs que nous n’aimerions pas côtoyer de nos jours. On ne sait toujours pas comment, à cause de quelles pression climatique, écologique ou génétique, ni pourquoi ils ont disparu ; mais ils vivent encore à travers nous puisqu’il nous ont transmis, via des hybridations passées, une petite partie de leurs gènes. Comme le souligne Rebecca Wragg Sykes, ces relations charnelles multiples, entre deux « espèces » à la fois proches et différentes, furent à l’évidence acceptées puisque les enfants qui en résultèrent furent élevés et menés à l’âge adulte lors duquel ils continuèrent à transmettre leur patrimoine génétique, suggérant ainsi une étonnante cohabitation passée. Si on ajoute à ce prodigieux éclairage d’un passé finalement très proche l’existence concomitante, en Asie, des Dénisoviens, on voit se dessiner un nouveau paysage de la diversité des humains et des interactions entre les membres du genre Homo, que nul n’aurait imaginé il y a quelques dizaines d’années. On peut remercier ici ceux et celles qui surent tirer tant d’enseignements de l’ADN ancien ; nous leur devons beaucoup.
Nous sommes les seuls survivants d’un genre de mammifères qui comptaient encore il y a environ 40 000 ans au moins trois entités distinctes. Nos ancêtres ont connu ces parents un peu éloignés et peut-être longtemps la mémoire de ces échanges s’est-elle conservée alors que nous nous retrouvions seuls. Comme dans des relations familiales où on se dit que cela aurait été bien de connaître un oncle éloigné un peu bizarre et donc mythique, nous pouvons regretter de ne pas pouvoir croiser des parents néandertaliens qui pourraient nous raconter une autre histoire de l’humanité, une autre perception de la planète et notamment des relations aux non-humains.
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Merci à Rebecca Wragg Sykes d’avoir fait ce prodigieux effort de synthèse de connaissances qui doit nous rendre un peu modestes ; si les conditions avaient été différentes, la planète serait peut-être toujours peuplée aujourd’hui de plusieurs hominines, ou peut-être d’un seul qui ne serait pas nous ! Il y a eu beaucoup d’aléatoire dans tout cela…
On peut citer en conclusion Rebecca Wragg Sykes : Les néandertaliens ne constituèrent jamais une manière d’étape sur une autoroute menant aux « vrais » humains que nous serions : ils furent eux-mêmes des hommes tout aussi performants, mais d’un style différent.