TUER LA MAISON Chapitre 6
Et cette nuit qui revient toujours, ces cauchemars tatoués dans mes rêves, ils prennent encore la première place. Les cauchemars sont à l’image de leur créateur, hantés de tout de qui est fait, hantés de tout ce qui n’est pas fait. C’était tellement plus simple de ne pas faire. C’était tellement prometteur tout cela, soigner les maladies, stopper la famine, c’était la science, la science moderne, celle qui n’a qu’un sens unique, la modernité ils appelaient cela, la modernité, le progrès, la croissance. Comme si la Terre n’était qu’une jeune adolescente, la croissance rapide comme unique modèle.
Les Humains accompagnaient mes cauchemars, j’aimerais tellement voir un Humain, un seul. Il n’y a que moi, le dernier Homme, l’unique représentant de son espèce. Je ne sais toujours pas pourquoi ils m’ont choisi moi, je n’ose même pas imaginer ce qu’ils ont fait pour se débarrasser des milliards d’Hommes. Non, je n’ose pas l’imagier, il y a quelquefois des choses tellement fortes que même l’imagination n’y peut rien, elle semble bien petite face aux événements, l’imagination. Elle semble hors-jeu, hs.
Pourtant il fallait bien en avoir de l’imagination pour développer tout ce que l’Homme a développé, il fallait bien. C’est pas les animaux qui auraient fait tous cela, engoncés dans leurs codes millénaires, c’est pas eux qui auraient pu faire tous cela, qu’est-ce qu’elles croient toutes ces bestioles prétentieuses !
La sagesse, ils vont en faire quoi les animaux. Je le vois bien le Lion devant la Gazelle, aujourd’hui je te laisse partir, tu peux prendre ta chance, aujourd’hui je vais faire le bien. Je le vois bien le Lion mangeant une bouillie de salade des rivières, je le vois bien à la table de l’Hippopotame, ils vont en faire une paire de vieux sages les deux bestioles, je le vois bien le Lion.
Ils croient quoi les animaux, il fallait que je fasse quoi ? Interdire à l’Homme de faire la guerre ? C’est cela qu’ils voulaient les animaux ? J’aurais pas mis longtemps à me prendre une balle, un petit cadeau des vendeurs de rêves couleur kaki, treillis de la liberté mis en avant. Oh, parce que ces spécimens-là sont toujours les premiers à mettre la liberté en avant, c’est comme cela qu’on les reconnaît.
Ils me prennent pour qui les animaux, je suis juste un petit prof de philo, juste un petit prof de région. Ils se sont trompé de coupable, on va droit à l’erreur judiciaire. Et le Loup qui dit qu’il va me défendre, il n’a pas dit un mot pour l’instant, mais qui d’autre qu’un Loup pour faire confiance à un Loup, qui d’autre ? Ils me prennent pour qui les animaux, je suis un paisible Homme, je n’ai rien à voir avec le Loup, rien. Le Loup, cette espèce de dévoreur d’enfants, ce briguant des grands chemins, attaquant à la moindre occasion, l’opportuniste en puissance, le Loup, celui qui fait peur dans les chaumières, celui qui montre aux enfants que le danger existe, le roi de Wall street, c’est lui qui doit me défendre ? Vraiment ? Le Loup a du Chien ce que l’homme a du Babouin, voilà tout ce qu’il me reste pour m’accrocher, il ne me reste que le Loup.
S’accrocher, c’est déjà un objectif, se tenir à la branche en espérant qu’elle supporte mon poids, car même la branche a son maximum autorisé, même la branche peut céder sans prévenir, même la branche peut avoir envie de ne pas finir vieille.
Je m’accroche, je veux vieillir, je vais être jugé.
#Tuerlamaison
Chapitre 6
Droits d’auteur @Juillet 2020
Benoît Le Vourc’h
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