Où en est on de l'Open Innovation en France en 2016 ?

Depuis 2008 quand j'ai créé bluenove, les concepts d'Open Innovation se sont considérablement développés: la plupart des grands groupes ont notamment mis en place plusieurs programmes de relations avec les startups, le MEDEF a réalisé un baromètre en 2014 et 2015, et des initiatives comme l'Alliance pour l'Innovation Ouverte animée par le Ministère de l'Economie et du Numérique ont aussi joué leur rôle dans le partage de meilleures pratiques.

Mais l'Open Innovation ne se réduit pas à la seule mise en place d'un Lab dans un grand groupe pour mieux gérer la détection et les partenariats avec les startups.

Avec pour une fois un regard du verre à moitié vide, voici quelques uns des axes qui sont encore très en deçà du potentiel de valeur à créer par l'Open Innovation dans la plupart des organisations:

1. L'implication du client et de l'utilisateur final dans le processus d'innovation. Le réflexe d'impliquer le client reste encore cantonné à des approches classiques de type Focus Group, 'Etude Quanti', 'Etude Quali' et rares sont les exemples de 'Communautés de clients Beta Testeurs' en ligne qui donnent des feedbacks sur des idées innovantes qu'on leur soumet en amont du processus d'innovation. Cf par exemple 'Le Garage de Bob' que nous avons eu la chance de mettre en oeuvre auprès de notre client Butagaz.
2. De la DATA à l'Open DATA. En 2011, nous avions pris l'initiative de poser la question de l'enjeu et des opportunités de l'Open Data pour les entreprises dans un Livre Blanc. La plupart des entreprises ont certes pris en main le sujet de la DATA (Big Data voir Smart Data, embauche de Data Scientists, nomination d'un Chief Data Officer, etc.) mais très peu ont été jusqu'à identifier des jeux de données susceptibles d'être ouverts à des développeurs ou des chercheurs externes pour créer de nouvelles visualisations et applications. Les quelques cas restent ceux d'acteurs publics comme La Poste ou SNCF, même si des initiatives comme celle du 'Concours Fujitsu Linked Open Data' ont vu le jour.
3. La synergie avec le recrutement de talents. La plupart des entreprises restent dans un fonctionnement en silo quant aux budgets et ressources consacrées à la détection de talents. D'une part une Direction RH en charge du recrutement, d'autre part une Direction de la Communication qui contribue à la 'Marque Employeur' et enfin une Direction de l'Innovation (quand elle existe) qui souhaite mobiliser la créativité des étudiants dans certains de ses projets. Mais trop peu d'entreprises abordent un projet de concours d'Open Innovation avec des écoles et des étudiants comme un véritable '3 en 1' pour identifier de nouveaux talents à recruter, faire connaitre et apprécier sa marque et bien sûr faire émerger de nouveaux projets innovants.
4. On avance sur l'Intrapreneuriat. Les concours d'innovation internes qui visent à mobiliser en équipes l'ensemble des salariés pour récompenser une fois par an 3 à 4 projets gagnants sont désormais devenus un incontournable des dispositifs d'Open Innovation: un avancée évidente dans le développement d'une culture d'innovation ces dernières années. Nous avons ainsi eu le plaisir d'accompagner récemment des groupes comme Société Générale (en Afrique), Sodexo, Allianz, Humanis, Icade Promotions, Galeries Lafayette, etc. L'étape d'après qui consiste à créer l'environnement propice au passage de l'état d'un concept porté par une équipe à la carapace encore fragile à un projet qui prototype et test rapidement en mode intrapreneurial reste un véritable challenge pour la plupart des organisations. Un sujet complexe mais plein de promesses qu'il s'agit d'aborder avec humilité et convictions. A ce titre nous sommes ravis de contribuer au programme Intrapreneuriat proposé par le NUMA en cette rentrée 2016.
5. On parle toujours trop d'idées et pas assez de tests. Je remarque aussi que la plupart des managers continuent de parler de 'trouver des idées', 'sélectionner les meilleurs idées', etc. alors qu'il est temps de passer d'une culture d'innovation orientée Idées à une culture d'innovation orientée Tests. En effet, ne pensez vous pas qu'une organisation dans laquelle des salariés et des équipes internes qui viennent spontanément proposer des Tests ("je me suis permis de proposer cette idées à 2 clients et voilà leurs feedbacks..." ou "voilà la maquette d'un nouveau service qu'on a imaginé avec nos collègues du département X" ou bien "on a testé cette nouvelle approche, çà n'a pas marché, mais voilà ce que nous avons découvert"...) versus une simple idée serait le révélateur d'un changement d'état d'esprit majeur en terme de valeurs et de culture ? Chez bluenove, nos valeurs sont Passion d'explorer, Liberté de faire et Entreprendre ensemble: même si le chemin reste long pour continuer de progresser et rester un cordonnier bien chaussé dans le domaine de l'Open Innovation, elles semblent relativement en phase avec cet objectif.
6. Les fournisseurs actuels moins prioritaires que les startups. Bien sur l'énorme attention et le soutien majeur à l'émergence de l'entrepreneuriat et des startups en France ces dernières années représente une avancée significative et un succès incontestable en faveur de la compétitivité et de l'innovation en France. On peut néanmoins regretter que les parties prenantes oubliées de l'écosystème d'Open Innovation ont peut être été les PMEs et les fournisseurs et prestataires existants des grands groupes. En effet, leur contribution à l'innovation reste encore contrainte dans des processus d'appel d'offres classiques qui restent trop souvent des 'Tue l'innovation' même si certaines Directions des Achats ont pris conscience que les appels à projets, concours d'innovation, etc. sont de nouvelles manières de mobiliser à la fois leurs fournisseurs existants et d'identifier de nouveaux fournisseurs potentiels.
7. Toujours pas de revue systématique du potentiel d'actifs et de brevets dormants. Pour les entreprises détentrices de brevets, trop rares sont celles qui prennent le temps régulièrement (au moins une fois par an) d'analyser leur portefeuille et y repérer certains brevets non exploités susceptibles d'intéresser des partenaires externes: le fameux 'Inside Out' du Professeur Henry Chesbrough. Quant à celles dans des domaines sans aspects de propriété intellectuelle, elles ont néanmoins souvent des actifs dormants qui sont restés des projets à mi-chemin ou qui n'ont pas réellement décollé et qui mériterait d'être revus pour les faire rebondir grâce à un partenariat nouveau. Chez bluenove, nous avions par exemple développé avec Nathan en 2009 le 1er Serious Game dédié à l'Open Innovation, InnovNation, qui reste un actif à potentiel mais que nous n'avons pas encore su exploiter pleinement à ce jour.
8. Encore trop peu de PMEs s'y mettent. Au delà de cas devenus classiques que j'ai décrit dans mon livre Open Innovation (Dunod, 2014) comme Raid Light, BA Systèmes ou bien encore Poult, rares sont encore les cas de PMEs Françaises qui ont mis en oeuvre des approches d'Open Innovation. J'ai le privilège d'en sensibiliser plusieurs en tant qu'Expert APM lors des rencontres que j'anime en France et à l'étranger: c'est d'ailleurs suite à ma rencontre APM à Lille que j'ai été heureux de voir que la société Surgiris avait prévu un certain nombre d'initiatives d'Open Innovation.

Au delà de cet écart encore à combler dans la feuille de route Open Innovation des entreprises Françaises, d'autres approches comme l'intelligence collective (un enjeu, un grand nombre de contributeurs, un livrable, en 2 mois) viennent compléter l'objectif de développer une culture d'Open Innovation dans les organisations. Mais c'est l'objet d'autres articles que j'ai déjà écrits et d'autres à venir....