Observer c'est début de la liberté
La semaine dernière, au cours d'un atelier de développement personnel auquel je participais, les animateurs ont invité les participants à se faire des retours bienveillants sur ce que nous avions ressenti les uns par rapport aux autres.
Quel ne fut pas mon étonnement quand une personne avec qui j'avais réalisé un des exercices a commencé par : "je te trouve très observateur" !
Je crois bien que c'est la première fois qu'on me fait cette remarque.
Et depuis je prends conscience du chemin parcouru.
Toute ma vie en pilote automatique, à toute vitesse.
Belles études, belle situation, belle réussite sociale, familiale...
Je travaille 14 heures par jour, et parfois le week-end.
A 40 ans, tout va bien...
Sauf que : je dors mal, je me réveille souvent la boule au ventre. Je gamberge et mon cerveau chauffe tellement que je peine à me rendormir. Je prends des comprimés relaxants aux plantes à dose maximale.
Sauf que : j'ai pris 25 kilos en 15 ans : j'ai du mal à me baisser pour nouer mes lacets le matin. Je suis en nage dès que je marche plus de 100 mètres.
Ce sera mon premier sursaut : raz-le-bol d'être mal dans mon corps.
Je change de régime et je me mets au sport.
Très vite je prends goût à courir en forêt.
Je retrouve la ligne, et c'est agréable de me mouvoir avec aisance.
Surtout je redécouvre mes sens. Ou plutôt je les découvre. Je m'étonne du plaisir que je prends. J'observe mes sensations. Intenses ou subtiles.
L'odorat : l'air humide et parfumé des arbres et de l'humus.
La vue : une palette de couleurs d'automne, des marrons, des verts, des rouges, des jaunes... la lumière du soleil et de ses rayons qui passent entre les branches.
L'ouïe : souvent j'arrête la musique pour écouter le vent, le bruissement des feuilles, ou l'impact de mes pieds sur le sol.
Le toucher : il m'arrive de caresser un arbre, mais c'est surtout la sensation de mes pieds sur la terre, d'être solidement ancré dans le sol, qui me bouleverse profondément. Et aussi je patauge dans la boue comme quand j'étais gamin. Souvent j'enlève mes chaussures pour faire quelques centaines de mètres les pieds nus. Et je ralentis. Pour savourer.
En bonus, en plus du plaisir sensoriel : la libération des endorphines !
Pendant 5 ans, en courant, je développe inconsciemment la compétence d'observer mes sensations.
Ma carrière se poursuit, crescendo. Je réinvestis tous mes bénéfices santé dans le travail.
J'ai à nouveau des difficultés de sommeil, mon poids dérive lentement...
Cette fois c'est la vie qui vient me donner le deuxième sursaut. A moins que ça ne soit la mort ?
Avec toute ma famille, je sors miraculeusement indemne d'un accident de voiture.
C'est alors que je commence à me poser véritablement des questions existentielles, à 45 ans passés.
Je me fais accompagner professionnellement dans cette quête de sens.
Et puis après avoir longuement tergiversé par peur d'être piégé dans une secte, après avoir bien vérifié la moralité de l'intervenant, je m'offre enfin cette journée de découverte de la méditation de pleine conscience dont le flyer me faisait rêver depuis quelques mois.
Révélation !
Immobile, aller à l'intérieur de soi, dans ses sensations corporelles. La respiration.
Sans rien chercher d'autre que d'être attentif à ces sensations, de les observer comme si c'était la première fois.
Avec bienveillance, sans se juger quand une pensée, une émotion ou toute autre distraction a fait dévier l'attention : simplement ramener cette attention sur les sensations corporelles.
Encore et encore.
Le temps des pratiques, je suis totalement paisible, serein, confiant. Un état, un endroit dont j'avais oublié l'existence. Une profonde sécurité. Une impression d'essentiel.
C'est bénéfique au travail comme à la maison : je retrouve progressivement de la paix intérieure et extérieure.
Mes sensations en courant sont encore plus fines, plus subtiles et délicieuses.
Désormais je développe consciemment la compétence d'observer mes sensations.
Et je poursuis le voyage : formation, retraites, pratiques formelles et informelles.
Oui : informelles !
Car on en fait toute une histoire, mais l'essentiel ce n'est pas de s'asseoir sur un coussin et de fermer les yeux ! L'essentiel c'est de développer le muscle de son attention, pour ensuite choisir où la placer.
L'attention ça ressemble vraiment beaucoup à un muscle : on peut aller à la salle de gym pour l’entraîner. Quelques minutes par jour. Avec régularité. A table en mâchant les aliments ou en déglutissant, dans la salle de bain en se lavant les cheveux (si vous en avez encore) ou les dents, dans le métro plutôt que de regarder le smartphone... Choisir de placer l'attention sur les sensations corporelles. Juste observer. "Tiens : je ressens ça ! Tiens : je ressens ci !".
Petit à petit ça devient facile, ça devient une habitude d'être à l'écoute de son corps et donc du monde qui nous entoure. Car 100% de notre rapport au monde physique passe par le corps !
Petit à petit, je peux détecter beaucoup plus vite une sensation corporelle désagréable ou une émotion qui monte. Et si je la sens venir plus tôt, plutôt que de laisser mon pilote automatique (mon cerveau archaïque) réagir avec des conséquences par forcément voulues que je peux regretter ensuite, mon cerveau de sapiens a le temps, un tout petit peu de temps, pour choisir une autre façon de répondre, de m'ajuster à la situation, une autre façon qui va prendre en compte les conséquences, qui va me permettre de prendre soin de ce et de ceux qui comptent pour moi.
Quelques 5 années plus tard, pour aller plus loin dans l'intégration de ma pratique, pour enseigner et pour partager cet art de vivre, je me suis formé à l'école de Jon Kabat-Zinn, le médecin américain qui a créé le protocole MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction).
Aujourd'hui, j'apprends aussi à observer les autres, à utiliser ma sensibilité, à faire preuve de délicatesse. Et quand j'y arrive, la relation, qu'elle soit professionnelle ou plus personnelle se transforme, le partage est plus profond, et l'envie de coopérer peut émerger en douceur.
Ça m'a touché que cette participante témoigne m'avoir senti "observateur".
Désormais c'est clair pour moi : observer est le début de la liberté et du bonheur.
Apprendre à observer est un des plus beaux cadeaux qu'on puisse s'offrir à soi-même.
Car on voit de belles choses, dedans et dehors.
Merci de m'avoir lu.
N'hésitez pas à commenter cet article.
A bientôt.
guillaume.thouvenel (at) adessens.com
Mon article précédent : Apprivoiser son intensité
Peinture zèbre : Jo Lynch