Opel, un tremplin pour la maison Peugeot
En rachetant Opel, PSA soigne sa stature sans changer de catégorie. Mais si le groupe parvient à digérer sans heurt son acquisition allemande, il pourrait bien s’offrir un avenir d’une autre dimension.
Analyse parue dans Les Echos, à retrouver dans son intégralité ici
Comment dit-on « tremplin » en allemand ? En rachetant Opel pour une somme modique - à peine plus de 1 milliard d'euros sonnants et trébuchants -, PSA signe un joli coup double, soignant sa carence en taille et dopant son assise européenne. Les deux remèdes sont bienvenus, tant le groupe hexagonal constituait il y a encore deux ans une proie de choix pour un prédateur avisé et manquait de volume pour amortir son budget R&D. « Cela change la donne pour nous », s'enthousiasmait début mars Carlos Tavares, le patron du constructeur français, lors de la cérémonie qui clôtura le raid éclair de la maison Peugeot sur la division européenne de General Motors.
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Sans faire offense à l'artisan du sursaut de Peugeot-Citroën, la réalité est plus nuancée. Bien sûr, c'est la première acquisition de taille pour le constructeur de la Grande-Armée depuis les « seventies » et le rachat de Chrysler Europe. Avec le gros million de véhicules frappés de l'éclair allemand vendus à l'année, PSA pourra, c'est vrai, bénéficier d'économies d'échelle supplémentaires, au moment où les ingénieurs planchant sur la voiture électrique et/ou autonome réclament sans cesse de nouveaux moyens. Et puis étayer l'assise européenne du constructeur français permettra bien à ce dernier de gonfler ses revenus dans cette zone lucrative, d'utiliser le surplus d'argent ainsi glané pour se déployer plus rapidement dans le reste du monde - une absolue nécessité pour qui veut, comme PSA, ne plus dépendre des soubresauts d'un seul marché.
Malgré tout, la position de Peugeot-Citroën (même augmenté d'Opel et de sa déclinaison britannique Vauxhall) reste délicate à moyen ou long terme.
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Au sein de l'état-major du Lion et du Chevron, on rappelle à l'envi qu'Opel est avant tout une occasion qu'il a été possible de saisir grâce au rétablissement des comptes, un bonus qui n'obère pas, au contraire, le reste de la stratégie du groupe - c'est-à-dire accroître les volumes, rendre les ventes moins dépendantes de l'Europe et se propulser dans les services de mobilité d'ici à 2021.
Depuis deux ans, PSA a d'ailleurs lancé la construction d' une usine au Maroc , ouvert un cinquième site de production en Chine , initié son retour en Iran (un pays clef pour la marque Peugeot), trouvé un partenaire en Inde , disséminé un peu partout sur la planète des micro-usines capables de sortir quelques milliers de modèles à l'année, racheté une flottille de start-up expertes en mobilité. « Avec Opel, on aura davantage de carburant pour faire tout ça », dit-on en interne.
Renverser la table
Si Carlos Tavares et ses « grognards » parviennent à gérer de front ces multiples batailles, si Opel se fond sans heurt dans la masse de PSA, le groupe français se retrouvera, d'ici à quelques années, en bien meilleure position pour négocier un deal d'envergure. Pour s'offrir l'opération qui lui permettra de renverser la table en doublant ses ventes et en s'ouvrant le chemin des Etats-Unis - le but du patron lusitanien, qui veut propulser ses voitures de l'autre côté de l'Atlantique avant dix ans. Déjà, PSA flirte en Bourse avec les 16 milliards d'euros, quatre de plus que l'an dernier.
Du sang, de la sueur et des larmes
Sauf que ce scénario-là ne s'écrira que si Carlos Tavares réussit son coup chez Opel. Il y croit. L'idée, c'est de refaire en Allemagne ce qu'il est parvenu à faire en France. « En trois ans, on est passé de l'enfer au paradis », lance-t-on chez PSA. La recette n'est pas miraculeuse : du sang, de la sueur et des larmes. Les usines tricolores sont passées en monoflux au fil de leur modernisation, les contrats fournisseurs ont été revus à la paille de fer, les métiers non critiques ont été massivement externalisés, les départs en retraite non remplacés ont été pléthore, la gamme a été sévèrement retaillée, la tyrannie du résultat a été instaurée, les cadres ont été responsabilisés. Entre autres... « On en a bavé, mais aujourd'hui, on est en bonne posture », juge un salarié.
A priori, PSA veut aider la direction actuelle d'Opel à user de la même méthode outre-Rhin. Pas évident (...). Chez Opel, il faudra d'abord surmonter les problèmes culturels, remettre à niveau les sites de production, puis trouver un avenir aux quelque 7.000 ingénieurs salariés. Et ce en ne braquant ni le corps social, ni les politiques, ni les syndicats - autant d'acteurs qui seront sans doute moins conciliants que leurs homologues français.
Opel ? « C'est une étape pour PSA », expliquait il y a quelques jours Herbert Diess, le patron de Volkswagen, aux « Echos ». « Ce sera bientôt un concurrent plus sérieux pour nous. Après, il leur faudra du temps et de l'argent pour intégrer leur acquisition », confirmait le dirigeant allemand. Un tremplin, ça peut effectivement vous envoyer dans une autre dimension, ou dans le décor. Sinon, ça se dit « Sprungbrett » en allemand.
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