Oui, la dépendance est un risque assurable !
L’assurance dépendance -je me permets d'utiliser cette expression à la place de celle de "perte d'autonomie" car cette contribution aborde essentiellement les questions liées à l'assurance- suscite un grand nombre d’interrogations : faut-il et comment peut-elle se développer en France ? Mais au-delà même de ces interrogations, il est intéressant d’observer qu’il ne manque pas d’esprits sceptiques, voire critiques, sur la possibilité même d’assurer la dépendance.
C’est dans cet esprit que l’OCIRP a organisé le 18 décembre dernier, avec la chaire Transitions démographiques/transitions économiques et l’institut de la recherche de la Caisse des dépôts et consignations, une conférence au titre quelque peu provocateur : « Oui, la dépendance est un risque assurable ! ».
Sans prétendre à l’exhaustivité, sans atteindre la précision d’un travail universitaire –lors de la conférence du 18 décembre la thèse de 2009 de Manuel Plisson sur l’assurabilité de la dépendance a pu être citée- cette contribution LinkedIn souhaite faire partager à ses lecteurs quelques convictions que l’on espère simples.
Pourquoi une assurance privée serait-elle souhaitable ?
Tout simplement parce que la générosité de l’assurance publique trouve(ra) ses limites : le coût de la perte d’autonomie s’élève aujourd’hui à 34 milliards d’euros, dont 25 sont pris en charge par les collectivités publiques (Sécurité sociale, départements, Etat).
Le "trésor caché" de la CRDS risque de fondre comme neige au soleil
Bien sûr, on peut attendre une augmentation, par exemple par l’affectation en 2024/2025 d’une fraction des recettes affectées au remboursement de la dette sociale, mais ce scénario repose sur des présupposés optimistes. Il suppose bien évidemment l’extinction de la dette sociale, ce qui apparaît quasi certain pour la dette passée, mais peu probable pour l’avenir, la France ayant un faible coupable pour les situations déficitaires. Mais surtout il suppose en 2024 une triple absence :
- l’absence de toute « concurrence de financement » dans le domaine social ; or, le financement de l’assurance maladie et l’équilibre des retraites restent des défis périlleux ;
- l’absence de toute velléité, au moment fatidique de la fin de la CRDS, de redonner du pouvoir d’achat et de baisser les prélèvements obligatoires ;
- l’absence de toute nécessité de prévoir un désendettement public, la dette franchissant très prochainement le palier des 100 % du PIB.
Bref, le « trésor caché » de la CRDS risque de fondre comme neige au soleil.
Une assurance privée « perte d’autonomie » va ainsi être utile, en complément des dispositifs publics, principalement pour les classes moyennes. En effet, l’aide sociale à l’hébergement permet aux personnes les plus modestes d’être « sécurisées ». Tandis que l’on peut espérer que les personnes les plus aisées pourront puiser dans leur épargne.
Pourquoi l’assurance dépendance fait-elle « peur », y compris parfois aux assureurs ?
Dans le domaine de l’assurance, il est impossible de connaître à l’avance le prix de revient du contrat, qui dépendra du taux de sinistralité et du montant moyen des sinistres que l’assureur devra indemniser : nous venons ici de rappeler de manière factuelle « le cycle de production inversé de l’assurance ». La dépendance ne fait pas exception au cadre général : simplement, s’agissant d’un risque susceptible de se réaliser de très longues années après le début de la phase de cotisation, la dépendance accentue encore davantage cette inversion. Elle constitue un risque de long terme, qu’il convient de piloter avec d’autant plus de souplesse que l’assureur ne dispose pas de la capacité de rétablir l’équilibre d’un contrat aussi rapidement que, par exemple, un assureur santé qui peut ainsi, quasiment d’une année sur l’autre, réagir –augmenter les cotisations et/ou diminuer la générosité des prestations- en fonction d’une sinistralité observée « dérivante ».
On peut également ajouter que l’apport lié à la capitalisation des placements, autre caractéristique de l’activité même d’assurance, est d’autant plus déterminant que le risque est long. La problématique biométrique –fondamentale- se double de celle -tout aussi complexe- de devoir prévoir un rendement financier de long terme. Les capitaux propres, en plus des provisions techniques financées par les cotisations des assurés, doivent donc être élevés pour gérer les éventuelles dérives futures. Ce constat est d’autant plus marqué qu’il n’est à ce jour pas prévu, dans le cadre du référentiel Solvabilité 2, des aménagements de même ordre que ceux consentis dans le cadre des engagements de retraites supplémentaires.
Pour résumer, "assurer la dépendance" est un sport difficile.. mais est-ce pour autant impossible ?
Quelles conditions pour rendre la dépendance assurable ?
Il convient tout d’abord à bien définir le « champ assurantiel » : de quoi s’agit-il ? Il faut ici reconnaître une différence majeure entre la dépendance totale et la dépendance partielle. La dépendance totale correspond -heureusement- à une fraction minoritaire des personnes âgées dépendantes. On peut la définir à la manière de la Palice : la dépendance totale, c’est l’incapacité absolue d’être autonome. La dépendance totale correspond aux GIR 1 et 2, soit moins de 500.000 personnes, dont les deux tiers sont en établissement. Sur le champ de la dépendance dite totale, le débat qui demeure entre la grille des pouvoirs publics[1] et la grille défendue par les assureurs[2] (actes de la vie quotidienne ou AVQ) semble largement relever de la querelle byzantine. Le point des situations de démence reste toutefois à trancher.
La « dépendance partielle » (GIR 3 et GIR 4) relève d’un concept beaucoup plus flou : une personne âgée peut être autonome sur un certain nombre de points (se laver, se vêtir), mais nécessiter une assistance extérieure sur d’autres actes de la vie quotidienne (se déplacer). De ce point de vue, on peut comprendre le souhait des assureurs de ne pas être dépendants ( !) d’une grille dont l’interprétation peut varier selon les départements et dans le temps, particulièrement pour la reconnaissance du plus bas degré de dépendance permettant l’attribution de l’APA, le GIR 4.
Comme il semble difficile de justifier des critères d’évaluation différents entre les assureurs publics et les assureurs privés, le sens de l’histoire est celui de s’aligner sur la grille AGGIR. Il pourra être alors souhaitable de limiter le recours à l’assurance privée à la dépendance totale (DT), correspondant à des situations nécessitant un engagement financier conséquent. L’inclusion des cas de dépendance partielle peut naturellement être proposée, mais renvoie en pratique à des rentes systématiquement abattues.
Le risque assurantiel –et donc la possibilité d’élaborer une tarification- repose sur trois indicateurs clefs ou données essentielles, dépendant elles-mêmes de trois lois biométriques (mortalité, survenance, longévité) :
- le nombre de personnes âgées dépendantes ;
- l’âge d’entrée en perte d’autonomie ;
- la durée de leur survie en situation de perte d’autonomie.
Certes, ces trois données ne sont pas connues à l’avance, mais elles ne constituent pas non plus –pour jouer sur les mots- des « inconnues » complètes. Et il suffit d’observer les évolutions, grâce notamment aux données de la DREES, pour déceler une quelconque dérive.
En ce qui concerne le nombre de personnes âgées dépendantes, on peut déjà affirmer sans risque d’être démenti que toutes les personnes âgées dépendantes de 2070 sont déjà nées. L’estimation de leur chiffre global varie entre 1,4 et 1,7 million en 2030 et entre 2 et 2,8 millions en 2060. Un assureur avisé pourra ainsi choisir le haut de la fourchette, d’autant qu’il reste l’incertitude inhérente au nombre de personnes devenant démentes aux grands âges.
S’agissant de l’âge d’entrée en perte d’autonomie (totale), les études s’accordent sur le constat que cet âge –aujourd’hui à 85 ans en moyenne- va continuer de croître. L’évolution sera peut-être ralentie par rapport aux trente dernières années, mais elle restera positive. Un assureur pourra ainsi choisir une évolution prudente.
Sur la durée de survie en situation de perte d’autonomie (totale), la prudence impose là aussi de retenir une augmentation régulière. On peut noter que la durée moyenne de séjour en EHPAD –qui donne une indication sur la durée de perte d’autonomie totale- est restée stable à 2 ans et 5 mois entre 2010 et 2016. Des études ont montré une stagnation voire une diminution de l’espérance de vie sans incapacité dans les pays développés sur la période récente s’étendant de 1995 à 2012. Ce critère, sans être assimilable à la perte d’autonomie, constitue en tout état de cause une alerte sur une possible dérive de la durée de fin de vie en situation de dépendance totale.
Concernant la problématique financière précédemment évoquée, le risque de taux joue à l’analyse et à l’expérience –avec la baisse constatée depuis 2013- un rôle bien plus déterminant à court voire à moyen terme pour l’équilibre des contrats dépendance que l’observation de la moindre inflexion sur l’évolution de l’augmentation de l’espérance de vie sans incapacité. Sur du long terme, proposer ainsi un taux technique supérieur à 1 % constitue une prise de risque importante pour l’assureur, et qui peut amputer durablement les possibilités futures de revalorisation.
L’horizon de la dépendance peut représenter un frein. Cotiser à 25 ans pour un risque susceptible de se réaliser plus de soixante ans plus tard peut laisser dubitatif. Mais ce contre « argument horizon » n’est pourtant pas mis en avant lorsqu’il s’agit de retraite supplémentaire, alors même que les problématiques sont similaires. La possibilité de réversion en retraite supplémentaire peut même donner à celle-ci un horizon encore plus long. Pourquoi limiter ainsi l’horizon de l’assurance ?
"Avec humilité et endurance, le risque peut désormais être appréhendé sur des bases robustes" (François Lusson)
Dans un article fondateur[3], François Lusson concluait au caractère assurable et pilotable de la DT : il est possible d’« affirmer à ce jour que la DT est pilotable ; lorsque le risque est accepté de manière permanente conformément aux conditions contractuelles, et observé sur des effectifs significatifs, les observations suivent de manière prévisible, avec une volatilité limitée, des lois statistiques de mieux en mieux cernées. Avec humilité et endurance, le risque peut désormais être appréhendé sur des bases robustes (pour peu que la chaîne de traitement du risque soit elle-même pérenne et donc l’acceptation surveillée au plus près des termes du contrat, ce qui reste souvent à démontrer). »
L’assurance dépendance : une assurance pour rien ?
Un autre reproche adressé à l’assurance dépendance est qu’il s’agit d’une assurance qui peut tourner « à vide » : si la personne n’est jamais dépendante, à quoi auront servi ses cotisations ?
Cette contestation est tout de même particulièrement étonnante : lorsque l’on cotise en tant que salarié à un contrat de prévoyance décès, cette cotisation ne va servir pendant toute une longue vie de salarié (plus de 40 ans)… à rien. Mais cette cotisation est bien utile « si jamais ». Dans le cas de la dépendance, le « si jamais » est effectivement loin d’être certain – la majorité des personnes ne seront jamais dépendantes, ou en tout cas sur une extrême fin de vie à l’hôpital. Mais « si jamais » on devient dépendant -au-delà des moyennes qui peuvent ne vouloir rien dire, comme l'a rappelé Françoise Forette lors de la conférence- la durée peut être longue et les coûts élevés. La réalisation de ce risque se constate à la fois en cas de maintien à domicile avec l’intervention quasi permanente de prestataires ou d’un coût d’hébergement pour toute une catégorie de la population « trop aisée » pour bénéficier ou souhaiter bénéficier de l’aide sociale à l’hébergement, soit aujourd’hui plus de 80 % des personnes âgées concernées, mais « pas assez riche » pour bénéficier d’un stock d’épargne suffisant pour faire face. Ce sont bien ces coûts dont la couverture nécessite d’être mutualisée, ce qui correspond à un des objectifs majeurs de l’assurance. Et ce sont bien ces coûts que, dans la mesure du possible, les assurés souhaitent éviter ou éviter à leur famille de payer « plein pot », de manière finalement tout à fait comparable à ce qui peut exister dans d’autres secteurs de l’assurance.
Un étage complémentaire d’assurance privée, s’appuyant sur un premier étage pris en charge par la puissance publique avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), peut ainsi trouver toute sa place demain en France. On peut bien sûr proposer des contrats individuels dépendance à l’âge de 60-65 ans, au moment où il est peut-être plus facile de préparer cette longue partie de la vie que sera la vie à la retraite. Mais l’objectif de diminuer la cotisation le plus possible tout en préservant la capacité de restituer des rentes dépendance d’un montant conséquent, plaident pour commencer plus jeune. Dans ce cas, l’assurance collective, permettant de faire participer (même faiblement) l’employeur et de prendre en compte la problématique des aidants, beaucoup plus immédiatement perceptible, est une excellente réponse. Une réponse particulièrement adaptée aux classes moyennes… celles justement les plus impactées par le coût de la dépendance.
[1] La grille nationale AGGIR, permettant de mesurer le degré de perte d’autonomie et donc l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie.
[2] Les actes de la vie quotidienne (AVQ), au nombre de six. Une échelle de 1 à 4 mesure ensuite le nombre d’incapacités à réaliser ces AVQ.
[3] « L’équilibre actuariel de long terme en assurance dépendance en France », in SFAF Analyse financière n°47, p. 64
Open work 😀 Province de préférence et / ou télé-travail. Merci. Belle journée
6 ansBravo Monsieur, merci de votre lucidité sans langue de bois. Bonnes Fêtes à voud
Psychologue clinicienne
6 ansMichaël BETHOUART!
Retraitée Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole
6 ansAssurable ou mutualisable ?
Assurances construction
6 ansÇa dépend ce qu'on appelle dépendance. Maman à une assurance dépendance mais elle ne peut pas toucher un centime car elle n'est pas dépendante...quelle connerie !!! Elle perd la tête, ne sait plus entretenir son appartement mais elle n'est pas suffisamment dépendante pour toucher un centime de son assurance qu'elle paie depuis des années .. oui une vraie rente mais pas pour elle , pour l'assureur oui
Directeur d'agence chez Senior Compagnie
6 ansJe signale aussi que pour financer par exemple la dépendance et le maintien à domicile des travaux de recherche pilotés par la Chaire Transitions Démographiques et Transitions Économiques ont eu lieu ces derniers mois. Ils visent à faire connaître la vente anticipée occupée de son logement à partir de 65 ans et ses impacts potentiels sur l’économie. Ils sont disponibles sur http://www.tdte.fr