Philosophe et (im)posture

Philosophe et (im)posture

La philosophie est un vaste domaine. Cette discipline a débuté il y a fort longtemps. Elle a traversé les âges et les distances. Elle est donc difficile à définir dans son ensemble. Les courants sont nombreux et les approches ont varié selon les époques et les contextes sociaux-culturels. Aussi, je n’aurai donc pas cette prétention. Cet article aborde non pas la philosophie en soi mais la posture qu’un(e) philosophe peut adopter dans son rôle.

En l’effet, le philosophe, quelque-soit son époque ou le contexte, se doit à la fois de mener des réflexions sur les sujets qui l’incombent, mais également d’avoir la posture adaptée à sa fonction. Le philosophe est reconnu par la société pour sa prise de hauteur et de recul, sa capacité à se positionner selon des valeurs fortes face au contexte qu’il (elle) rencontre. Il (elle) incarne un savoir et un être sage. Son attitude est modélisante pour qui lui prête attention et crédit. Il convient ici de rappeler que le terme philosophie vient du grec philo (amour) et sophia (sagesse), autrement dit amour de la sagesse.

 Dans l’histoire de cette discipline, il est intéressant de se rapprocher de Platon. Il écrit (en parlant de philosophie) dans le Lachès (188 d) : « la vie qui mettra les actes à l'unisson avec les paroles ». Épictète, dans ses Entretiens (I, 29, 55-57) y insiste : « Ne peux-tu pas appliquer ce qu'on t'a enseigné ? Les raisonnements, ce n'est pas ce qui manque ; les livres sont pleins de ceux des stoïciens. Qu'est-ce qui manque donc ? L’homme qui les appliquera, qui, par la pratique, rendra témoignage pour eux ». A cette époque déjà, la posture est tout autant importante que les raisonnements.

Plus tard, au siècle des lumières Dumarsais propose une définition du philosophe tel qu'il le voit au XVIIIème dans l'article « Philosophe » de l'Encyclopédie de Diderot (dont voici un extrait) :« Il possède des qualités morales qui rappellent « l'honnête homme » du XVIIème : ses actions et ses réflexions sont toujours motivées par le bien d'autrui. « Honneur et probité » sont des valeurs morales qu'il place à un très haut degré ». Là encore, il est appuyé l’importance de la qualité d’être.

Les philosophes contemporains ne sont pas en reste à la lumière d’André Comte-Sponville : « La philosophie est une pratique théorique, comme disait mon maître Louis Althusser, qui a le tout pour objet, la raison pour moyen, et la sagesse pour but ». On retrouve bien ici la notion de sagesse, cher au terme de philosophie lui-même.

Ces citations parmi tant d’autres montrent à quel point le rôle de philosophe ne tient pas seulement dans la qualité de ses réflexions mais également dans la manière dont il (elle) les porte. Il (elle) se doit d’être dans une posture adaptée à son rôle et au contexte socio-culturel dans lequel il (elle) se trouve.

 Ceci étant, l’époque que nous vivons permet à chacun de faire valoir son point de vue et ses analyses avec une capacité de partage à autrui grandissante. Les médias, et notamment numériques, permettent de communiquer largement et ce, sans contrôle réel. La liberté d’expression autorisant cela (sauf quant au respect des lois sur ce qu’il est possible de communiquer bien entendu).

Cette possibilité n’est que plus enrichissante pour chaque lecteur car elle offre l’opportunité d’accéder facilement à l’information et par là, de confronter les points de vue.

Il y a malgré tout une réserve sur l’utilisation de médias de communication et un œil attentif à avoir pour le lecteur. En effet, comme beaucoup le savent, les moteurs de calculs des réseaux sociaux fonctionnent (entre autre) à l’occurrence d’apparition (de votre nom, de vos posts, des « likes », etc.). Une stratégie de communication des écrits/paroles/vidéos consiste à tenir des propos clivants (à la limite du diffamatoire), faire des généralités (qui peuvent être insultantes ou blessantes) envers des communautés, des professions, etc. Ceci pour créer un maximum de réaction de « pour » et de « contre ». C’est une stratégie marketing et commerciale bien connue, car plus on parle de vous, plus votre notoriété monte. On appelle ça faire du « bad buzz ». Cette pratique est largement condamnable puisqu’on est là face à une manipulation d’opinion publique à des fins personnelles (et souvent pécuniaires).

Que dire alors lorsqu’un(e) philosophe s’adonne à ce genre de pratique ?

C’est à mon sens un scandale pour la profession de philosophe. C’est faire fi de la posture modélisatrice qu’ont ces hommes et femmes via à vis de leurs concitoyens, usurper l’attention des gens pour obtenir reconnaissance et argent. Un diplôme n’y change rien. L’incarnation du titre de philosophe ne se travaille pas à l’université (mais plutôt en développement personnel…;) ). S’il y avait un encadrement de cette profession tel un conseil de l’ordre pourrait-être, il est fort probable que ce type de démarche ferait l’objet d’une procédure. Notez qu'il s'agit ici de dénoncer les actes qui montrent la posture et non pas la personne elle-même. Mais comme dans toutes les professions il y a des dérives ...

Ce qui est dommage ! Il y a tellement mieux à faire avec de telles connaissances et compétences. C’est une très belle profession à mon sens qui a un vrai rôle à jouer dans la société. L’éveil de chacun dans l’humanité est essentiel au regard des défis qui sont les nôtres et qui nous attendent. La reconnaissance en tant que philosophe vient à celui ou celle qui, harmonieusement avec son être et son savoir, sait faire bouger les opinions, les points de vue, les idées reçues, etc. Jean-Jacques Rousseau disait : «  Il y aura dans tous les temps des hommes faits pour être subjugués par les opinions de leur siècle, de leur pays, de leur société (…) Il ne faut point écrire pour de tels lecteurs, quand on veut vivre au-delà de son siècle ». Il insiste ici sur le contenu traité par les philosophes et de quelle manière cela influence sa renommée. Le positionnement du (de la) philosophe sur ses sujets parle également de sa posture.

Il me semble donc qu’il faille, en tant que lecteur, avoir un regard critique sur le titre que certain(e)s mettent en avant. Notamment dans une profession comme la philosophie ou l’être est tout aussi important que le savoir. Le diplôme si universitaire soit-il ne répond qu’à une partie de la question. Notez par ailleurs que Jean-Jacques Rousseau est un autodidacte... Preuve en est que ce genre de titre s’acquière avec la démonstration d’attitudes et de comportements en phase avec des écrits et des paroles pertinentes.

Je terminerai par une dernière citation de Pierre Hadot au sujet de la philosophie : « Cet enseignement oral, et les œuvres écrites qui en émanent, ne communiquent pas un savoir tout fait, mais ils sont destinés avant tout à former un savoir-faire, à un savoir discuter, à un savoir parler, qui permettra au disciple de s'orienter dans la pensée, dans la vie de la cité, ou dans le monde. (…) La philosophie est un mode de vie qui comporte comme partie intégrante un certain mode de discours ».

 

A bon entendeur….

 

Olivier Hémont

Gestion de Projet et Management Opérationnel | Exigence militaire et Vertus du Gentleman moderne | Ingénierie Pédagogique et Développement RH

5 ans
Muriel Cledat

Coach professionnelle (certifiée RNCP 7) et consultante

5 ans

Merci pour la qualité de votre article, un enrichissement à l'ère du Bad Buzz.

Gabriel Hannes 🌿

🍁Dirigeant de Convergences 🍁Ancien Président EMCC France 🍁Coach Professionnel, Superviseur Certifié Prog ESQA, Conférencier 🍁 Intervenant à l'Université de Paris 8

5 ans

Merci Nicolas pour ce très astucieux clin d'œil et ce reflet ! Très bien vu et à même de reeclairer la situation à partir d'un nouvel angle. ✌️

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