Piloter le changement

Piloter le changement

«  τὰ ὄντα ἰέναι τε πάντα καὶ μένειν οὐδέν »  «  Tout passe et rien n’est stable. »

  Héraclite cité dans Platon, Cratyle, 401d5.



 Le succès du changement tient à trois conditions :

  1. où sommes-nous ? un diagnostique de la situation actuelle d’où découle la nécessité du changement;
  2. où allons-nous ? un objectif fixé qui suppose une situation différente de celle actuelle avec une analyse du delta entre les deux situations;
  3. voulons-nous y aller ? la motivation, l’engagement de vouloir atteindre l’objectif en fonction de l’étude d’impacts et de différentiels posée. 


Le management du changement s’intéresse au point trois, comme abordé dans l'article « Manager le changement ». Comment engager le collaborateur à entamer le changement à partir d’une situation actuelle, insuffisante, pour atteindre une nouvelle situation, différente, offrant les conditions de possibilités d'une réussite escomptée.
Cependant, l’engagement des collaborateurs présuppose une étape antérieure, celle du pilotage du projet.

Le « pilotage » se distingue de la « gestion du projet »: 

  • La gestion du projet est le suivi de l’ensemble des indicateurs sur un tableau de bord permettant la planification et l’optimisation des ressources en fonction des contraintes connues et anticipées. Il s’agit d’un travail minutieux et fastidieux, qui déroule de la mise en œuvre concrète du projet. Cela correspond à la tactique et à la technique dans les sphères de responsabilités.
  • Le pilotage du projet est précisément ce que la « gestion du projet » doit réaliser. Cela correspond aux sphères de responsabilités politique et stratégique. Il s’agit de donner une vision et un séquençage du projet pour permettre sa concrétisation. 


La phase du pilotage est parfois ignorée ou peu communiquée, au profit de la tactique ou de la technique. Il est courant d'observer un passage direct  du problème à la solution, de la culture au comportement, sans passer par les étapes du sens et du pourquoi. La question du "pourquoi" n’est pas que métaphysique, elle est garante du sens et de la pertinence de la vision. Répéter le "pourquoi" du changement, de sa nécessité et de la pertinence des solutions envisagées permet de rassurer et d’assurer un fil conducteur entre la situation que l’on doit quitter et celle à atteindre. Le pilotage souligne l’évolution, le développement, fut-il en rupture, sans faire table rase du passé, ce qui a tendance à culpabiliser tout le monde et détourner le regard en arrière au lieu de s’atteler au présent et l'avenir. 

De fait, dans la précipitation, le pilotage du projet est parfois confondu avec la gestion du projet, en oubliant de se poser pour analyser le problème et imaginer des solutions. C'est bien souvent un symptôme qui va de pair avec l'oubli de la concrétisation du projet et de ceux qui le rendent possible.

Tout projet induit un changement et suppose par conséquent un pilotage, une gestion et un management. 

L’erreur est de se focaliser sur le projet plutôt que sur ceux qui le concrétisent ou qui doivent le porter et le faire vivre une fois réalisé.

Un projet n’a de sens non pas parce qu’il est réalisé, mais parce que sa réalisation apporte quelque chose, c’est ce qui en donne le sens, c’est ce qui fait sa création de valeur.

Par conséquent, la première analyse à faire est une cartographie des changements et des impacts, pour déterminer quelle création de valeur et de sens est possible et nécessaire. 


La cartographie du changement 

Où sommes-nous et pourquoi cette situation actuelle n’est pas satisfaisante ? Pourquoi changer ?

En analysant la combinatoire des possibles, tout changement se rapporte à trois grands types :

  1. étendre ou comprimer le périmètre : soit qu’il s’agit de l’élargir pour prendre en considération des domaines jusque là non inclus, mais qui reste de même type, notamment en termes de ressources et de compétences. Par exemple étendre la responsabilité de la formation à des publics externes jusque là non considérés.
  2. compléter le périmètre: en adjoignant des domaines distincts des compétences et des ressources initiales. Par exemple ajouter l’encaissement à des conseillers de vente.
  3. remplacer le périmètre initial par un nouveau impliquant des compétences et des ressources différentes. Par exemple passer d’hôte de caisse à conseiller de vente.


Cette cartographie permet de déterminer le type de changement à apporter et d’établir une gestion permettant d’atteindre la nouvelle situation projetée.

Cependant, cette analyse ne prend pas en compte l’impact du changement, c’est-à-dire le différentiel entre la situation actuelle et la situation projetée, du point de vue des ressources, en particulier humaines.

Il s’agit donc, ensuite, de réaliser cette étude d’impacts, en particulier sur les collaborateurs.


L’impact des changements sur le collaborateur

Tout projet implique un changement. En effet, il s'agit de faire ce qui n'est pas déjà fait, c'est-à-dire atteindre une situation de faits différente de la situation actuelle. Tout projet modifie donc les interactions avec l'environnement pour les rendre plus efficaces. Par conséquent les comportements et les habitudes des acteurs sont modifiés. Les changements ont dons ces impacts sur les collaborateurs.

Par exemple une réorganisation aura une incidence sur l’organigramme, le sociogramme, les missions, les tâches, les moyens, les ressources, les horaires, les relations interpersonnelles, la rémunération, etc. Il faut alors mener une analyse pour chacune de ces dimensions, par rapport à l’existant d'une part et par rapport aux collaborateurs.

L’impact relatif peut être différent selon le collaborateur en fonction de sa situation actuelle.


Cette analyse relative est importante puisqu’elle permet de comprendre comment chacun sera affecté par les différences entre la situation actuelle et celle projetée. Cela permet en particulier d’établir un séquençage des objectifs et un storytelling adapté à chacun des collaborateurs, en fonction d’où il se trouve et où il se trouvera.

Le risque cependant et d’oublier la coordination entre ces différentes dimensions et de ne plus parler au même collaborateur à chaque fois.

D’où la nécessité d’une politique globale du changement.


La nécessité d’une politique du changement


La structure de pilotage du changement recoupe logiquement les sphères de responsabilités puisque pour être effectif, le changement doit s’opérer à l’ensemble des niveaux nécessaires et suffisants à la réalisation du projet. 

  1. la technique matérialise le comment réaliser la tâche, par exemple l’usage d'une tablette pour enregistrer une commande client ;
  2. la tactique détermine le quoi, c’est-à-dire quelles tâches doivent être réalisées pour rendre effectif le changement en atteignant l’objectif fixé par la stratégie ;
  3. la stratégique indique  le pour quoi et clarifie l’objectif visé nécessitant le changement ;
  4. la politique donne le pourquoi en fixant le cap à moyen et long terme qui implique le changement.


Il est évidement que la politique implique la stratégie qui implique la tactique qui implique la technique. Cet ordre logique est structurel et fonctionnel. Manquer une étape c’est rompre le lien organisationnel et organique, avec le risque de rendre inopérant le type de niveau inférieur avec la conséquence de mettre en péril l’effectivité du changement.

D’où la nécessité de coordonner plusieurs projets ou dimension de projets de changement dans la cadre d’une politique globale. La politique globale du changement tend non seulement à considérer les impacts relatifs, mais également la relation entre les différents changements et donc entre leurs impacts, en particulier sur les collaborateurs.

Cependant ce cadre ne peut être efficient en l’état puisqu’il considère maintenant une politique globale des différents projets en considérant les impacts métiers et humains de manière relative. Cela s’explique par la conduite indépendante de chaque projet avec une équipe dédiée. Le principal écueil est alors le déploiement effectif du projet sur le terrain qui rentre potentiellement en conflit avec d’autres projets. C’est notamment le cas lorsque le calendrier de déploiement ne prend pas en compte les contraintes des autres projets. Mais c’est surtout l’impact, l'empreinte sur les collaborateurs, découvert a posteriori  qui pose véritablement problème.

Il ne faut jamais oublier que c’est l’opérationnel, le collaborateur sur le terrain, qui en définitive incarne les projets en transformant les intentions en action. Or si plusieurs projets parallèles sont menés, en fin de compte ils concernent bien tous le même collaborateur.

D’où la nécessité de rapporter les impacts métiers à chaque collaborateur.

L’analyse d’impacts rapportés au collaborateur

Le projet et la nécessité du changement ne doivent pas être considérés comme étant le centre du projet. Il ne sont que des moyens. C'est le collaborateur qui doit être le centre d'attention du projet. Cela revient à opérer un véritable changement de paradigme qui oblige à reconsidérer l’ensemble du projet et du changement non plus en termes de résultats, mais de conditions de possibilités du résultat et de son succès.

En définitive, le changement n’est effectif que parce qu’il est concrétisé et réalisé. Il n’est ni une finalité ni un moyen, mais des conditions de possibilités qui doivent être actualisées. L’élément essentiel ne devient plus le «pourquoi»  du changement, qui est maintenant acquis à ce stade du projet, mais sa mise en œuvre, pas son «comment», mais son «par qui». Ce «par qui» est à entendre à la fois comme un «avec qui» et «pour qui».

La cartographie du projet, centrée sur son acteur, le collaborateur, devient radicalement différente de celles du différentiel de situation actuelle/projetée.

Le paradigme des impacts des changements rapporté au collaborateur par typologie métiers est différent de l’analyse d’impacts simple par projet. Il ne s’agit plus de savoir quels impacts a un projet, mais ce que provoque le projet pour un collaborateur donné. 

La nécessité de la coordination des projets saute alors aux yeux, de même que la nécessité d’accompagner le collaborateur dans le changement. Ce changement de perspective fournit également la méthode pour accompagner le collaborateur dans l’assimilation et l’appropriation des différents projets et des changements induits, notamment avec de la communication, de la formation et de l’entraînement.

En conclusion

La prise de conscience du changement permet de répondre clairement à la question: pourquoi changer? et que voulons-nous devenir?

La concrétisation du changement est un projet. Les projets ne sont donc pas des finalités, mais des moyens  voire des conditions de possibilités pour atteindre cet objectif.

Chaque projet se structure en stratégie et tactique qui établissent un comment qui concerne directement le collaborateur dans les tâches et les outils qu’il doit réaliser pour rendre effectifs les projets et donc le changement.

Ces projets, pilotés politiquement deviennent coordonnés et se complètent mutuellement pour dessiner un ensemble d’actions claires : ce que l’on attend du collaborateur.

Ainsi au lieu de percevoir une multitude disparate de changements lui tombant sur le coin du nez, le collaborateur est maintenant au centre névralgique du changement, il l’incarne et le rend possible. Son action devient son engagement.

Manager le changement devient alors possible.

Aurore Jung

✔Prendre le chemin de l'agilité pour réussir ses projets ✔Coach agile ✔Coach pro. certifiée senior

8 ans

Merci pour cet article et pour le fait de pointer du doigt qu'un projet de changement n'est qu'un moyen et non pas un but en soi; garder cette idée en tête pourrait permettre d'apporter de la flexibilité dans certains projets pour être capable de se réaligner ou de rester en phase avec les enjeux qui sont derrière ce changement.

lionel ZAPATA

Responsable de la conduite du changement Direction des Partenariats France chez BNP Paribas Personal Finance

8 ans

Très intéressant

Bernard Guévorts 🟢🟡🔵/🔴

Apporteur de confiance et éveilleur de leadership. Formateur expérimenté, j’aide les managers, (en particulier techniques) à identifier les leviers de développement de leur leadership pour mieux communiquer et inspirer.

8 ans

Merci pour ces clarifications ! Très bon article sur ce thème. J'ajouterais aussi (vu mon tropisme pour ces éléments) la dimension psychologique du changement selon les types de personnalités (dont bases sont préférences psychologiques de Jung). Certains vont avoir beaucoup de facilités à aller vers le nouveau (extravertis en général), d'autres vont rester dans la résistance s'ils ne sont pas impliqué très tôt en amont (les introvertis-sentiments, par exemple). Donc la gestion du changement doit anticiper aussi les types de personnalités des collaborateurs en plus des changements pour chacun. Merci !

Cyril BOURGEOIS

STELLANTIS - Relations Sociales et Emploi

8 ans

Merci pour ce très bon article, pour l'illustrer avec deux citations : il n'existe rien de constant si ce n'est le changement. Gandhi ; les espè ces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements. Darwin

Hassan Ahssakou

CBO Développeur - Transmetteur - Engagé

8 ans

Merci pour cet excellent article!

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