Plaidoyer contre l'ignorance : quel avenir pour une humanité sous assistance artificielle ?

Plaidoyer contre l'ignorance : quel avenir pour une humanité sous assistance artificielle ?

Je ne suis pas en guerre contre la technologie. Loin de là ! Je suis même un technophile passionné qui suit avec intérêt l'évolution de tous les domaines de la science en général, et des technologies numériques en particulier. L'explosion de l'intelligence artificielle, cristallisée par le lancement de ChatGPT-4, m'amène pourtant à me poser de nombreuses questions sur les conséquences de la démocratisation de ce que l'on considère comme l'avenir du monde.

               Cet article est un pamphlet, un discours qui pointe du doigt les risques inhérents à l'adoption irréfléchie d'une technologie qu'on n'a pas pris le temps d'apprendre et d'analyser. À la différence d'un médicament ou d'un appareil qui a passé de nombreuses phases de test, l'IA a été "balancée" au milieu de l'univers Internet pour permettre à chacun de s'en servir à qui mieux mieux. Ce lancement en trombe est essentiel pour le modèle économique des géants, puisqu'il permet de multiplier rapidement le nombre d'abonnés à leurs services.

               Si vous avez le temps de me lire, je prendrai le temps de vous présenter mon analyse sur les conséquences néfastes qu'entraîneront l'usage abusif de l'intelligence artificiel dans les domaines où il est accessible. J'assume ici revêtir le costume de Cassandre, mais une goutte d'eau dans l'océan peut parfois changer les choses.

Comment fonctionne l'intelligence artificielle ?

Dans les publicités et les contenus sponsorisés, l'IA est souvent personnifiée par une représentation anthropomorphe, c'est-à-dire qui adopte une forme humaine ou humanoïde. Cette personnalisation a pour objectif de rassurer les consommateurs cibles. En réalité, l'IA est constituée de millions de lignes de code où s'enchaînent les lettres, les chiffres et les symboles. Sa fonction est de générer automatiquement (c'est-à-dire sans intervention humaine) et rapidement (généralement en quelques secondes) des contenus textuels, visuels ou techniques qui pourront servir à l'usager dans son travail, ses études ou son loisir. Son objectif est de simuler et/ou d'imiter l'humain en se basant sur le deep learning ou apprentissage profond. On parle aujourd'hui d'hyperparamètres pour tenter d'imiter le raisonnement humain, et le processus est en partie réussi.

               Dans de nombreux domaines, l'amélioration apportée par les fonctions d'intelligence artificielle a considérablement amélioré le quotidien des bénéficiaires. La collecte des données météorologiques grâce aux algorithmes affine ainsi la qualité des prévisions à court terme. Les personnes handicapées maîtrisent leur voiture plus facilement grâce à la conduite autonome. De même, la collecte des données se fait en quasi-temps réel pour une analyse plus fine des stratégies commerciales à adopter.

               Là où l'intelligence artificielle est le plus menaçante, c'est dans les domaines créatifs comme l'art graphique, l'infographie, la littérature et la production de contenus web. En quelques secondes en effet, les ChatGPT, Google Bard, MidJourney et autres Jasper réalisent en effet ce qu'un humain mettra parfois plusieurs semaines à écrire. De nombreux étudiants n'ont ainsi pas résisté à la tentation de rédiger un exposé ou un examen à l'aide des outils conversationnels. Le résultat semble de premier abord bluffant d'efficacité et c'est bien sur cela que les utilisateurs tablent. La création d'un logo ne prend désormais qu'une à deux minutes avec la bonne demande, le fameux prompt.

               En quoi l'IA est-elle donc si mauvaise et dangereuse si elle optimise la productivité. Je prendrai le temps de vous expliquer cela en détail ci-après.


L'intelligence artificielle détruit le processus créatif humain

L'art, les connaissances et le raisonnement son des héritages antédiluviens. Des millénaires d'histoire ont permis à l'Humanité d'aboutir à un processus créatif aussi profond que diversifié. De Le Brun à Matisse en passant par Molière et Tom Clancy, les créatifs ont usé leur neurone pour aboutir à une série d'œuvres qui ne font jamais l'unanimité, mais qui sont néanmoins largement appréciées.

Le pendant de la création est la pensée critique, qui peut être simple ou spécialisée. Cette forme de commentaire sur les créations manifeste également la créativité humaine.

Et la créativité s'entretient, se nourrit d'un long processus d'essais et d'échecs avant d'aboutir à un résultat présentable à l'ensemble du public.

Au quotidien, la créativité se fait plus discrète, mais tout aussi primordiale. Une présentation qui se passe bien résulte d'un fichier PowerPoint pensé dans ses moindres détails. Un appel d'offres réussi doit en partie son succès à son rédacteur.

Aujourd'hui, il est bien plus facile et très tentant de gagner du temps et de laisser aux oubliettes le processus cognitif lié à la création. Quelques secondes à quelques minutes suffisent en effet pour créer tous les contenus utiles au monde professionnel, mais aussi éducatif. Même l'art use aujourd'hui de ce nouvel outil spectaculaire. On peut rédiger une dissertation acceptable en 3 secondes sur ChatGPT. MidJourney crée un tableau abstrait qui associe le style de Picasso et la nature malgache en une minute. Il sera même possible d'écrire un scénario de film ou un livre en entier pour peu que l'on donne les bons prompts, ces quelques lignes communiquées en guise d'ordre.

Le 15 mai 2023, le sénateur démocrate américain Richard Blumenthal a fait écouter à son auditoire un discours qui reprend sa voix et son style, mais qui a entièrement été modelé par ChatGPT. Le résultat a tout simplement été bluffant. Précédemment, des photos du Pape François en manteau Balanciaga et d'Emmanuel Macron en éboueur ont largement circulé. Cela prouve la toute-puissance des outils comme Midjourney, une IA destinée à la "création d'images" à partir de textes.

Entre création à visée productive et mensonge à visée destructrice, l'IA ne fait pas de différence. Les consciences de l'IA sont des petites mains bien humaines qui travaillent dans des centres de traitement de données basées dans des pays pauvres comme Madagascar, le Bangladesh ou le Kenya. Contre un salaire de misère, les opérateurs modèrent l'extrémisme des utilisateurs, mais l'immense volume des demandes ne peut bien évidemment pas être intégralement traité. D'ici peu, il sera encore plus facile qu'aujourd'hui de répandre la haine et les messages fallacieux.

On me croira bien volontiers arriéré ou désuet, mais j'ai une crainte justifiée à l'encontre de ce raccourci trop accessible que constitue le bouton "Generate" (générer tdlr). Tout le processus cognitif lié à la création est donc remplacé par un simple clic. Autant l'informatique a déployé l'aile de la connaissance pour le rendre aussi accessible que possible, autant l'IA risque de l'éliminer. Même les plus paresseux pourront paraître sous un jour parfait en présentant des œuvres qui ne sont finalement pas les leurs. On pourra augmenter la puissance des algorithmes aussi longtemps que possible. Un jour, le temps arrivera où l'on aura besoin du cerveau humain, mais celui-ci n'aura plus la force de penser, tant il a été habitué à être assisté artificiellement.

La pensée humaine : un choix éclairé pour notre avenir

               L'enthousiasme que suscite l'intelligence artificielle est tout à fait compréhensible, mais on n'a pas pris la mesure pleine et entière de sa conséquence sur l'avenir de l'Humanité, et plus particulièrement des jeunes qui en usent et en abusent sans trop réfléchir (à quoi bon d'ailleurs dira-t-on, il y a l'IA). Il ne s'agit pas ici d'une technologie qui remplace une autre, comme la photo numérique qui a supplanté l'argentique ou l'écran plat qui a remplacé les tubes cathodiques. Aujourd'hui, il s'agit ni plus ni moins de confier notre réflexion à des algorithmes. On a juste l'idée de base. Le reste, on n'en a cure. Les puissants processeurs peuvent bien prendre la place de nos neurones. On n'aura même plus la possibilité ni la volonté d'apporter une critique constructive aux "œuvres" de l'IA.

               Un cerveau trop bien reposé n'aura malheureusement pas le temps et la capacité de se développer, de développer l'esprit critique et d'améliorer les capacités créatives. Voilà donc le monde qui nous attend, plus rapide peut-être, mais de plus en plus abruti. La génération D pointe son nez. Le D est pour Dumbass qui signifie Débile dans la langue de Shakespeare.

               Ce n'est point une insulte de croire que la prochaine génération sera totalement débile si elle use et abuse de l'intelligence artificielle. Il ne faut pas oublier que l'IA se base sur la technologie du deep learning. Elle construit ses compositions sur la base des données disponibles actuellement sur Internet. Actuellement, les contenus du web sont pour l'immense majorité des productions humaines. Mais lorsque les contenus produits artificiellement remplaceront petit à petit ceux qui ont sollicité la créativité humaine, les ChatGPT et autres Google Bard commenceront à s'autoalimenter, avec les conséquences que cela présuppose. Le cercle ainsi créé n'est en aucun cas vertueux. Il sera vicieux et annihilateur. Car on le répète, l'IA n'a ni conscience ni valeur morale qui comptent parmi les fondements de la pensée humaine. Je vous laisse imaginer la suite.

               Je plaide pour la poursuite d'une utilisation totale de la pensée humaine pour la création du patrimoine intellectuel. Je ne vais pas me contenter de la facilité. J'apprendrai également à mes enfants, non pas d'ignorer l'IA, mais de prioriser leur propre pensée pour réfléchir et produire. À l'examen comme au travail, je les encouragerai vivement à éviter la voie de la facilité et de la paresse intellectuelle. Lorsqu'une bonne partie de leur génération sera engluée dans cette débilité inhérente à l'abus de l'IA, leur intellect constituera alors une immense valeur ajoutée.

               La connaissance et la créativité seront les prochains lingots d'or que l'on recherchera lorsque la génération D se rendra compte qu'il ne connaît rien et que l'IA au final ne crée pas, mais se contente de compiler. On se rend finalement compte que l'esprit humain a une fin.

               Misez sur l'avenir, continuez à réfléchir et à créer. Utilisez l'IA avec parcimonie et intelligence. Je comprends tout à fait ces entreprises qui évitent de succomber au son de la sirène IA, mais on ne saura sacrifier l'avenir au nom de la productivité à outrance.

               Réfléchir est un exercice difficile, mais c'est la base même de notre raison d'être.

Image par Seanbatty de Pixabay

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