[PLF pour 2019] : les nouvelles règles en matière de déductibilité des charges financières
Le 24 septembre 2018 a été présenté, en Conseil des ministres, le projet de loi de finances pour 2019. Le même jour, le projet a été déposé au Parlement sous le numéro 1255.
Parmi les changements importants apportés aux régimes existants se trouvent ceux relatifs au mécanisme de déductibilité des charges financières (article 13 du PLF pour 2019).
Motifs
La réforme de la déduction des charges financières a pour fondement la directive européenne du 12 juillet 2016 n°2016/1164 dite « ATAD » (anti-tax avoidance directive) visant à lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. Les objectifs poursuivis par le législateur sont les suivants :
- préserver la capacité de déduction des charges financières des petites et moyennes entreprises ;
- mettre fin à certains effets pro-cycliques de la règle de plafonnement en fonction de l’EBITDA ;
- restreindre plus fortement la déductibilité des charges financières pour les entreprises sous-capitalisées.
Rappel du régime applicable
Jusqu’à présent, cinq règles interviennent en matière de déductibilité des charges financières (hors groupes intégrés) : trois concernent la déductibilité des intérêts servis à des entreprises liées et deux sont relatives aux charges financières entendues largement.
a - La déductibilité des intérêts
Dès lors qu’une entreprise emprunte de l’argent auprès d’une entreprise liée, associée (1) ou non, la déduction des intérêts versés en rémunération de ce prêt n’est pas assurée en matière fiscale.
Mécanisme du calcul des « intérêts excédentaires »
En vertu de l’article 212, I-a du CGI, les intérêts servis par une entreprise à une entreprise liée, à titre de rémunération de la somme qu’elle lui a laissée ou mise à disposition, ne sont déductibles que dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans (article 39, 1-3° du CGI).
Toutefois, si cette limite est inférieure à celle constituée par les intérêts calculés d’après le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir auprès d’établissements ou d’organismes financiers indépendants, alors les intérêts servis par cette entreprise à son entreprise liée sont déductibles à hauteur de cette seconde limite.
Règle de l’imposition minimale
En application de l’article 212, I-b du CGI, la déductibilité des intérêts est également soumise à la condition que, au titre de l’exercice en question, l’entreprise prêteuse étrangère soit assujettie, à raison des intérêts versés par l’entreprise emprunteuse, à une imposition minimale égale au quart de l’impôt sur les bénéfices français.
Mécanisme de la sous-capitalisation
Une entreprise est considérée comme sous-capitalisée dès lors que les trois situations suivantes sont avérées (article 212, II du CGI) :
- les avances obtenues auprès d’entreprises liées excèdent une limite fixée à une fois et demie le montant des capitaux propres de l’entreprise emprunteuse (ratio d’endettement) ;
- le montant des intérêts versés par l’entreprise emprunteuse dépasse le seuil de 25% du résultat courant avant impôts corrigé de certains postes (ratio de couverture d’intérêts) ;
- le montant des intérêts versés par l’entreprise emprunteuse à des entreprises liées excède le montant des intérêts reçus de ces mêmes entreprises (ratio d’intérêts servis par des entreprises liées).
L’amendement MARINI a étendu le champ des intérêts devant être pris en compte pour l’application du mécanisme de la sous-capitalisation. En effet, doivent aussi être pris en considération les intérêts rémunérant des prêts souscrits par l’entreprise emprunteuse auprès d’une entreprise tierce mais dont le remboursement est garanti par une entreprise qui lui est liée.
La différence entre le montant des intérêts dus aux entreprises liées et le plus élevé des trois ratios correspond aux intérêts non admis en déductibilité et constitue le stock d’intérêts différés pouvant faire l’objet d’une déduction au titre des exercices ultérieurs (2).
Toutefois, ces intérêts restent fiscalement déductibles dès lors que leur montant est inférieur ou égal à 150 000€. Par ailleurs, le mécanisme de la sous-capitalisation ne trouve pas non plus à s’appliquer lorsque l’entreprise emprunteuse démontre que son endettement global est inférieur ou égal à celui du groupe consolidé auquel elle appartient (ratio consolidé).
b - La déductibilité des charges financières
Si les intérêts versés par une entreprise à des entreprises liées à titre de rémunération des sommes mises ou laissées à sa disposition font partie des charges financières, ils n’en constituent pas pour autant l’intégralité. Aussi, s’ajoutent aux mécanismes limitant la déduction des intérêts servis à des entreprises liées, deux mécanismes limitant, cette fois, la déduction des charges financières entendues plus largement.
Amendement CARREZ
Les charges financières afférentes à l’acquisition de titres de participation sont intégralement déductibles à condition que l’entreprise acquéreuse puisse démontrer que les décisions relatives à ces titres ainsi que le contrôle ou l’influence exercée, le cas échéant, sur celle-ci, sont effectivement prises et exercées par elle ou par une société appartenant au même groupe économique (article 209, IX du CGI).
Mécanisme du rabot
Enfin, il existe un dispositif de plafonnement global des charges financières selon lequel une entreprise ayant un montant de charges financières nettes d’au moins 3 000 000€ (3) ne peut déduire que 75% du montant total desdites charges (article 212 bis du CGI).
Les charges financières nettes s’entendent des charges financières de l’exercice auxquelles ont été soustraits les produits financiers dudit exercice. Qu’il s’agisse des charges ou des produits financiers, ne sont pris en compte, dans le cadre du mécanisme du rabot, que ceux qui viennent rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition.
Aussi, sont notamment pris en compte les charges et produits financiers suivants :
- les charges afférentes à la rémunération des prêts consentis à l’entreprise ;
- les charges afférentes à des escomptes bancaires ;
- les revenus et charges afférents aux emprunts obligataires ;
- les avances en comptes courants d’associé.
En revanche, sont notamment exclus les charges et produits financiers suivants :
- les gains et charges nettes sur cessions de valeurs mobilières de placement ;
- les escomptes commerciaux ;
- les pénalités pour paiement tardif ;
- les pertes sur créances liées à participation ;
- les gains et pertes de change ;
- les primes d’assurance ;
- les frais de dossier ;
- les commissions d’intermédiaires ;
- les dividendes et revenus distribués.
Quel que soit le mécanisme envisagé ci-dessus et ce, tant pour les intérêts servis à des entreprises liées que pour les charges financières entendues plus largement, la fraction des charges financières à rapporter au résultat de l’exercice est calculée sous déduction de celles déjà réintégrées en raison de l’application des autres mécanismes.
Le nouveau mécanisme prévu à l’article 13 du projet de loi de finances pour 2019
L’article 13 du PLF pour 2019 remet à plat toutes les règles existantes en la matière : certaines sont supprimées, d’autres sont aménagées, mais l’esprit reste le même.
Dans cet article, nous présentons le mécanisme de déductibilité des charges financières tel qu’il résulte du PLF pour 2019 présenté en Conseil des ministres, à jour des amendements adoptés jusqu’au 23 octobre 2018. Des modifications peuvent donc encore intervenir jusqu’à son adoption définitive.
Le déroulé de notre synthèse fait par ailleurs état de l’ordre d’application des différentes mesures composant ce nouveau mécanisme de déductibilité des charges financières.
1. La détermination de la règle applicable (article 212 bis, I ou V du CGI)
L’article 13 du PLF dispose la création de deux plafonds de déduction des charges financières nettes. Le premier limite la déduction de ces dernières à hauteur du plus élevé des deux montants suivants, 3 000 000€ ou 30% de l’EBITDA fiscal (article 212 bis, I du CGI). Le second prévoit quant à lui un plafond réduit, limitant la déduction des charges financières nettes à hauteur de 1 000 000€ ou, s’il lui est supérieur, de 10% de l’EBITDA fiscal (article 212 bis V du CGI). Ce durcissement de la règle de droit commun s’explique par une volonté perpétuelle du législateur de restreindre les situations de sous-capitalisation.
Afin de déterminer le plafond applicable, le contribuable doit d’abord s’interroger sur l’existence d’intérêts versés à des entreprises liées.
- En cas de réponse négative, le plafond applicable est celui prévu au I de l’article 212 bis du CGI.
- En cas de réponse positive, deux étapes distinctes doivent être réalisées.
Tout d’abord, le contribuable applique les dispositions existantes de l’article 212, I-a et b du CGI, telles que précédemment décrites, afin de déterminer la fraction des intérêts servis à des entreprises liées déductible. L’autre partie devra être réintégrée extra-comptablement (mécanisme du calcul des « intérêts excédentaires »).
Ensuite, le contribuable repart du montant total des intérêts servis à des entreprises liées et effectue des retraitements pour déterminer un nouveau montant d’intérêts déductibles ; ce montant servant cette fois-ci, non pas à connaître la somme des intérêts à réintégrer, mais le plafond applicable.
Les retraitements à réaliser, prévus à l’article 212 bis, V-2° du CGI, tel que rédigé à l’article 13 du PLF pour 2019, reprennent les règles actuelles (article 212,II-2-2° du CGI, commenté au BOI-IS-BASE-35-20-30-10). Ainsi, les intérêts servis à des entreprises liées par une entreprise centralisatrice en vertu d’une convention de centralisation automatique de trésorerie intragroupe, ou ceux versés à des entreprises liées afin de rémunérer les sommes ayant servi à acquérir un bien donné en location dans le cadre d’un contrat de crédit-bail, ne sont pas pris en compte dans le montant des intérêts servis par une entreprise à l’ensemble des entreprises qui lui sont liées directement ou indirectement. De même, ne sont pas inclus les intérêts dus par les établissements de crédit ou les sociétés de financement mentionnés à l’article L 511-1 du Code monétaire et financier.
Une fois ces différents retraitements effectués, les dispositions des I-a et b de l’article 212 du CGI doivent de nouveau être appliquées. Le montant des intérêts déductibles ainsi obtenu (a) doit être comparé au calcul suivant (b) :
Montant des intérêts déductibles retraités * [1,5 * fonds propres de l'entreprise / Montant moyen des sommes mises à disposition de l'entreprise]
Si a > b, l’entreprise emprunteuse est considérée comme étant sous-capitalisée. Le plafond réduit de l’article 212 bis, V du CGI est alors applicable.
Par exception et ce, en vertu d’un amendement adopté le 7 octobre 2018, l’entreprise faisant partie d’un groupe consolidé applique le plafond de l’article 212 bis, I du CGI dès lors que le rapport entre le montant total de ses dettes et celui de ses fonds propres, appelé ratio d’endettement, est supérieur au ratio d’endettement du groupe consolidé. Par cet amendement a donc été rétablie la clause de sauvegarde, aussi appelée « ratio consolidé ».
Si a < b, alors le plafond de l’article 212 bis, I du CGI est applicable.
Le terme de « fonds propres » auquel fait référence l’article 13 du PLF pour 2019, reprenant ainsi la directive « ATAD », se substitue à celui de capitaux propres utilisés jusqu’à présent. Or, les conceptions française et européenne divergent en la matière. Le droit de l’Union européenne ne reprend pas, en effet, dans sa définition des fonds propres, les spécificités françaises que sont les subventions d’investissement et les provisions réglementées. Au contraire, il limite sa conception à la définition française des capitaux propres. Par ailleurs, le mécanisme introduit par le PLF pour 2019 aligne la réglementation française sur celle allemande qui, elle, se base également sur la notion de capitaux propres. Il semblerait donc que, malgré ce changement terminologique, les éléments de calcul restent les mêmes. Toutefois, afin de conforter cette hypothèse, il apparaît nécessaire d’attendre les commentaires de l’administration sur le sujet.
2. La détermination des charges financières nettes
Les charges financières nettes sont déterminées, en vertu de l’article 212 bis, III du CGI, de la manière suivante :
charges financières admises - intérêts non déductibles - produits financiers admis
L’article 212 bis, III du CGI reprend la définition actuelle des charges et produits financiers, à savoir qu’ils correspondent aux intérêts des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise ou par l’entreprise.
Ces dispositions sont complétées par une liste non exhaustive d’opérations à prendre en considération au titre de cette définition (article 212 bis, III-2 j) du CGI). Celle-ci inclut désormais les frais de dossier liés à la dette, ainsi que les gains et pertes de change relatifs à des prêts, des emprunts et des instruments liés à des financements.
Un amendement adopté le 7 octobre 2018 a créé un alinéa 3 reprenant les exclusions prévues à l’article 212 bis actuel du CGI. Sont visés les intérêts afférents à des projets d’infrastructures publiques de long terme.
3. Le calcul de l'EBITDA fiscal
L’EBITDA fiscal doit uniquement être calculé dans l’hypothèse où l’entreprise présente, en fonction du plafond applicable, plus de 1 000 000€ ou de 3 000 000€ de charges financières nettes. Dans le cas contraire, peu importe le montant de l’EBITDA fiscal, la totalité des charges financières nettes est déductible.
Afin de déterminer l’EBITDA fiscal, le calcul suivant doit être effectué (article 212 bis, II du CGI) :
résultat fiscal (4) + charges financières nettes + (pertes - gains) (5) + amortissements déductibles nets + provisions pour dépréciation nettes
- Dans le cas où le plafond de l’article 212 bis, V du CGI est applicable, l’entreprise doit comparer le seuil de 1 000 000€ à 10% de son EBITDA fiscal. Les charges financières nettes sont déductibles à hauteur du plus élevé de ces deux montants.
- De même, dans le cas où le plafond de l’article 212 bis I du CGI est applicable, les charges financières nettes sont déductibles à hauteur du plus élevé des deux montants suivants, 3 000 000€ ou 30% de l’EBITDA fiscal.
4. Le complément de déduction admis en cas de groupe consolidé
L’article 212 bis, IV du CGI prévoit un mécanisme complémentaire de déduction des charges financières nettes qui n’ont pas pu être déduites en application du I. Cet avantage est exclu en cas d’application du plafond réduit du V et est réservé aux sociétés membres d’un groupe consolidé, entendu au sens comptable.
Cette déduction supplémentaire, à hauteur de 75% des charges financières nettes non admises en déduction, est possible lorsque le ratio obtenu en divisant les fonds propres de l’entreprise par ses actifs est supérieur (ou égal) à ce même ratio réalisé au niveau du groupe consolidé.
Toutefois, lorsque le ratio de la société est inférieur au ratio du groupe de deux points de pourcentage au maximum alors les deux sont considérés comme égaux ; la déduction supplémentaire est alors possible.
Il est par ailleurs à noter que l’évaluation des biens, tout comme la caractérisation de la consolidation comptable, doit répondre aux conditions présentées dans le Code de commerce aux articles L 233-18 et L 233-24.
5. Le sort du stock de charges financières nettes différées
Les charges financières nettes finalement non admises en déduction au titre des I, IV et V de l’article 212 bis du CGI constituent un stock de charges financières nettes pouvant être déduit lors des exercices postérieurs (article 212 bis, VI 1 et 2 du CGI). Contrairement au mécanisme actuel, aucune décote n'a été prévue à compter de la deuxième année de report.
Le montant du stock déductible au titre d'un exercice est déterminé d’après le calcul suivant
plafond de déductibilité de l’exercice en cours (6) - charges financières nettes déjà déduites au titre dudit exercice
Par ailleurs, lorsque le montant (potentiel) de stock déductible calculé par la société au titre d'un exercice est supérieur au montant effectif total du stock de charges financières nettes différées, il existe une capacité de déduction non utilisée au titre dudit exercice. Cette capacité de déduction inemployée peut être utilisée au titre des cinq exercices suivants pour déduire du résultat de ces exercices le montant des charges financières nettes non admises en déduction après application des I, IV et V de l'article 212 bis du CGI. Toutefois, cette capacité de déduction ne peut pas servir à déduire des charges financières nettes différées.
Etat des suppressions des dispositifs en vigueur
L’article 13 du PLF pour 2019 abroge les dispositions des II et III de l’article 212 du CGI et celles de l’article 209, IX du même code. Il en résulte la suppression des règles relatives à la sous-capitalisation, dont font partie l’amendement MARINI et le ratio consolidé, ainsi qu’à l’amendement CARREZ.
D’autres mécanismes ont également été modifiés mais sont relatifs au mécanisme de déduction des charges financières nettes dans les groupes intégrés fiscalement.
Mme Ludivine Merino et M. Alexandre Revy
(1) Les intérêts servis à un associé sont fiscalement déductibles à condition que le capital ait été entièrement libéré et, dans la limite d’un taux d’intérêt plafond prévu à l’article 39, 1-3° du CGI.
(2) La fraction des intérêts réintégrés au titre d’un exercice peut être déduite lors des exercices ultérieurs dans la limite du seuil de 25% du résultat courant avant impôts corrigé, diminué du montant des intérêts admis en déduction au titre de l’exercice en cause. Cependant, à compter de la deuxième année de report, une décote annuelle de 5% s’applique à cette fraction d’intérêts différés.
(3) Pour apprécier ce seuil, le montant des charges financières nettes n'est pas diminué du montant des charges financières non déductibles en application des autres mécanismes de limitation de la déductibilité des charges financières.
(4) Le résultat fiscal s’entend du résultat fiscal soumis à l’IS avant imputation des déficits. Il tient compte des déductions pour l’assiette de l’impôt et des abattements déduits pour cette même assiette.
(5) Pertes et gains soumis aux taux du I et IV de l’article 219 du CGI.
(6) En application des I, IV et V de l’article 212 bis du CGI.
Contract Advisor at STMicroelectronics & Mum & MumContact pour Supermamans France
6 ansArticle très intéressant ! Merci pour ces éclaircissements ☺️