Pollution de l’air… l’Union Européenne ne protège pas assez la santé des citoyens

Pollution de l’air… l’Union Européenne ne protège pas assez la santé des citoyens

Source : Pollution de l’air… l’Union Européenne ne protège pas assez la santé des citoyens

LE MONDE N ° 22913| Publié Mardi 11/09/2018 à 10h30 ; Mis à jour Mardi 11/09/2018 à 14h53 ; édité Mercredi 12 septembre 2018|

https://www.lemonde.fr/pollution/article/2018/09/11/pollution-de-l-air-l-alerte-de-la-cour-des-comptes-europeenne_5353349_1652666.html

 Par Stéphane Mandard,

Dans un rapport inédit, la Cour des comptes européenne formule une série de recommandations à la Commission européenne. Selon ce rapport inédit de la Cour des comptes européenne, la santé des citoyens européens n’est pas assez protégée.

« La santé des citoyens européens reste insuffisamment protégée ». L’alerte n’émane pas d’une énième étude scientifique. Elle provient, c’est inédit, de la Cour des comptes européenne (CCE) qui publie Mardi 11 Septembre 2018 son premier rapport consacré à la pollution de l’air. Et son constat est sévère. Dans un document d’une cinquantaine de pages, l’institution gardienne des finances de l’Union Européenne (UE) taille en pièces la politique communautaire face au « plus grand risque environnemental pour la santé des Européens » et formule une série de recommandations à la Commission européenne.

La pollution de l’air est responsable chaque année de 400 000 morts prématurées dans l’Union Européenne, dont 48 000 morts prématurés en France, et de « centaines de milliards d’euros de coûts de santé chaque année en Europe », rappelle la CCE. « Ces importants coûts humains et économiques n’ont toujours pas été pris en compte dans l’élaboration d’une action adéquate dans l’ensemble de l’Union », déplorent les rapporteurs. Tout est à revoir, ou presque.

Des normes « très peu exigeantes » et « beaucoup plus faibles » que les lignes directrices de l’OMS

Pierre angulaire des politiques européennes, la directive de 2008 sur la qualité de l’air a besoin d’une urgente et « ambitieuse mise à jour ». Les normes sur lesquelles elle se fonde datent de quinze, voire vingt ans, et ne prennent donc pas en compte les dernières données scientifiques et médicales. Certaines, relève le rapport, sont « très peu exigeantes » et « beaucoup plus faibles » que les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ainsi du dioxyde de soufre (SO2), dont la limite d’exposition quotidienne fixée par l’Union Européenne (125 µg/m3) est plus de six fois supérieure à celle de l’OMS (20 µg/m3). Ce différentiel explique, selon le rapport, pourquoi Bruxelles a engagé des actions contre un seul État, la Bulgarie, pour des dépassements, alors que 20 % des citadins de l’Union Européenne sont exposés à des concentrations de SO2 supérieures aux normes de l’OMS.

Pour les particules fines PM10 (de diamètre inférieur à 10 µm), le seuil annuel (40 µg/m3) est le double de celui de l’OMS. L’écart est encore plus important pour les PM 2,5 (particules fines inférieures de diamètre inférieur à 2,5 µm) : 25 µg/m3 contre (10 µg/m3). Pourtant considérées comme les plus dangereuses car leur très petite taille leur permet de pénétrer plus profondément dans les voies respiratoires, les PM 2,5 ne font l’objet d’aucune limité d’exposition journalière, quand l’OMS fixe un seuil de 25 µg/m3 à ne pas dépasser sur vingt-quatre heures, s’étonnent les rapporteurs.

Processus « trop lent »

Il recommande ainsi à la Commission européenne d’adopter des limites beaucoup plus « strictes » en les alignant, d’ici à 2022, sur celles de l’OMS. En 2013, l’institution internationale avait enjoint à la Commission de Bruxelles de durcir ses normes sur la base de nouvelles preuves scientifiques quant à l’impact de la pollution de l’air sur la santé. Ces préconisations n’ont conduit à « aucun changement », juge la CCE.

Tout aussi inquiétant, les rapporteurs de la Cour des comptes européenne estiment que les niveaux de pollution de l’air auxquels sont confrontés les Européens sont sans doute « sous-estimés ». Pour parvenir à cette conclusion, ils ont vérifié, sur le terrain, comment étaient mesurés différents gaz réglementés dans six villes : Bruxelles (Belgique), Stuttgart (Allemagne) ; Milan (Italie), Cracovie (Pologne), Sofia (Bulgarie) et Ostrava (République tchèque). Résultat ? Ils ne sont pas toujours surveillés au bon endroit. Ainsi, la capitale belge n’a que deux stations qui mesurent la pollution issue du trafic automobile. À Sofia, malgré la présence de nombreuses usines et de centrales électriques, aucune station ne détecte spécifiquement la pollution d’origine industrielle.

Autre découverte, « des niveaux élevés de pollution ne sont pas inclus dans les données officielles ». À Bruxelles, la station qui enregistrait des niveaux record en dioxyde d’azote (NO2), gaz très toxique issu principalement des véhicules diesel, a été fermée pendant sept ans. À Ostrava, c’est une station où les limites en particules fines étaient dépassées 98 jours par an qui ne transmet plus de données à la Commission européenne.

Le rapport de la Cour des comptes européenne souligne de façon plus globale l’incapacité de Bruxelles à faire respecter sa directive sur la qualité de l’air. En Mai 2018, la Commission a certes renvoyé devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) six pays, dont la France, pour non-respect des normes de NO2 ou de PM 10. Mais il aura fallu entre six et huit ans pour que la Commission européenne passe de l’étape de l’avertissement à la saisine de la CJUE, et plusieurs années seront encore nécessaires avant d’aboutir à d’hypothétiques sanctions financières. « Processus trop lent », jugent les rapporteurs qui rappellent que, pendant ces longues années de procédures, « les États membres continuent à violer fréquemment les normes de qualité de l’air ».

Dans son bras de fer avec les États cancres, le Commissaire européen à l’environnement avait exigé des « plans d’action » avec des mesures « concrètes ». En échange, la Commission européenne reçoit « des centaines de plans de qualité de l’air à examiner ». Les rapporteurs ont passé au crible ces plans. Et, là aussi, leur jugement est implacable : « insuffisants », « pas ciblés », « pas budgétés », « pas concertés entre les autorités locales et nationales » …

Les fonds européens alloués principalement à travers le programme Life, sont utiles mais « pas toujours bien ciblés ». Ainsi, à Sofia, toujours, ces fonds ne bénéficient pas à des projets s’attaquant au chauffage individuel, pourtant la principale source d’émission de particules.

Le montant global des fonds consacrés à la qualité de l’air a progressé de 880 millions d’euros pour la période 2007-2013 à 1,8 milliard pour 2014-2020. Mais il représente toujours « moins de 1 % des fonds de cohésion de l’Union européenne », soulignent les rapporteurs. Ils recommandent à la Commission européenne de faire de la lutte contre la pollution atmosphérique une « priorité » dans l’ensemble des politiques européennes : énergie, transports, industrie, agriculture… La CCE relève ainsi que les émissions d’ammoniac, un précurseur des particules fines, dont l’agriculture est responsable à 94 %, augmentent depuis 2012. Elle souligne également que si les normes Euro dans l’industrie automobile ont permis d’abaisser les émissions de CO2, elles ont « échoué à réduire les émissions d’oxydes d’azote », trois ans après le scandale du « dieselgate ».

La Cour des comptes européenne conclut que l’action de l’Union Européenne pour protéger la santé des citoyens européens de la pollution de l’air « n’a pas eu l’impact escompté ». Ce n’est pas l’avis de la Commission européenne. Dans sa réponse au rapport, la Commission européenne estime que la directive de 2008 a permis « des améliorations » et précise qu’elle est elle-même en train de « réviser » ladite directive. La Commission européenne accueille toutefois les recommandations des rapporteurs comme « une contribution importante ». reste à savoir si elle sera suivie d’effets.

Par STÉPHANE MANDARD



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