Pour un Covid-19 mutant en épidémie de changement
A l’échelle mondiale, la lutte contre la propagation du virus Corona prend diverses formes. Outre les différents choix de lutte proprement médicaux, différentes options de mobilisation, de sensibilisation, d’implication et de prise en charge sont adoptées.
Le premier constat que l’on puisse faire, est que cette pandémie a mis l’humanité toute entière face aux inepties souvent irréparables de ses choix de société dictés par l’avidité effrénée pour l’enrichissement sans vergogne, le massacre acharné des composantes vitales de la nature, mers-terre-air : déforestation accrue, surexploitation agricole à coup d’OGM, pesticides, hormones, usage démesuré des ressources d’eau et pollution multiforme pour ne citer que ces actes ravageurs.
Le deuxième constat c’est que le niveau d'efficacité de lutte contre le virus Corona est certainement corrélé à celui de la préparation préalable des différents pays à ce genre d’épidémie. En effet, il n’est pas compliqué de constater que pour certains Etats la lutte contre les catastrophes naturelles ou autres se concrétise par de véritables axes stratégiques de développement qui se déclinent en plans d’action opérationnels en cas d’avènement desdites catastrophes. Ils ne sont pas fortuits : ce sont des choix politiques intégrés dans une approche globale de gouvernance. Conséquemment, des objectifs sont fixés, et des moyens sont mis en place car peut-on parler d’objectifs sans moyens appropriés humains, financiers et logistiques ? Les chinois n’ont pas créé en deux mois seulement les robots testeurs de masse, accueillant élégamment les patients et effectuant efficacement des services médicaux complexes ainsi que tous les autres objets intelligents connectés interagissant et dispensant l’homme de tâches dures, risquées et coûteuses.
Sur cette toile de fond peu réjouissante, il serait indélicat de ne pas donner à ce propos une portée suggestive contribuant, autant que faire ce peut, à une réflexion globale multidimensionnelle qui se déclenche dans notre pays. Cette contribution sera articulée autour de deux axes distincts mais foncièrement complémentaires :
□ Comment peut-on mieux concevoir ensemble notre devenir
□ Pas de stratégie de développement sans trilogie intégrée enseignement- écologie-santé.
1- Comment peut-on mieux concevoir ensemble notre devenir
C’est une Lapalissade de nos jours que d’affirmer que la réflexion, notamment stratégique doit présider à toute initiative quelle que soit sa dimension. Malheureusement, ce sont les méthodes efficaces de réflexion qui font défaut dans nos organisations publiques et privées tous secteurs confondus. Lorsqu’on a la chance de constater que dans certaines institutions la réflexion n’est pas considérée comme un temps perdu, il n’en reste pas moins que cette activité ne bénéficie point de l’intérêt, des efforts et des moyens pour que ses effets soient optimisés. C’est une réalité avouée par les dirigeants et les gouvernants eux-mêmes. Les fausses bonnes raisons à cela sont multiples et peuvent tourner autour des contraintes d’organisation, du déficit de savoirs spécifiques, du manque de compétences forgées dans les domaines du management et des moyens financiers suffisants. Mais, les raisons réelles sont en fait inhérentes aux résistances au changement. Les paradigmes du chef qui décrète et ordonne, et conséquemment la hiérarchisation et la verticalité accrue des organigrammes empêchent l’adoption de systèmes de management novateurs. Des sommes colossales d’argent sont gaspillées dans les actions de formation sur des thèmes nouveaux, certes fort utiles, mais dont l’efficacité est biaisée par des conceptions désuètes du management déclinées en systèmes et processus rigides et bloquants. Cette réalité affecte non seulement nos institutions gouvernementales nationales et locales, mais aussi nos entreprises tous secteurs confondus.
S’agissant par conséquent d’un problème de conception et de méthode, certains exemples peuvent aider aussi à la prise de conscience de la place grandissime que doit avoir la réflexion stratégique quelle que soit la dimension et le domaine de l’organisation. Les exemples foisonnent, mais celui du miracle japonais, même rabâché plusieurs décennies durant est une excellente démonstration qui incite à la méditation : « Une roche » dans un océan qui bouge constamment, parfois violement, un pays, sans ressources naturelles notoires, l’unique pays au monde ayant subi deux bombes atomiques lors d’une guerre atroce devient l’une des plus grandes puissances mondiales ! Lorsque Toyota était devenue la première marque automobile aux USA, un journaliste américain avait dit que les japonais nous renvoient l’une des deux bombes atomiques larguées sur eux lors de la deuxième guerre mondiale.
Le secret de ce miracle n’est pas la résultante du Plan Marshall uniquement, mais c’est foncièrement une démarche de réflexion collective, participative et impliquant chercheurs, dirigeants, associations et universités initiée par l’Union japonaise des scientifiques et ingénieurs(UJSE). Cette dernière avec la collaboration effective d’Edwards Deming (chef de service de recensement au département d’Etat américain à l’époque) a développé les fondements du management de la qualité en dix ans. Je cite cet exemple parce qu’il s’agit d’une véritable coupure épistémologique dans l’histoire du management. Après l’avènement du management de projet comme remède à la verticalité des organigrammes, on a évolué depuis déjà des années vers l’intelligence collective en tant que démarche managériale mais surtout en tant que compétence à part entière scrutée dans les processus de recrutement dans les pays qui en mesurent réellement l’importance. Il ne s’agit pas ici d’étaler les concepts et les principes de l’IC, mais, pour une meilleure compréhension la définition suivante est on ne peut plus éloquente de cette démarche novatrice :
« L’IC est la capacité qui, par la combinaison et la mise en interaction de connaissances, idées, opinions, questionnements, doutes…de plusieurs personnes, génère de la valeur (ou une performance ou un résultat) supérieure à ce qui serait obtenu par la simple addition des contributions (connaissances, idées, etc.) de chaque individu » d’où le néologisme 1+1= 3.( )
Les multiples références sur l’intelligence collective (IC) et ses déclinaisons opérationnelles nous permettent de mesurer nos comportements managériaux qui sont loin d’être irréprochables, mais surtout de s’en inspirer pour éviter les mauvais choix et les mauvaises surprises. N’entendons-nous pas souvent, que tel ou tel projet initialement voulu structurant et prometteur a échoué dix ans, voire vingt ans après ? De surcroit, il est devenu tout à fait normal d’entendre des déclarations incriminant systématiquement l’autre du genre « ils ont fait des erreurs de prise de décision au départ » ? En fait, il s’agit de problème de savoirs et de conception de nos classes dirigeantes, aveuglées par les paradigmes tayloriens désuets du management. Les décisions sont hâtives et descendantes et le cloisonnement ankylosant des différentes fonctions en est une résultante logique.
Albert Einstein a certes créé une folie par cette équation E = mc2 mais son apport à la méthodologie de réflexion est considérable. N’avait-il pas dit :
« Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerais 55 minutes à déterminer la bonne question à poser, car lorsque je connaîtrai la question, je pourrai résoudre le problème en moins de 5 minutes »
Oui donc pour la réflexion, mais réflexion ne signifie pas discussion, elle a ses principes et ses règles.
2- Pas de modèle de développement probant sans la trilogie enseignement, écologie et santé.
2-1 - L’enseignement : posons les bonnes questions
Notre enseignement est défaillant. Ce n’est pas du cynisme, pour preuve, je suis de ceux qui considèrent que les structures actuelles peuvent permettre une stratégie méthodique step by step de changement. Mais rien ne sera concluant si l’on ne cesse pas les querelles sectaires, les magouilles politiciennes dictées par l’opportunisme et les intérêts mesquins de toutes sortes. Il est désolant qu’au XXIème siècle nous continuons à débattre de la question de savoir quelle langue adopter. Est-ce la bonne question pour construire les armes de demain pour faire face aux défis incalculables et certainement douloureux voire apocalyptiques à venir ?
Je ne suis pas dans une posture pour donner des solutions et des recettes pour la simple raison que je sois profondément persuadé que seule la réflexion collective est de nature à traiter les questions coriaces. Le management paradoxal nous enseigne que nous sommes constamment face à trois situations : l’incertaine, la compliquée et la routinière. Tout le problème est de dilapider un temps considérable à traiter le compliqué et le routinier parce que tout simplement nous confondons les trois situations, souvent sciemment. Avec l’IC comme modèle de prise de décisions, apprenons à traiter l’incertitude, pour la transformer en compliqué qui exige seulement connaissances et expertise pour le rendre routinier. Le traitement de la routine nous coûte des milliards de dirhams au lieu de nous faire gagner en temps, en moyens et en performance. Une autre question se pose dans le même sillage : Quelle est l’université ou l’école d’enseignement supérieur qui offre l’IC ou la prise de décision comme filières à part entière à l’instar de ce qui existe sous d’autres cieux ? Est-il normal que toute formation sectorielle est quasi inexistante dans nos universités et écoles supérieures au moment où tous les secteurs stratégiques manquent terriblement de compétences spécifiques ? Quels métiers de demain doit-on préparer, sachant que plusieurs métiers actuels disparaitront ?
2-2 L’écologie : agir au plus vite
Jamais notre mère nature n’a été aussi agressée. La déforestation s’intensifie, les plantations d’eucalyptus pour fabriquer du papier se multiplient à une vitesse effrénée. Au Grand Nord le taux de réchauffement est 2,5 fois plus grand que dans le reste du monde. Les montagnes de glace dans l’Antarctique s’effritent. Les terres de la banquise se dégarnissent et sont déjà objets de convoitises des grandes nations. Pesticides, OGM, hormones sont utilisées à outrance sans vergogne pour des productions agricoles intensives. Des plantations naturelles entières sont dénaturées et destinées aux biocarburants. Des espèces naturelles ont déjà disparu. D’autres le seront.
La liste de la bêtise humaine est longue et la lutte contre le réchauffement climatique est une arnaque caractérisée, au moment où les experts nous informent que la fonte des glaces dans le Grand Nord est susceptible de dégager de milliards de virus millénaires méconnus, imprévus et imprévisibles.
Ceci étant, la nature réagit, parfois violemment : inondations, tremblements de terre, incendies ravageurs et sècheresses durables meubleront notre XXIème siècle d’une manière encore plus agressive. Les experts sont unanimes, ces phénomènes seront davantage plus douloureux, voire atroces pour l’humanité entière.
Face à ce tableau noir succinct, les grandes questions sont de savoir que devons-nous faire lorsque quel que soit le niveau de nos initiatives locale louables, elles s’estompent dans l’horreur des appétits ravageurs des grandes puissances ? Que devons-nous faire lorsqu’en tant que pays d’accueil nous nous trouvons dans le peloton des pays victimes des migrations économiques ? Que devons-nous faire pour préserver nos ressources en eau ? Quels choix tranchants devons-nous faire entre l’agriculture et le tourisme ? Sommes-nous capables d’opter pour une véritable économie verte qui nécessite certainement des efforts financiers colossaux et surtout de nouveaux comportements de nos décideurs et entrepreneurs ?
Voilà à quel genre de questions nous sommes astreints à répondre. Le challenge est colossal parce que nous sommes en face de l’incertitude. Ce ne sont pas les méthodes de les traiter qui manquent. Encore faut-il les connaitre et les comprendre.
L’écologie ne doit surtout pas être un costume de soirée ou un gadget de façade cache misère. Il est grand temps de passer à « l’écologie plénière », qui allie écologie humaine et écologie environnementale. « Entre les deux, il n’y a pas contradiction mais complémentarité, et les deux ont les mêmes adversaires, comme Monsanto, le géant du transgénique qui pousse à la ruine les petits agriculteurs indiens et africains », rappelle le journaliste et essayiste Patrice de Plunkett.
2-3 La santé : notre maillon faible
Il n’a pas fallu attendre Coronavirus pour faire ce constat. En effet, quels que soient les efforts consentis nos infrastructures et logistique, nos moyens humains et équipements de santé restent très insuffisants. Mais n’oublions pas qu’un système de santé ne dépend pas uniquement d’infrastructures. Son efficacité est tributaire de l’interaction de plusieurs composantes. Il est défini comme étant « l'ensemble des moyens (organisationnels, humains, structurels et financiers) destiné à réaliser les objectifs d'une politique de santé. Il forme un ensemble organisé, qui inclut les efforts conjoints du secteur public et privé, ainsi que la participation collective et individuelle de la population ».
Dans le domaine de la santé, nous sommes en fait à l’ère de la participation citoyenne comme un ensemble de concepts déclinés en systèmes et plans d’action opérationnels. Des pays comme le Canada et la France sont allés très loin dans l’activation de ces concepts novateurs de participation, d’implication et de mobilisation de tous les acteurs. Dans notre pays le système de santé est malade de ses fausses bonnes idées et de ses paradigmes bloquants, arguant que la santé est l’apanage de médecins seuls. Autrement, si la réflexion dans ce domaine vital était élargie à tous les acteurs y compris les citoyens, les décideurs dans notre pays seraient contraints de mettre les moyens indispensables au développement du secteur.
Cette démarche d’intelligence collective est de nature à pouvoir prendre en charge la tâche ardue de repenser notre système de santé avec une vision, des missions, des axes stratégiques de développement et des plans d’action - déploiement.
En synthèse de cette contribution, quelques pistes de réflexion s’imposent logiquement à mon avis :
ü enseignement, écologie, santé sont des domaines vitaux interdépendants. Leur traitement ne peut être effectué que dans le cadre d’une approche systémique intégrée.
ü changeons de paradigmes de réflexion sur les grands projets de société et faisons confiance à toutes les composantes sociales de notre pays. L’intelligence et la créativité ne sont ni élitistes ni sectaires.
ü il est temps que la citoyenneté et le civisme soient le tronc commun à tous les niveaux de notre enseignement.
Abdelkrim Lamouri
Consultant – formateur
Chercheur en management
abk-lamouri.blogspot.com Méditations