Pour une vraie réforme de la fiscalité locale
La taxe d’habitation (TH) de même que tous les impôts locaux assis sur des valeurs locatives sont très critiqués de nos jours.
Souvent à raison - les valeurs locatives actuelles n’ont plus aucun rapport avec la valeur réelle des propriétés, et l’incitation à la fraude est trop forte (il faudrait une armée d’inspecteurs pratiquant des intrusions répétées dans vos maisons pour recenser le vélux ou le lavabo non déclaré…).
Mais aussi souvent à tort - d’être inégalitaire, certes, mais la taille et l’emplacement de la maison est un assez bon indicateur du pouvoir d’achat donc de la capacité contributive, et les écarts de charge fiscale d’une ville à l’autre sont bien davantage dûs aux choix politiques inégalement dépensiers des édiles qu’à une tare intrinsèque de la TH.
Bref, il est temps d’en finir avec un impôt local basé sur les valeurs locatives. La réforme la plus juste aurait été de supprimer complètement la TH, car à quoi rime de la supprimer pour 80% des Français si sa prétendue injustice continue d’accabler les derniers 20%? Et comment comble t-on le trou dans les budgets des collectivités locales, dont on devrait se rappeler que la libre administration est un "principe de valeur constitutionnelle" (art 72 de la Constitution de 1958) dont la loi ne peut faire fi ?
A l’occasion, il faudrait supprimer cette anomalie qu’est la perception de deux taxes ayant le même objet et la même assiette; la TH déjà citée et sur laquelle se concentre l'attention du Président; et la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB), qui permet de doubler l’addition sur les propriétaires au seul motif … qu’ils sont propriétaires (la fiscalité punitive pré-date de longtemps l’ISF inventé par Mitterand en 1982). La France est pratiquement le seul grand pays à superposer une taxe sur le propriétaire à une taxe sur l'occupant (la même personne dans 60% des cas en France).
Je propose de remplacer toutes ces taxes locales sur les personnes par un impôt local additionnel à l’impôt sur le revenu (impôt local sur le revenu, ILR pour faire court).
Il y aurait deux avantages majeurs à cette solution:
L’assiette est claire et facile à établir. C’est l’assiette de l’actuel impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)(avec la suppression des niches fiscales, ce serait encore mieux); on fera l’économie de centaines d’agents de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) qui depuis des décennies courent en vain derrière une matière fiscale élusive, les … valeurs locatives.
L’assiette est un vrai indicateur de la capacité contributive puisqu'il s’agit des revenus.
Les élus locaux pourraient fixer un taux unique d’ILR selon le produit fiscal global (PFG) dont ils ont besoin pour équilibre le budget, et calculé comme le ratio PFG / Assiette. Par exemple, à Cholet (ville de taille moyenne du Maine-et-Loire) où habite cet auteur, on sait que l’assiette (revenu fiscal de référence) était de 750M€ en 2016 et le produit fiscal voté par la Commune est de l'ordre de 40M€. Le taux unique d’ILR serait donc d’un peu plus de 5%.
Cette solution soulève cependant trois questions délicates:
Faut-il que cet impôt local soit progressif, comme l’est l’IRPP national?
Ma réponse est non: le cadre de la redistribution est le cadre national (une fonction de l’Etat que même les penseurs libéraux lui reconnaissent même s’ils aimeraient qu’il n’en abusât point). Il ne revient pas aux élus locaux - élus investis d’un mandat de terrain - de lui juxtaposer une redistribution dans le cadre local.
D'ailleurs, la logique du taux unique appliqué à des revenus très variables débouchera sur une imposition très variable. Un couple gagnant un SMIC paiera (à Cholet) environ 690€, tandis qu’un cadre supérieur gagnant 60 000, paiera 3 000€ (dans l'IRPP, les premiers sont exonérés, les cadres supérieurs paient beaucoup plus - c'est la progressivité). Cela veut dire aussi que, contrairement à l’IRPP que ne paient qu’environ 40% des ménages français (une dérive fâcheuse accentuée sous Hollande), l’IRL devra être payé par tout le monde, selon son revenu. Chacun sera et se sentira réellement citoyen-contribuable, et chacun se rendra compte du coût réel des politiques locales (et de l’immense dérive des finances locales depuis la décentralisation).
Faut-il prendre en compte le nombre de personnes composant le foyer?
Pour l’IRPP, il est donné à cette question une réponse positive via les quotients conjugaux et familiaux, certes largement érodés depuis plusieurs années, et pour lesquels une solution plus juste serait d’appliquer des abattements identiques par personne à charge (ou sans revenu).
Mais dans le cadre local, chaque individu est consommateur de services municipaux; plus la famille est grande, plus il y a de consommateurs. Cela n’est vrai, cependant, que pour certains services. Pour tout ce qu’on appelle les biens publics comme l’éclairage dit public, les espaces verts, les trottoirs et rues, la consommation de service public local ne varie pas selon le nombre de consommateurs. Pour d’autres, en revanche, : classes des écoles, soutien aux associations sportives, cimetières…, le coût est fonction du nombre d’usagers, de pratiquants, ou de … défunts.
Bref, c’est une question complexe, qu’il faudrait étudier avant de décider une modulation de l’imposition suivant le nombre de personnes composant un foyer (une réforme de la politique familiale et des aides au logement serait utile également, car trop souvent en France on veut réformer sans tenir compte du "système" dans lequel toutes ces pièces s’insèrent et inter-agissent, et ignore que dans tout système la modification d’un facteur a des répercussions sur les autres).
Comment aider les collectivités les plus pauvres ?
Ce sujet n'est pas nouveau et l'inégalité de potentiel fiscal est déjà corrigée aujourd'hui par des mécanismes de péréquation dont le principe est reconnu dans la Constitution (article 72-2). Il est clair qu'il faudra étudier les effets redistributifs de cette réforme et modifier le cas échéant l'ampleur et les formes de la péréquation. Gageons que l'inégale répartition des revenus sera une boussole plus fiable que celle des valeurs locatives.
Que ces quelques difficultés ne dissuadent pas d’explorer une réforme dont les vertus paraissent largement éclipser les éventuelles faiblesses. Le sujet est trop sérieux pour qu’on lui substitue une réforme à l’emporte-pièce - la suppression de la TH pour 80% des Français, dont le seul mérite est de ... plaire à ceux qui en sont les potentiels bénéficiaires.