Pourquoi la note de la France ne devrait pas avoir d'effet à court terme sur les taux d'intérêt
Ce sujet essentiel n'est pas correctement présenté par les médias qui recherchent des effets de scène plus qu'une information de qualité.
1) Les spreads de taux d'intérêt sont indirectement induits par la régulation bancaire de Bâle 3:
Les banques ont l'obligation prudentielle de constituer des fonds propres durs pour provisionner leurs risques. Plus de fonds propres entrainent moins de rentabilité et donc des taux d'intérêt emprunteurs plus élevés en cas de détérioration de la qualité de l'emprunteur.
Il existe 4 niveaux de provisionnement en fonds propres :
2) Tant que la note de la France reste dans les quatre premiers grade de la notation dite de "haute qualité" il n'y a pas pour les banques d'obligation supplémentaire :
On reste donc dans la zone des 20% de fonds propres ( à hauteur de 8 centimes pour 1 euro de risque = ratio Cooke). En outre, le mécanisme fatal d'un éventuel provisionnement supplémentaire ne se déclenche que lorsque 2 agences sur trois ont dégradé.
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Quelles que soient les décisions de Moody's, ou de Standard and Poor le mois prochain, la France restera dans la zone la plus favorable de provisionnement des risques.
3) Néanmoins les médias interprètent mal la stabilité des spreads :
Ceux-ci sont actuellement stables autour de 50 bp, mais ils étaient moitié moindres il y a deux ans; il y a donc bien une légère tension.
La grosse erreur serait de considérer qu'au prétexte qu'une dégradation n'aurait pas de conséquences à court terme, il ne faudrait en tenir aucun compte. En effet, si le dérapage des finances publiques se poursuivait, de nouvelles dégradations de notre note nous conduiraient à une augmentation automatique de nos taux d'intérêt et à un cercle vicieux tragique.
Il ne faut donc ni d'excès de pessimisme ni d'excès d'optimisme.
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Journaliste Chroniqueuse ou Attachée de presse
7 moisMerci Maxime, très instructif, et toujours autant intéressant ! A bientôt
Ex DGA Banque de France
7 moisQuelques précisions . Bâle 3 s'applique aux banques; or il existe d'autres acheteurs de dette souveraine : Fonds de pensions, Assurances, . globalement le traitement des expositions souveraines du portefeuille bancaire suit les prescriptions du dispositif de Bâle II, que Bâle III n'a pas modifié. Les pays peuvent adopter l'une des deux méthodologies suivantes (ou les combiner) : l'approche standard, qui repose sur des notes de crédit externes, et l'approche notations internes (NI), qui se fonde sur une évaluation des risques réalisée par les banques. . la mise en œuvre de Bale 3 est appliquée de façon différenciée aux États Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, la réglementation de Bâle III est appliquée de façon complète dans un nombre relativement restreint de banques. Les sept plus grandes, considérées comme systémiques, ont en fait des contraintes plus fortes que ces standards internationaux. . Au delà des exigences prudentielles les institutions financières définissent des règles internes pour la composition de leur portefeuille d'actifs en fonction de l'appétit au risque de leurs actionnaires ou souscripteurs. Elles sont affectées par l'évolution de la notation d'un Etat donné et par celle de ses pairs concurrents.
Maxime tu n’as pas perdu la main !
Economist - Financial Risk Expert
8 moisTrès instructif ! Une petite remarque toutefois: les obligations souveraines émises par les Etats Membres de l’UE et libellées en euro sont de facto exemptées d’exigence en fond propres pour les banques européennes (cf. Règlement CRR). C’est systématiquement le cas pour les banques utilisant l’approche standard, et en pratique c’est également le cas des banques ayant recours à l’approche interne (internal ratings-based). Les expositions souveraines sont également exemptées du cadre de déclaration des grands risques (visant à limiter à 25% des fonds propres d’une banque les risques portés sur une contrepartie). Ces mesures limitent dans une certaine mesure la transmission du risque de crédit souverain aux coûts de financement des États en question. Bien entendu, cela n’élimine absolument pas ce mécanisme de transmission, d’une part car les banques peuvent arbitrer entre différentes dettes souveraines en fonction du couple risque/rendement, et ainsi réduire leur exposition aux pays les plus risqués. D’autre part, car les banques européennes ne sont pas les seules détentrice des dettes souveraines (environ 20/25% du total dans la zone euro), et que d’autres intervenants de marché présentent une sensibilité au risque bien supérieure.