Psyché & Déclic : A quand l'hallali de Procuste ?
Miranda, poétesse et dramaturge à temps plein, coule minute après minutes de pauvres heures, à l'hôpital psychiatrique où selon ce maudit DSM-V, un épisode psychotique aigu l'a fait s'échouer depuis maintenant quatre semaines. Quarante ans plus tôt, on aurait parlé de BDA ou plus précisément de Bouffée Délirante Aigue, voire peut-être même de pharmacopsychose, comme quand Jean-Paul Sartre s'essayait à la mescaline et Antonin Artaud au peyotl.
Clouée au lit non par une puissante médication, mais une nonchalance institutionnellement soutenue et difficilement explicable, elle vit dans un univers rabougri, très bien climatisé et très peu stimulant. Ses journées s'écoulent au rythme des visites qu'elle reçoit, des repas qu'elle prend, des médicaments qu'on lui donne et de ses sorties à la cafétéria.
Parfois très lucide quant à certains sujets, elle craint vraiment de se métamorphoser en cloporte. C'est là que le mythe du lit de Procuste lui revient à l'esprit. Le très nuisible Polypémon, surnommé Procuste (celui qui martèle pour allonger) ou Damastès (le dompteur), avait alors pour habitude d'inviter les voyageurs à se reposer chez lui.
Aucun de ses deux lits, l'un XL et l'autre XS, ne correspondant jamais à la taille des hôtes, il prenait un malin plaisir à, pour les faire entrer dans les cadres, étirer les membres des petits et sectionner ceux des grands. Thésée, dont le nom est issu de la même racine que thesmós signifiant "institution", coupa littéralement court à ces agissements criminels.
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Miranda, se sentant assaillie de partout, est prisonnière d'une institution dans laquelle les libertés individuelles sont devenues Tables de la Loi. Le soin étant maintenant à options multiples, quitte à normaliser une certaine nonchalance, ne rien faire de toute la sainte journée constitue un choix respectable.
Nivellement par le bas, diront certains, extension du cadre à l'infini affirmeront d'autres, peu importe l'excès tant qu'on a l'accès ! Il fut un temps où Procuste forçait les patients à entrer dans un cadre très restreint, aujourd'hui il les laisse s'étirer à l'infini.
Aucune des deux options n'est viable, mais alors que l'actuelle doxa promeut à juste titre la personnalisation des prises en charge, où est le Thésée qui allongera Procuste dans son lit, pour très proprement le décapiter ?
Avertissement : L'unique ambition de cette série #psychéetdéclic est de contribuer à la réflexion collective sur le sens du soin en psychiatrie. Construites sur le modèle des chroniques de Baptiste Beaulieu, ces vignettes cliniques synthétisent plusieurs situations pour en restituer une version romancée. Ainsi aucune des personnes présentées ici, dans des contextes au demeurant plausibles et réalistes, n'existe ou n'a réellement existé en tant que telle.
Téléconseiller
2 ansTrès intéressant