Psyché & Déclic : Allô Papa Tango Charlie...
Jérôme exerce depuis une quinzaine d'années sa profession d'Infirmier de Secteur Psychiatrique, dans une unité dite de géronto-psychiatrie. Une appellation trompeuse car les personnes âgées ne sont pas, à l'instar du Géronte des comédies de Molière, de vieilles badernes imbéciles et facilement bernables. Lucienne est d'ailleurs l'exact opposé, de cet archétype caricatural on ne peut plus désobligeant.
En sa qualité de référent de Lucienne, Jérôme fait depuis presque un an partie des porteurs de son projet de réinsertion sociale, en vue de sa sortie de l'hôpital. Un avenir à court et moyen termes qui, au bénéfice de la stabilisation de l'état clinique de la patiente, se construit pas à pas. Les journées passées chaque mercredi dans une résidence pour seniors, font partie des moyens que se donne l'équipe pluridisciplinaire, pour y faciliter l'intégration le Lucienne.
Ainsi chaque mercredi matin, c'est Jérôme qui l'y conduit, afin qu'elle participe aux deux activités du jour. En fin d'après-midi, il la recherche et durant le trajet en voiture (banalisée) de service, Lucienne lui raconte le déroulement de sa journée avec moult détails, ainsi que la composition exacte du repas de midi. Elle a un tel souci du détail, que Jérôme se demande si ce n'est là pas un moyen de contrer le caractère désorganisateur de sa schizophrénie.
Lucienne est une personne très organisée, ou plus exactement très ritualisée, pour employer un terme sémiologique plus adéquat. Elle a dans sa chambre, une multitude de petits papiers scotchés sur les murs selon un ordre précis, ainsi que des piles de carnets rangés chronologiquement où elle note tout ce qui lui semble important. Par exemple, chaque dépense y est consignée en temps quasi réel, et le dernier jour du mois elle fait son bilan comptable.
Arrive septembre, et pour Jérôme son habituel mois de congés annuels qu'il prend toujours hors-saison. Fatigué d'une période estivale très chargée, notamment en raison des absences de ses collègues qu'il fallait compenser, il n'a qu'une hâte : mettre cap vers l'océan. Ce qu'il fait au plus vite, et en revient après quatre semaines, complètement revivifié par le climat marin, prêt à repartir pour un tour avec en plus, le privilège de reprendre un mercredi.
Lucienne l'accueille avec un regard soulagé et réprobateur : "Monsieur Jérôme, mais où étiez vous donc passé ? J'ai écouté les conversations des infirmières : elles ne parlaient pas de vous ! J'ai lu le journal : il n'y avait rien sur vous ! Ici tout le monde faisait comme si vous n'aviez jamais existé et à la résidence ils avaient l'air de ne rien savoir ! Chaque mercredi, je me disais que vous alliez peut-être revenir un jour, et chaque semaine j'avais un peu moins d'espoir... ".
Jérôme doit bien avouer qu'emballé par son imminent départ en vacances, il a malgré ses années d'expérience, tout bonnement oublié de prévenir Lucienne de son absence prolongée. Focalisé sur l'organisation matérielle de la poursuite de sa prise en charge du mercredi, il a complètement perdu de vue la personne concernée au premier chef. A savoir Lucienne, schizophrène âgée de soixante-sept ans, veuve depuis bientôt une année et devant ainsi intégrer une résidence.