Quand je serai grand, je serai crooner.
Costume taillé sur corps affuté et teint hâlé, voix envoutante à faire bander le gros Barry, scène intime, micro qui prend son pied au contact de mes lèvres, lumière feutrée, velours caressant et public aimant. Chaque soir, à 23h45, après My Way, je rejoindrai ma table réservée tout en desserrerant le nœud de ma cravate sombre. Je serai rejoint par les plus belles oreilles de la soirée et je laisserai la vie faire le reste.
Quand je serai grand, je ferai un nouveau job. Et probablement même que je n’aurai pas le choix. Quand je serai grand, je devrai me réinventer. Je devrai créer de nouvelles vies. Tant mieux. Je serai libéré des obligations, des règles, des csp plus ou moins, des pensions… Quand je serai grand, je serai moi.
Nos anciens ont conquis leur liberté en voyageant, en découvrant, en se battant puis en divorçant. Nous gagnerons la nôtre en nous épanouissant professionnellement. Pas le choix. Passer de directeur financier à forgeron, d’ingénieur à tourneur-fraiseur, de publicitaire à hôte ou restaurateur. J’en connais et ils sont heureux.
Vivement la quarantaine ou la cinquantaine décomplexées, la maturité libératrice, la redéfinition de la réussite professionnelle. Et peut-être qu’après ma carrière de crooner, je serai vendeur de fraise à Eygalières. Oui, pourquoi pas. Tout est possible.