Quand L. Alexandre prend des vessies suisses pour des lanternes
Les gens de l’EPFL (et pas seulement moi) sont souvent très étonnés de la fascination des français pour leur établissement. Non pas qu’on ne soit pas fiers de notre école mais d’une part, nous en voyons mieux les limites (oui oui !) et d’autre part cette manie de certains gurus de copier/coller et de flageller la France par comparaison est radical pour ne pas percevoir ses propres atouts et donc se fourvoyer en tentant de suivre des rails tracés par d’autres. Premier élément : l’échelle. La Suisse n’est pas la France et Lausanne est effectivement une petite ville. Traiter les enjeux d’enseignement supérieur dans une population de 67 millions d’habitants ce n’est pas tout à fait comme traiter ceux de 8 millions d’habitants. Remarque juste cependant, la qualité de l’enseignement technique dans le secondaire suisse pour toute la population. Mais cela supposerait précisément en France que l’on arrête de se focaliser sur les seules universités ou écoles « d’excellence » pour étendre l’enseignement technique à tous les cursus de base, donc vraiment une autre conception de l’excellence élitiste de nos chers énarques. Pour le reste, l’article de Laurent Alexandre enfile les stéréotypes avec son arrogance habituelle sans se préoccuper d’enquête. Car classement = excellence = super rémunération des profs, voilà en gros l’équation gagnante. Les classements vont et viennent et l’EPFL a perdu 10 places cette année dans l’un d’eux (THE je crois) car les critères d’insertion des étudiants ont changé semble-t-il. Et alors ? ça veut dire qu’il faut une bonne équipe à temps plein pour collecter les données qui sont gagnantes pour les classements, ça ne veut rien dire de plus. Excellence, donc. Certes. Mais de l’intérieur de la maison, on est plus autocritique et lucide : les étudiants qui ont fait des prépas en France se sentent un peu roue libre pendant deux ans au moins, ils vous le diront car c’est un autre modèle. Meilleur ? je ne sais pas mais au moins, le copier, ça voudrait dire supprimer les prépas françaises à haute pression. Qui est prêt à cela ? Excellence, donc, comme partout ? Certes mais le Président actuel de l’école avait commencé son discours de prise de fonctions par un exercice de modestie bienvenue en rappelant à ceux qui voulaient fermer l’école aux étrangers (oui en Suisse aussi !) que l’on devait plutôt apprendre d’eux parce que notamment en maths, les élèves de l’EPFL étaient largement devancés par les français. Tiens, tiens, la France serait bonne en maths ? Ce n’est pourtant pas une surprise puisque toutes les entreprises de la finance ou de l’intelligence artificielle viennent faire leur marché de talents mathématiques en France. Ah bon ? Tout ne serait pas à jeter ? Il faudrait donc écouter les suisses pour reprendre confiance dans ses propres capacités ? Les rémunérations des profs. Passons vite sur l’arnaque qui consiste à confondre des salaires toutes charges comprises en francs suisses et des salaires en euros mais surtout sans préciser le coût de la vie en Suisse, au moins 20% plus élevé qu’en France, ce qui fait déjà un rabais non négligeable. Et surtout, c’est oublier que certains de ces postes sont directement financés par des mécènes. Est-on prêt à faire cela en France et à accepter que le mécène en question dicte ses préférences dans les jurys de recrutement ? Je pense qu’on aurait quelques soucis avec l’autonomie des universitaires, en particulier en matière de recrutements. Mais L. Alexandre pense sans doute qu’une institution d’éducation, cela peut se résumer à un agglomérat de mercenaires, sans se soucier des effets pervers terribles que cela entraine quant à la loyauté vis-à-vis de l’institution. De même lorsqu’on laisse les profs développer chacun leur (s) start-up(s), le bilan serait sans doute bienvenu quant aux effets sur l’excellence de la recherche académique! Heureusement, le sens de l’institution reste préservé à l’EPFL pour contrer ces éventuelles dérives. Mais cela, on oublie de le mentionner, alors que le nouveau directeur a affiché une défense très stricte du service public et de la mission de service public de l’école : voilà une leçon qu’on aimerait aussi voir emprunter en France par les snipers confortables des « universités poubelles » qui ne soutiendront jamais l’augmentation des crédits de ces facs au nom du dogme de la réduction de la dépense publique. La fascination pour les grands projets (et pour les grands bâtiments, comme dans l’article, typique d’un audit plus touristique qu’analytique) n’est pas du tout aussi présente qu’on le croit à l’EPFL, même si l’ancien président (qui semble la seule source de l’auteur d’ailleurs) avait une vision puissante qui lui a permis d’en lancer de nombreux. Mais ce serait oublier toutes les controverses qui sont nées à ce sujet : certaines sont encore actives comme sur le Blue Brain, dont certains disent attendre encore les résultats scientifiques et dont les directeurs valsent à un rythme soutenu. Je ne connais rien au dossier scientifique et je ne prendrai donc pas parti, mais il serait bienvenu de prendre connaissance de tous ces éléments avant de porter aux nues ce genre de projets. S’il n’y a que 12 kilomètres entre Evian et Lausanne (en bateau faut-il préciser, mais c’est sûrement un détail sans intérêt !), cela mériterait donc d’y retourner un peu plus souvent pour apprendre comment les suisses savent faire à partir de leurs propres atouts et ils en ont (et pas seulement la quantité impressionnante d’argent et d’investisseurs directement disponibles, merci l’ancien paradis fiscal !). S’il faut les copier, c’est précisément en apprenant à valoriser nos points forts tout en assumant toutes les responsabilités d’une grande nation vis-à-vis de tous ses citoyens et non en s’autoflagellant et en prônant la copie imbécile de modèles non transposables.
Founder @ Fullness
6 ansBravo Dominique. Il faut du courage pour s'opposer aux sirènes de l'arrogance.