Quelle lecture géopolitique de l’Afghanistan ? Amb. hon. Raoul DELCORDE
Comment l’Afghanistan en est-il arrivé à la situation de 2021 ? Quels sont les scenarii imaginables pour demain ? L’Ambassadeur (hon.) Raoul Delcorde offre une précieuse lecture géopolitique des fondamentaux de ce pays et présente quelques évolutions envisageables.
Extrait
Avec tes ennemis, patiente. Avec tes amis, pardonne. Proverbe afghan
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I. Un Etat enclavé et morcellé
ESPACE cloisonné, isolé de la mer, l’Afghanistan a été, pourtant, à travers les siècles, un verrou stratégique, convoité par ses puissants voisins (Iraniens, Russes, Indiens). A la fois forteresse montagneuse ceinturée de steppes et de déserts et lieu de passage sillonné de vallées, ce pays rude relie les steppes d’Asie centrale à la vallée de l’Indus et aux mers chaudes de l’Ouest de l’océan Indien. Ce pays se structure autour de la chaîne de montagnes de l’Hindou Koush [1], qui prolonge (à près de 4000 m d’altitude) les chaînes himalayennes vers l’Ouest et n’est franchissable que par quelques cols, dont celui du Salang, qui permet de rejoindre Kaboul. Ce sont d’ailleurs les Soviétiques qui construisirent le tunnel routier du Salang, dans le col du même nom, seule voie d’accès permettant de relier le Nord et le Sud du pays toute l’année. La géographie influe sur le processus politique : un monde clos de vallées habitées par des clans souvent hostiles ne prédispose guère à l’unité. D’où la difficulté de se représenter comme Etat et l’extrême porosité des frontières afghanes, tant avec le Pakistan qu’avec les pays musulmans d’Asie centrale.
Au XIXè siècle ce pays fut, on le sait, au centre de ce “Grand Jeu” que se livraient la Russie (poussée vers les mers chaudes) et l’Empire britannique des Indes. Les Britanniques voulaient assurer une continuité stratégique entre l’Inde (qu’ils contrôlaient) et la Perse (dont ils contrôlaient la moitié du territoire). Aussi, pour mettre fin à leurs rivalités sur le terrain (par tribus afghanes interposées) la Russie et la Grande-Bretagne décidèrent de neutraliser ce carrefour qu’était l’Afghanistan : à cette fin, ils établirent des frontières et mirent en place une structure étatique incarnée par une des grandes tribus pachtounes, les Dorrani, qui était présente à Kaboul depuis la moitié du XVIIIe siècle et dont est issu le dernier roi d’Afghanistan, Zaher Shah. Il est significatif que ce sont précisément les Pachtounes qui incarnent le pouvoir politique à Kaboul depuis deux siècle et demi. Et ce sont donc eux qui établirent l’État afghan en 1747. A noter qu’Afghanistan signifie “terre des Afghans” en pachtoun. Les Taliban (pluriel de “taleb”, mot pachtoun désignant un étudiant dans une madrassa ou école religieuse) sont des Pachtounes comme l’étaient aussi les dirigeants communistes afghans qui prirent le pouvoir en 1978. Notons, toutefois, que les Taliban n’ont en rien une politique nationaliste pachtoune. Le régime qu’ils instaurèrent lorsqu’ils prirent le pouvoir était un régime clérical d’origine paysanne, appuyé sur des réseaux locaux, qui a instrumentalisé l’Islam pour prendre le pouvoir. On pourrait les définir, à l’instar de Frédéric Encel , comme étant un “collectif ethno-clanique” appuyé sur un islamisme radical.
Lorsqu’il faisait partie de l’Empire des Indes, l’Afghanistan s’était vu imposer par les Britanniques un tracé frontalier (appelé Ligne Durand) qui incorporait la passe de Khyber (qu’empruntait déjà Alexandre le Grand pour atteindre la Vallée de l’Indus) mais plaçait hors d’Afghanistan une partie du territoire pachtoun, qui devenait ainsi une province de l’Empire des Indes puis la North West Province du Pakistan actuel. Cette “Ligne Durand” allait alimenter pendant des décennies l’irrédentisme pachtoune, au point que l’Afghanistan fut le seul Etat du monde à s’opposer à l’admission du Pakistan à l’ONU… Le tracé frontalier s’étend jusqu’à la Chine à travers le massif du Pamir, par le corridor du Wakhan, qui était destiné à empêcher une frontière commune entre l’Empire russe et l’Empire des Indes. Ce territoire en forme de bec de canard relie l’Afghanistan au Sin-Kiang chinois, peuplé d’Ouïghours musulmans. C’était une fois de plus une illustration du principe de l’Etat-tampon entre les deux empires rivaux qu’étaient la Russie et la Grande-Bretagne.
II. La lente émergence d’une nation afghane, autour de l’ethnie pachtoune
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Exploitant chez GEODIS | Road Transport
3 ansÉclairant.
Expert géopolitique
3 ansQui est l'auteur, Raoul DELCORDE ? Ambassadeur (hon.) de Belgique. Diplomate depuis 1985, Raoul Delcorde a été successivement ambassadeur pour la Belgique en Suède, en Pologne et au Canada. Il est professeur invité à l’Université Catholique de Louvain et membre de l’Académie royale de Belgique. Raoul Delcorde publie « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga. https://www.amazon.fr/gp/product/2804709159/ref=as_li_qf_asin_il_tl?ie=UTF8&tag=diplowebcom04-21&creative=6746&linkCode=as2&creativeASIN=2804709159&linkId=c9db688179ac8cf1b03750cc050521e3