Quelles colères en cas d'espoir déçu ?
La tension sur l'affaire "chloroquine-Raoult" n'en finit pas, séparant en trois grandes catégories les avis sur la question (ceux n'en ayant aucun étant une quatrième catégorie).
- Ceux qui sont convaincus par les déclarations de Raoult.
- Ceux qui sont convaincus que sur cette affaire et quelques autres auparavant, c'est une espèce de charlatan en blouse blanche.
- Ceux qui attendent des données suffisamment claires et solides pour trancher la question, puisque celles actuellement produites ne permettent de tirer une conclusion.
Je fais partie de cette troisième catégorie, comme mes précédents écrits sur le sujet le montrent.
J'espère cependant que la chloroquine démontre enfin une efficacité claire pour les malades atteints du covid-19. Pour deux raisons :
- Cela amènerait une solution pour les malades à venir, qui fait que tout le monde serait gagnant : les malades d'abord, Raoult qui en sortirait comme un "héros" faisant oublier ses deux études plus que bancales et sa communication qui a attisé les tensions, et la recherche qui aurait pu vérifier après un vrai travail de recherche l'utilité de ce médicament.
- Cela est aujourd'hui la seule issue pour une fin plutôt apaisée de cet épisode qui fracture la société.
Car, si les études en cours au niveau européen (Discovery) et celle de l'OMS au niveau mondial (Solidarity), devaient ne trouver aucune efficacité pour les groupes ayant reçu de la chloroquine, comment réagirait celles et ceux qui se sont engagés pleinement, totalement dans la promotion du produit et ont pour certains fait de Raoult un chevalier blanc, un messie qui va nous sauver ?
Quelques travaux sur la dissonance cognitive (cf lien en bas de texte) nous permettent d'entrevoir les stratégies adaptatives qui en résulterait.
Mais vers qui se tournerait la colère ressentie par certains de ses partisans actuels ? Probablement, pour une part d'entre eux, vers Raoult qui pourrait passer du jour au lendemain du statut de sauveur à celui de charlatan. Mais l'issue du complotisme est la voie séduisante qui permet de ne pas changer d'avis. L'idée d'une étude forcément tronquée en raison des rapports INSERM-Raoult court déjà (voir photo issue du groupe Facebook Soutien au Professeur Didier Raoult).
Ainsi, la colère pourra se diriger vers un tel soupçonné d'être au service de Big Pharma, d'autres viseront l'INSERM, le pouvoir, l'OMS, etc. Cela ajoutera aux tensions et accusations, ce qui ne manque pas dans notre société.
Alors qu'un tel épisode, quel que soit son issue, devrait nous servir à apprendre (sur nous, sur la méthode scientifique, sur la communication en temps de crise, etc.), il est à craindre que cela vienne pour certains seulement confirmer ce qu'ils croient et qu'ils croyaient déjà avant même l'apparition du Covid-19 et du Professeur Raoult dans l'espace médiatique.
Sur la dissonance cognitive
Rédacteur en chef de revue de recherches / Mcf HDR associé
4 ansEn ce qui me concerne, je trouve cette "dispute" (au sens étymologique du mot) tout à fait révélatrice de la façon dont la recherche est appropriée à une culture de "la vrai recherche" comme vous le dites. Et il y aurait donc de la vrai et de la fausse recherche, la "vraie" étant celle qui passe les "épreuves" de la recherche expérimentale et tant pis pour la recherche empirique qui, du coup, n'est pas de la "vrai" recherche. Il y aurait donc ceux qui cherchent dans leurs labo où ils recueillent leurs données et les analyse loin des impétrants et du commun, seule garantie que leur recherche est "vrai" parce qu'estampillée par les pairs, soumise à la norme, conforme au protocole, etc. C'est de la recherche dont, en effet, on en a besoin. Mais je ne comprends pas pourquoi elle doit mépriser à ce point la recherche empirique, celle qui se fait tous les jours avec les impétrants, avec ces gens du commun, dans leur accompagnement, sans protection des laboratoires, du codex, des distinctions. Cette recherche empirique faite avec et auprès de ceux qui doivent en bénéficier. Peut-on être sur des postures cognitives plutôt que sur des postures affectives de 'j'aime", "j'aime pas" présentée comme de la recherche?
Éducateur spécialisé - Formateur - Titulaire d'un Master 2 en Sciences Sociales.
4 ansVous avez parfaitement résumé dans ce texte les enjeux médicaux actuelles. Je partage votre prudence sur la chloroquine..