Qu'est-ce qui dépend vraiment de vous ?

Des pratiques philosophiques pour mieux être et agir au travail : #1 Epictète (d'après "Manager avec les Philosophes", ed. Dunod, 2016)

Si l’on écoute les médias, le monde va mal : l’économie s’effondre, la violence menace, la précarité n’est pas loin. Ces nouvelles peuvent nous paralyser, inhiber l’action. Nous renfermer sur nous-mêmes en attendant que «quelqu’un» (en général, autre que nous) agisse : redresse l’économie et le trou de la sécurité sociale, fasse la paix et supprime la violence. Mais où est la cause de notre désarroi : dans la réalité ou dans le regard que nous portons sur elle ?

Ce qui rend les hommes malheureux, nous dit le philosophe grec et stoïcien Epictète (50-125 ap. J.C.), ce n’est pas la réalité-même - qui est neutre -, c’est le regard qu’ils choisissent de porter sur elle. Et Epictète de nous inviter à aiguiser ce regard, pour bien distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas. 

Ce qui tourmente les hommes, ce n’est pas la réalité, mais l’opinion qu’ils s’en font - Epictète .

Exercer ce discernement, c'est prendre conscience des représentations et des jugements qui colorent notre regard et s'en distancer. C’est se donner les moyens de dédier son énergie et son temps aux choses sur lesquelles nous avons vraiment du pouvoir, et lâcher-prise sur les autres. Un licenciement, par exemple, peut soit être vécu comme une catastrophe subie, soit comme l’opportunité de reconsidérer son rapport au travail et ce qu’on en attend.

On pourrait avoir l’impression que si rien ne dépend de nous autre que notre regard, l’action est vaine. Mais loin d’être apathique, le stoïcien me semble être un homme de l’action - non pas l’action pour elle-même, mais celle qui a un réel pouvoir transformateur, car le discernement auquel il s’agit de s’entraîner oriente directement notre manière de faire.  

Pour ma part, j’en fais l’expérience régulièrement. Quand j’ai reçu, l’an dernier, une lettre d’avocats me demandant de changer le nom de l’entreprise que j’ai co-fondée, c’était panique à bord. Se battre ? S’avouer vaincue ? Ce qui dépend de toi, me souffla Epictète, c’est la manière dont tu choisis d’accueillir cette nouvelle. Je me suis d’abord sentie en colère. Et puis j’ai choisi de re-considérer cette lettre non plus comme une attaque, mais comme une légitime défense. Je pouvais alors dépenser mon temps et mon énergie à lutter contre, ou choisir d’y voir l’opportunité de construire autre chose, en mieux. A bien y réfléchir, la lutte n’en valait pas la peine ; et mon énergie était plus utile à développer notre entreprise. Un nouveau nom émerge alors, comme une évidence qui fait sens : Thaé.

Il ne s’agit pas de claquer des doigts et de décider de tout voir en rose. Pour qu’il soit réellement effectif, ce changement de regard doit faire l’objet d’un travail de discernement sincère et profond qui, alors seulement, peut ouvrir de nombreuses possibilités d’action renouvelée.