Qu’est-ce qu’une organisation (et quelles implications pour le leadership) ?

Qu’est-ce qu’une organisation (et quelles implications pour le leadership) ?

Et si nous osions mettre de côté la croyance qui voudrait qu’une organisation soit une entité figée, « une chose » qui existerait indépendamment des acteurs qui la constituent ?...

L’esprit libéré de cette contrainte conceptuelle, nous pourrions alors aborder les organisations – en en particulier celles auxquelles nous appartenons - comme des processus dynamiques et participatifs.

L’organisation comme processus social

En d'autres termes, nous pourrions considérer les organisations comme étant des constructions sociales, en continuel mouvement, qui se créent et se recréent constamment à travers les relations qui leur donnent vie, et dont le principal élément est, en termes simples, la « conversation ».

Il nous apparaîtrait alors évident que les organisations ne sont pas déterminées par des règles fixes et de simples chaînes de causalité, mais qu’elles constituent plutôt des ensembles d’interactions spontanées et souvent imprévisibles entre individus, qui s'adaptent en fonction des échanges et des contextes.

A travers ce changement de perspective, nous réaliserions qu’il n'existe pas vraiment d’organisation qui agit sur ses membres depuis « l’extérieur », qu’il n’y a pas de système « extérieur » aux personnes qui le composent, et que, par conséquent, il n’y a pas non plus de « pilotes » (de leaders) extérieurs à l’organisation, mais uniquement des acteurs participatifs, plus ou moins valorisés en fonction de leur statut, de leur rôle, de leur capacité d’influence, et des vertus et des vices qu’ils incarnent au quotidien.

Nous prendrions certainement mieux conscience que tous les membres d’une organisation en sont d’inévitables acteurs qui contribuent à son déploiement, tout en étant eux-mêmes façonnés par elle. Comme pour toute relation, les acteurs de l’organisation la créent et sont créés par elle. Au sein des réseaux d’interdépendances qu’ils participent à tisser, ils influencent autrui et sont influencés en retour. Et bien que tous communiquent avec intention, que ce soit pour informer, demander, persuader, guider, voire effrayer autrui, c'est seulement dans les réponses de leurs interlocuteurs que les interactions prennent véritablement leur sens.

Peu-à-peu nous deviendrons plus attentifs aux significations qui émergent des interactions communicatives, alors que certaines se formalisent dans des slogans, des devises, voire des logos, ainsi que dans des règles et des contrats de travail, et que d'autres semblent continuellement négociées dans les conversations informelles qui animent la vie organisationnelle.

Implications pour le leadership

Ce changement de perspective n’est pas sans conséquences pour la pratique du leadership; il l’impacte directement et en profondeur.

Voici quelques principes qui découlent de cette perspective :

  • Le contrôle total apparaît comme une illusion : L’organisation prend vie et évolue à travers des interactions et personne ne maîtrise toutes les interactions au sein de l’organisation. Les actions et les décisions ne sont jamais entièrement prévisibles, et les conséquences imprévues sont normales et inévitables. Par conséquent, diriger en voulant tout superviser ne fait plus réellement sens et les dirigeants sont amenés à explorer de nouvelles approches alternatives à la quête de contrôle (et même si le désir de contrôle est lui parfois bien présent et réel). Ils s’engagent plus activement dans les interactions et ils se considèrent de moins en moins comme des « contrôleurs externes », se reconnaissant de plus en plus comme des « facilitateurs d’interactions ».
  • Le rôle du dialogue devient central : La conversation constitue un outil – si ce n’est l’outil principal - du leadership. Pour agir, influencer et transformer l'organisation, les dirigeants sont présents dans les dialogues, ils favorisent les échanges et facilitent la communication entre les équipes et les départements.
  • La diversité est valorisée : Afin de stimuler la créativité et l’innovation (et plus généralement favoriser les changements), les dirigeants osent promouvoir la diversité et les occasions d’expression de perspectives différentes. Ils facilitent des é-changes qui permettent d'explorer de nouvelles idées et solutions, en capitalisant sur la diversité des acteurs de l’organisation.
  • La stratégie est adaptée à chaque contexte local : En réalisant que vouloir imposer des intentions stratégiques de manière uniforme s’avère irréaliste (et donc inefficace), les dirigeants adaptent leurs décisions aux besoins et aux contextes spécifiques et variés de leurs collaborateurs. La stratégie prend ainsi forme localement, en fonction des réalités spécifiques de chaque équipe et département.
  • Les écarts de pouvoir sont minimisés : En se basant sur leur expérience du terrain et en fonction de leur environnement organisationnel et culturel spécifique, les dirigeants peuvent être amenés à constater que les meilleures décisions sont souvent celles qui sont prises collectivement, en consultant d’autres membres de l’organisation. Lorsqu’un exercice du pouvoir trop directif tend à engendrer de la peur et à démotiver les équipes, les dirigeants sont alors appelés à réduire les asymétries de pouvoir et à incarner un rôle de facilitateur des interactions afin d’encourager une participation plus active.
  • Le changement est incarné : En tant que figures d'autorité, les dirigeants influencent profondément la culture de l’organisation. En adoptant des comportements exemplaires et en incarnant les valeurs qu'ils souhaitent promouvoir, ils encouragent les autres à faire de même. En mettant l’accent sur certains thèmes auxquels ils accordent de l’importance et en accordant l’espace nécessaire pour que certaines conversations puissent avoir lieu, ils aident à construire consciemment la réalité collective.

En synthèse

Penser les organisations comme des processus sociaux impacte significativement la façon dont nous abordons le leadership organisationnel et l’incarnons sur le terrain. Il s’agit alors moins de s’adapter à une conception de l’organisation dictée par des règles génériques empruntées aux « best-practices » du passé, ni de se perdre dans des fantasmes de ce que devrait être l’organisation idéale, mais plutôt d’aborder la réalité du moment, moment après moment, et d’interagir avec elle, avec courage et curiosité.

Cette curiosité nouvelle, que nous osons nous reconnaître et cultiver à travers une prise de risques plus courageuse, favorise une responsabilisation personnelle accrue face à l’impact de nos actions, de nos paroles et notre manière de nous engager dans les interactions avec autrui. Nous prenons mieux conscience du fait que nous façonnons directement et continuellement la culture et l’évolution des organisations auxquelles nous participons.

Peu-à-peu, nous faisons l’expérience du leadership, non plus comme un pouvoir que l’on devrait exercer « sur » les autres, mais comme une compétence relationnelle qu'il s'agit d'accueillir, et qui consiste à « être avec » les autres dans un processus continu de co-création, à explorer à travers le dialogue, à entraîner ensemble.


Références

Bill Critchley, A View Of Organisations As 'Complex Social Processes', 2018

Bill Critchley & Hartmut Stuelten, Starting when we turn up: Consulting from a complex responsive process perspective, 2008

Illustration: Seyi Adelekun, 2021


Psychologue spécialisé en psychologie organisationnelle et en coaching de cadres, je travaille avec des organisations, des équipes et des clients privés qui font face à des défis humains au sein de leur environnement professionnel.

Ouvrons ensemble une conversation.

Contact : www.bagutticonsulting.com

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Frédéric Bagutti, dipl. psych., EMCCC INSEAD

  • Leadership Inspiré par un Maître Zen et un YouTuber à Succès

    Leadership Inspiré par un Maître Zen et un YouTuber à Succès

    Le Maître Zen Thich Nhat Hanh et le YouTuber à succès Matthew Hussey, en mettant l’accent sur la guérison de "l’enfant…

  • La Fonction Transcendante du Luxe

    La Fonction Transcendante du Luxe

    "Tout entre en discussion, même si seuls des fragments sont conscients. Le conscient est constamment élargi par la…

    2 commentaires
  • Le Talent d’Équilibriste des Travailleurs du Luxe

    Le Talent d’Équilibriste des Travailleurs du Luxe

    Avec le Luxe Lorsque je travaille avec des acteurs de l’industrie du luxe, quelque-soit la nature spécifique du mandat…

  • Le Luxe est Miroir

    Le Luxe est Miroir

    « Je cherche à voir à travers la matière. » - Paroles de termineur horloger Le Luxe, comme s’il avait fait siennes les…

  • Le Défi de l’Autorité au Sein des Organisations Contemporaines

    Le Défi de l’Autorité au Sein des Organisations Contemporaines

    L'autorité pose la question du pouvoir et de sa légitimité et elle est omniprésente au sein des entreprises. L'autorité…

  • La Peur du Succès

    La Peur du Succès

    "Se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé est une catastrophe." – Donald W.

  • The Fear of Success

    The Fear of Success

    “It is a joy to be hidden and a disaster not to be found.” - Donald W.

  • When The Human Psyche Meets AI

    When The Human Psyche Meets AI

    In our encounter with AI, may we be psychologically strong and mature enough to move beyond fascination, fear, and…

    1 commentaire
  • Quand La Psyché Humaine Rencontre L'IA

    Quand La Psyché Humaine Rencontre L'IA

    Dans notre rencontre avec l'IA, puissions-nous être suffisamment forts et matures psychologiquement - individuellement…

  • Catalyzing change through group coaching interventions

    Catalyzing change through group coaching interventions

    When it feels like time to unlock potential When we spot a disconnect between what is espoused and what is experienced…

    1 commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets