Qui sont les quincados, ces nouveaux quinquagénaires ?
Serge Guérin publie un livre sur les "quincados", ces personnes de 50 ans et plus qui assument leur âge, mais ne veulent pas se comporter comme s’ils étaient vieux. Ce sont des jeunes avec de l’expérience… Les quincados ont 50 ans et plus, mais ne veulent pas se conduire comme des préretraités © Getty / Colin Anderson Productions pty ltd
Le sociologue Serge Guérin était l’invité avec le philosophe Pierre-Henri Tavoillot de l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi. L’occasion de définir ces "quinquas" d’un genre nouveau.
D’où vient le concept de "quincados" ?
Serge Guérin : « C’est un mot apparu en 2013 dans une étude de l’institut Ipsos pour désigner les 45/60 ans. »
Qui sont ces quincados ?
Serge Guérin : « Ces nouveaux quinquas sont des actifs en bonne santé qui ont pris conscience d’une chose : avec l’accroissement de l’espérance de vie, ils seront encore là dans 30 ans. Ils décident de réinventer leur vie. Au milieu de leur existence, ils vivent une seconde adolescence avec la maturité en plus. Ce sont des personnes qui restent jeunes avec de l’expérience. »
Serge Guérin : « On aurait pu appeler les quincados "la génération rebond". En effet, à cet âge, le quinqua s’est déjà pris une "claque" dans les gencives à titre personnel, familial, ou professionnel. Par exemple dans l’entreprise : dès 45 ans, on va vous traiter de senior. Or à cet âge-là, la retraite est dans plus de 15 ans. Ces quinquas vont décider de ne pas subir, de prendre en main leur reconversion vers des métiers qui ont souvent plus de sens.
Ils réinventent la suite de leur vie sans nier la première partie. Ils se disent : "j’ai coché toutes les cases : j’ai fait des études, j’ai élevé des enfants, j’ai remboursé des emprunts… Et maintenant, j’ai envie d’avoir un cursus à moi. Je refais une formation…" Et ils vont créer une pâtisserie, une librairie…
Le "quincados" n’est pas un "adulescent"
Serge Guérin : « Les quincados ne jouent pas aux jeunes, ne se complaisent pas dans une adolescence superficielle. Ils ne regardent pas du tout vers le passé en refusant de grandir. Ce ne sont pas des faux jeunes. D’ailleurs en ville, ils se distinguent : les faux jeunes prennent la trottinette et le quincados, le vélo.
Ils savent qu’ils sont adultes : ils sont parents, ils connaissent leurs responsabilités. Ils savent que cela va devenir difficile de rester dans l’entreprise. S’ils veulent durer après 50 ans, ils savent que c’est à eux de se reconstruire.
En résumé, le quincado est parfaitement adulte, mais il ne veut pas forcément de l’image de cet âge qu’on lui propose. A 50 ans, il ne veut pas se comporter comme un pré-retraité. »
La cinquantaine : la crise contemporaine de l’âge adulte ?
Pierre-Henri Tavoillot : "Aristote disait que la cinquantaine, c’était le sommet de la vie, avec une vision de la vie comme un arc. Précisément il disait : « Le sommet de la vie, c’est 35 ans pour le corps, et 49 environ, pour l’esprit ». Ce 49 ans répondait à une logique physique, philosophique, cosmologique précise. Ce milieu ou sommet de vie, correspond à la maturité. Cela désigne en général, le moment de la « maturité ».
La maturité est un mot très étrange. Quand on n’en a pas, c’est un défaut, mais quand on en a, ce n’est pas une qualité. Le fruit mûr, c’est le fruit qu’il faut manger avant qu’il ne pourrisse. Le moment du sommet de l’existence, c’est un moment incertain.
Avoir cinquante ans, c’est prendre conscience que pendant toute notre existence, on a eu comme projet de grandir. Il fallait pour ça, conquérir une reconnaissance sociale, avoir un salaire, fonder une famille, posséder une maison… Les apparats de l’adulte. Et à un moment donné, on les a. Et on s’aperçoit que ça ne suffit pas."
Un corps à faire durer
Serge Guerin : "Aristote a raison quand il parle de 35 ans : nous avons tous rajeuni de 15 ans ! Quelqu’un qui a 50 ans aujourd’hui ressemble plus à quelqu’un qui avait 35 ans en 1959.
Comme le quincado n’est pas un faux jeune, c’est quelqu’un qui se dit qu’il a un capital à maintenir pour les trente ans qui viennent. En terme intellectuel (formation etc….) et en terme physique (régime, bio, marathon) avec le plaisir parfois de le faire avec ses propres enfants.
Certains même disent qu’ils sont en meilleure forme qu’à 30 ou 40 ans parce qu’à cet âge-là, le sport c’était surtout à la télé en s’ouvrant une bière.
Coté séduction, ils se disent « ce n’est pas parce que j’ai 50 ans et un jour que je devrais m’interdire d’être amoureux », comme dans le reste, ils s’autorisent à être eux-même."
Le portrait-robot du quincado
Serge Guerin : "J’ai repéré une enseignante dans l’école pour adultes dans laquelle je suis professeur. Elle avait une relation avec les étudiants incroyable. C’était bien la prof, il n’y avait pas de doute, mais elle avait une capacité à comprendre les difficultés de vie des étudiants. Elle-même pouvait avoir ces difficultés. Et d’extérieur, parfois vous aviez beaucoup de mal à reconnaître qui était la prof qui était l’étudiante, tant les silhouettes étaient les mêmes…"
Des bobos qui ont le sens du tragique
Serge Guerin : "Est-ce que les quincados seraient simplement des « vieux » qui refusent de vieillir ? Je dirais que ce sont des gens qui peuvent se sentir jeunes, avec l’expérience en plus. Ce sont des bobos qui ont le sens du tragique. Ils savent qu’à la fin, ils meurent. Mais en attendant, ils se disent :
Je ne vais pas m’ennuyer. Je préfère le risque des ennuis, plutôt que l’ennui.
Mais ils sont adultes. Ils font le boulot : vis-à-vis des plus jeunes, des plus âgés qu’ils vont aider… Ils sont là pour leurs enfants et parfois leurs petits-enfants. Ils sont dans la responsabilité. L’idée :
Ce n’est pas parce que j’ai envie de voir ma vie de manière plus joyeuse que je nie la réalité.
En gros, il y a l’adolescence, puis la maturescence : elle est infinie presque, même si on sait qu’à un moment il y a la sénescence. La vie humaine moderne est conçue comme ça et c’est une bonne nouvelle."