"Quiet quitting"​ : au-delà du buzz

"Quiet quitting" : au-delà du buzz


Cet été, dans mon Linkedin, impossible de passer à côté du nouveau buzz du moment, tout droit rapporté de TikTok (bienvenus en 2022) : le « quiet quitting ». 

En résumé : le « quiet quitting » ou « démission silencieuse » consiste à refuser de se surpasser pour son boulot, et à revendiquer, à la place, de s’en tenir au minimum syndical. Fini les heures sup’ non rémunérées, l’excès de zèle, ou la disponibilité soirs et weekends.

 Les « démissionnaires » respectent ce qui est prévu dans leur contrat de travail. Pas plus (mais pas forcément moins non plus).

Rien de bien extraordinaire en apparence – c’est même étonnant que le sujet ait pris de telles proportions alors qu’aucun constat tangible autre qu’un hashtag trendy ne vient l’appuyer.

D'ailleurs, ce qui m’interpelle le plus, en lisant différents posts et articles sur la question, ce n’est pas tant la tendance elle-même que les réactions négatives, voire franchement outrées, qu’elle déclenche.

 Comment ? Certains oseraient revendiquer un tel manque d’implication ?

 Nombreux sont ceux qui qualifient ces “quitters” de tire-au-flanc, de fainéants, de profiteurs.

 D’autres s’affligent d’un tel mépris pour la valeur travail. Comment a-t-on pu tomber si bas ? 

D’autres encore trouvent bien triste qu’on préfère se résigner de la sorte plutôt que de partir en quête d’un job qui donne, lui, envie de se surpasser (en démissionnant, cette fois-ci, vraiment)

Comment expliquer un tel déchaînement de passion face à une tendance pas franchement révolutionnaire ?

Ces réactions en disent long sur la complexité de notre rapport au travail et de la culture qui nous imprègne. 

D’un côté, quantité d’études font état de l’augmentation du stress, du mal être au travail, des burnouts, et nous rappellent constamment à quel point les dysfonctionnements au sein des environnements de travail abîment la santé physique et mentale. Peut-on, dans ce contexte, s’étonner que certain.e.s cherchent à prendre les choses en main pour se protéger en posant de saines limites, lorsque leur propre employeur ne semble pas s’en préoccuper ? N’est-ce pas on ne peut plus justifié et compréhensible ?

D’un autre côté, oser s’émanciper des codes selon lesquels nous devrions tous nous impliquer corps et âme dans notre job semble être vécu, par beaucoup, comme une sorte de trahison. 

Cela montre bien à quel point nous sommes encore, collectivement, très attachés à l’idée que la reconnaissance de ses supérieurs se mérite et passe par un certain surengagement. Ne pas compter ses heures est le prix à payer pour “réussir”. Cela alimente une culture de la compétition, de la performance et du présentéisme contre laquelle s’élèvent, précisément, et de façon ostentatoire, les “quiet quitters”. 

Le “quiet quitting” est le reflet, également, d’un ras-le-bol de plus en plus prégnant face aux nombreux déséquilibres, injustices et pratiques délétères dont pâtit le monde du travail. Pourquoi “gaspiller” son énergie au service d’une entreprise et d’employeurs qui n’offre aucune considération en retour ?

Sur ce point, le Covid-19 a probablement été un détonateur. Combien de salariés ont répondu présents lorsqu’ils ont dû se retrousser les manches et tout faire pour maintenir l’activité économique à flot, tout en s’adaptant en urgence au télétravail, et en faisant face à une situation inédite et extrêmement déstabilisante…pour se voir intimer l’ordre, quelques mois plus tard, de revenir au bureau, par des dirigeants qui considéraient le télétravail incompatible avec l’efficacité et la productivité ? 

Là encore, rien d’étonnant à ce que certains perdent l’envie de faire plus d’efforts que nécessaires.  

Le phénomène “quiet quitting” soulève ainsi énormément de questionnements et de débats autour de notre rapport au travail et à la réussite, individuel et collectif, d’une part, et autour des modes de travail et des pratiques en entreprise, d’autre part. 

Le rejet d'un modèle

On peut y lire la revendication d’une opposition à un certain modèle de réussite, qui voudrait que notre valeur se mesure aux chiffres sur notre fiche de paie, à la taille de notre maison, à la puissance de notre voiture et à l’étendue de nos possessions matérielles.

On peut d’ailleurs faire le lien avec la prise de conscience grandissante des enjeux écologiques et climatiques, qui s’accompagne d’une remise en question de certaines valeurs occidentales centrées sur le profit et le consumérisme.

De manière générale, l’incertitude et l’imprévisibilité liées aux contextes économique et écologique actuels ébranlent notre rapport au travail et à la vie en général, et cela se ressent au sein des organisations.

Le “quiet quitting” s’inscrit, en ce sens, dans la continuité de la « grande démission », du refus de « perdre sa vie à la gagner » ou encore de l’émergence de mouvements « travailler moins pour vivre mieux ».

Ces phénomènes ne sont pas, contrairement à ce qu’on lit parfois, la traduction d’un simple caprice d’une génération qui pense que tout lui est dû, mais le signe d’un certain shift non seulement dans les attentes des salariés, mais aussi dans les risques qu’ils sont prêts à prendre et donc dans les rapports de force avec les employeurs.  

Des remises en question et revendications que je trouve, pour ma part, salutaires et porteuses, potentiellement, de changements positifs.

Mais alors, que peuvent faire les entreprises face à ces revendications ? 

Il me semble important de prendre un peu de recul face au buzz et d’éviter les conclusions hâtives, pour saisir l’occasion de s’interroger sur l’attitude à adopter.

Et si la tentation peut être grande de chercher la bonne tactique pour remettre ces salariés “dans le droit chemin” et leur redonner l’envie de s’investir à 200%, ce serait, à mon sens, faire fausse route et risquer d’alimenter un peu plus encore cette tendance en continuant dans le même paradigme selon lequel plus un salarié est satisfait, plus il en fait au travail.

 Beaucoup d’entreprises considèrent qu’un collaborateur « engagé » est un collaborateur qui va accepter docilement de se dépasser, sans compter ses heures, sans attendre de reconnaissance particulière (notamment financière) en retour, simplement parce qu’il trouve du sens à son travail, et qu’il se sent, moralement et émotionnellement, « obligé ».

 Est-ce qu’il n’est pas là, le problème ? 

Dans le fait, justement, que nous considérons cet objectif comme normal, justifié, et même, comme un signe positif de réussite pour l’entreprise (« les collaborateurs sont forcément épanouis puisqu’ils en font, spontanément, plus que ce pour quoi ils sont payés, qu’ils agissent comme si c’était leur propre entreprise ») ?

Peut-être serait-il temps, pour les entreprises, de revoir leur vision de l’engagement.

Faire respecter ses limites et être engagé au travail ne sont pas forcément antinomiques. 

La vraie question, c’est ce qu’il se passe pendant les heures de travail. Les personnes qui font le choix de poser des limites pour préserver leur équilibre sont-elles encore suffisamment motivées, par ailleurs, pour faire leur travail aussi bien que possible ? 

Si ce n’est pas le cas, pourquoi ? Quelle est la cause de leur démotivation ?

Face au désenchantement de certains collaborateurs, il s’agirait alors, d’une part, de reconnaître que oui, assurer à chacun.e l’équilibre vie pro – vie perso dont il ou elle a besoin (ce qui se traduit de façon différente d’une personne à l’autre) est non seulement élémentaire mais aussi une excellente façon d’œuvrer pour le bien-être au travail, la satisfaction…et la motivation des collaborateurs.

Et d’autre part d’encourager des pratiques managériales et une culture d’entreprise respectueuses des individus et de leurs besoins, de cultiver la cohésion, de diffuser de la reconnaissance…bref, d’encourager des environnements et des conditions de travail qui donnent envie aux collaborateurs de s’impliquer, non pas en visant un investissement à 200%, mais un 100% de qualité. 

Peut-être ces derniers seraient-ils alors moins tentés de « démissionner silencieusement » et plus disposés à adopter une attitude plus constructive de dialogue avec leurs managers et RH pour poser les choses sur la table, ouvertement.

Qu'en dites-vous ?

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Pour aller plus loin : un article que j'ai écrit sur la notion d'engagement (et de désengagement), en lien avec l'Institut Gallup

Pierre V.

Évaluateur, auditeur, formateur, conseiller, pratiques et risques techniques et humains en situation de travail, ingénierie de formation, audit qualité.

2 ans

Je pense que ce n'est pas du tout ou rien. Il y a des marges entre trop donner pour son travail et faire le minimum syndical comme il y a des périodes de haute activité et de basse activité pour tous les métiers. Il faut donc trouver l'équilibre pour soi et pour l'entreprise. Certains vont profiter de cette tendance et les frustrés jaloux vont pulluler. Très mauvais pour l'équilibre social.

👋 ERIC MESSECA

Coach à la retraite, Citoyen Engagé Team for the Planet - Ami de la #Terre - Enthusiast Alliance #Humain et #IA #AllianceIHIA

2 ans

Noëmie Martin-Pascual si seulement ça ouvrait les yeux au Mouvement des Entreprises de France ? Et que le débat du pourquoi était lancé en France. Encore un sujet de changement où la France est encore dans le dernier wagon du train de l'avenir.

Emmanuel Laroche

Sustainable IT Manager

2 ans

Bravo aux entreprises qui pousseront leurs services RH à cette remis en question. Il y a du chemin à faire...

Brigitte Vaudolon

Directrice Générale PULSO France / CEO PULSO France

2 ans

Nous sommes au tout début d'une mutation profonde concernant notre rapport au travail, merci Noëmie Martin-Pascual de contribuer à ces reflexions importantes avec cet article de fond !

Julien Cauchy

Dessinateur-projeteur travaux eaux💧- concepteur illustrateur

2 ans

Oui vu.

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